Servez-vous un verre, les amis, et pour commencer le voyage, laissez-moi vous remmener au tout début de nos magnifiques 80s...
Alice est en train de crever. Pour de vrai. Après une longue période d'alcoolisme aiguë (1973-1978) et deux années de sobriété (1978-
1980), Vince a fini par se laisser tenter par la coke...Les années 80 quoi, normal. Mais comme le père Furnier ne fait jamais les choses à moitié, il abuse vraiment ++ de la lessive magique et se transforme en quelques mois en cadavre ambulant : il ne dort plus, et devient méconnaissable. Alors qu'il était déjà épais comme un stylo Bic, il se déleste d’une vingtaine de kilos et ses joues deviennent aussi creuses que le «Death Magnetic». Ça sent le sapin, et de loin.
Ses proches (comprendre l'amour de sa vie Sheryl et son manager et mentor Shep Gordon) qui l'avaient pourtant sorti de son addiction à la bouteille ne réussissent pas à le raisonner, et après X avertissements, fin 1983, Sheryl claque la porte de la baraque en emmenant leur fille Calico : retour à Chicago chez papa maman.
Alice reste seul à L.A. avec ses lignes de coke. Il ne sort plus de chez lui. C'est la descente aux enfers, tellement classique...
Une nuit, entre deux fix,
Alice sent véritablement la Faucheuse derrière son dos. Il a alors le réflexe de balancer dans les chiottes son énorme réserve de coke, une petite fortune. Il tire la chasse en se foutant des claques, et va se pieuter. Il dort comme il n'a pas dormi depuis des mois et finit par émerger, un sentiment étrange en tête : ce jour sera décisif, il le verra vivre ou mourir.
Alice sort alors de chez lui en se tenant le bide de douleur, prend un taxi jusqu'à LAX et saute dans le premier avion, direction
Phoenix, Arizona, non pas sa ville natale (Detroit) mais celle dans laquelle ses parents résident, parents qu'il n'a pas vus depuis des années... Oui,
Alice rentre à la maison, la queue entre les pattes, quinze ans après son départ pour la gloire et les paillettes californiennes. Imaginez : le taxi qui s'arrête devant le pavillon, le zombie qui pousse la porte, maman dans tous ses états, papa qui appelle une ambulance... Et
Alice qui se retrouve donc interné dans un hôpital de
Phoenix.
Le Coop' en sortira de longs mois plus tard... Vivant. Entre 1983 et 1986, pour la première fois depuis 1967,
Alice met alors sa carrière en standby et s'emploie à reconstruire sa vie de couple et de famille. Il retrouve sa femme, sa fille et donne vie à un nouveau rejeton. Mais après trois ans à pouponner et à tondre la pelouse, le côté dark commence un peu à gratter, forcément.
Il est temps pour le phénix de se consumer et de renaître, encore une fois. Seulement, le paysage musical a changé... La période Sleaze / Glam bat son plein. Et tous les groupes de cette scène se reconnaissent d’un godfather : le Coop' himself, qui fût bien évidemment une influence majeure pour entre autres Blackie
Lawless,
Dee Snider ou Nikki Sixx... La nouvelle orientation musicale d'
Alice est donc toute trouvée, reste à trouver un groupe. Shep Gordon, l'homme de l'ombre derrière toute la carrière du Coop' et ce à partir du Day 1, se met alors sur le coup et fait rentrer dans l'Histoire un certain
Kane Roberts...
Kane est originaire de
Boston où il a étudié la Musique pendant trois ans à la prestigieuse
New England Conservatory of Music avant de se relocaliser à
New York Fucking City pour s'y droguer et boire comme un ouf', jouer dans des putains de rock’n’roll bands crasseux; vivre la vraie vie en somme. En 1986, à l’époque de son recrutement par
Alice, ou plutôt par Shep Gordon, Kane est sobre et a remplacé la défonce par une grosse addiction à la muscu. Il ne prend plus que des stéroïdes pour la gonflette. Cette volonté de rester à l'écart de la drogue et de l'alcool fera pencher la balance en sa faveur puisque le nouveau
Alice n'a qu'une crainte en revenant aux affaires : se retrouver avant de s'en rendre compte une bouteille de sky entre les mains ou agenouillé la tête sur une cuvette de gogue pour se mettre une dose dans le pif. Bien évidemment, le fait que Kane ait un look hors du commun et un jeu de gratte stupéfiant, à la fois badass, collant à l'air du temps, et totalement maîtrisé de par ses études classiques, ne gâche rien.
Début 1986 donc, Kane joue dans un combo nommé
Criminal Justice. Les gars ont un contrat avec un club de strip de la banlieue de NYC qui deux ou trois fois par semaine organisent des "rock nights". Le bon temps, putain.
Criminal Justice donne son gig, touche son cachet miséreux, remonte dans l'ex-camionnette de la poste recyclée en "tourbus" pour se rendre dans un tripot clandestin où Kane bosse en second job. Il y est croupier toutes les nuits, officiant pour l'anecdote, à la table du blackjack. La chance tourne le jour où un certain Don Paccione qui bosse avec Kane, a l'opportunité de croiser quelques minutes le mythique Bob Ezrin, producteur entre autres d'
Alice, de
Kiss ou de Pink Floyd. Il lui tend la démo de
Criminal Justice qui fait son petit effet :
Alice et Shep se rendent incognito au club de strip newyorkais pour y voir Rambo grattouiller. Le soir même, Kane, au lieu de balancer des paires d'as à des mafieux, se retrouve à Manhattan dans le luxueux bureau de management de Shep. Les gars s'entendent direct, le courant passe comme s'ils se connaissaient depuis toujours, et les repets commencent le lendemain... dans le garage de Victor Ruzzo, le batteur de
Criminal Justice, qui jouera par ailleurs sur les albums solo de Kane.
Ces premières repets jugées satisfaisantes, les sessions d'écriture du nouvel album débutent : elles ont lieu aux quatre coins du pays; ces déménagements ayant pour but de stimuler la créativité des musiciens. Kane hallucine notamment de se retrouver à Hawaï (Maui) avant de revenir à NYC, puis en Californie et enfin dans le Connecticut. Toute une partie des sessions se font avec Neal Smith, le batteur originel du
Alice Cooper Band, et son alter ego Dennis Dunaway, le bassiste. Il fut question que cette légendaire session rythmique apparaisse en guest sur ce seizième album dont le titre provisoire était «
Awake For The
Snake», mais ce ne fut finalement pas le cas; et là où l'on pleure véritablement c'est en sachant que le batteur qui devait se charger du job en studio n'était autre qu'
Anton Fig, connu aux States par la populace pour être le batteur du TV Show de Letterman, mais surtout connu des fans de
Kiss pour être le blood brother du Spaceman
Ace Frehley, sans parler de sa carrière studio comprenant entre autres des enregistrements pour Baz,
Gary Moore, Joe Cocker, Satriani, ou dans d'autres genres, Bob Dylan, Madonna ou Mick Jagger, excusez du peu... Une bête. Au lieu de ça, on se cognera finalement et incompréhensiblement une boîte à rythmes sur «
Constrictor» ! D'après mes recherches, c’est encore plus inexplicablement Beau Hill (producteur de
Ratt pour ceux qui n'ont jamais lu la Bible) qui serait à l'origine de cette connerie et qui aurait délégué la prog' des BAR à un spécialiste du job, David Rosenberg. Au final, quand le génie Michael Wagener, premier guitariste d'Accept faut-il le rappeler, mais surtout producteur d'une bonne partie de mes disques de chevet, récupéra les bandes pour le mix final, il était trop tard pour faire marche arrière, le disque devait être livré sous peu. Les boum-boum de Rosenberg ne furent pourtant pas gardés, Wagener demandant à Kane de refaire en quelques nuits toute la programmation des BAR pour obtenir un rythme moins complexe, plus RNR que les beats d'origine...
Mais alors, que donne ce «
Constrictor» ?
Eh bien, malgré son point faible qui est, vous l'aurez compris, un son de merde, je l'adore. Des tubes en puissance qui s'enchaînent (impossible de choisir entre les six premiers morceaux), zéro filler : un retour juste ÉNORME aux affaires d’
Alice après des années d'errance dans les limbes de son cerveau malade… Un come-back caractérisé par ce qui fait depuis toujours sa force : une adaptation totale à l'ère musicale du moment. Une sorte d'opportunisme diraient ses détracteurs, certes, mais tout en conservant une identité forte et inaltérable qui fait que le Coop' restera toujours le Coop'. Pour moi c’est la marque des grands, une carrière semblable dans la forme à celle du mighty Queen. L'album fait preuve d'une belle unité, peut-être sapée à la toute fin par le dernier titre «
He's Back (The Man behind The
Mask»). Composé pour la BO d'un énième
Jason / Vendredi 13, «
He's Back» est drivé par un synthé prédominant qui tranche complètement avec la mood générale de «
Constrictor»… Pourquoi ? Eh bien, la version originale fut jugée trop heavy pour apparaître dans le film et donc réenregistrée en mode grand public. Et puis, allez, je vous le dis, le titre est cosigné par Tom Kelly, l'auteur de... «Like A
Virgin» de vous savez-qui. A vrai dire, je trouve «
He's Back» absolument terrible et grandiose, mais la cassure avec le reste du disque est étrange et à signaler.
Alice, à 38 balais, est loin d'être mort, et il va mettre tout le monde d'accord direct : "I'm the kid on the block with my head made of rock" : ce ne sont pas les vieux mecs de son public qu'il veut récupérer avec son nouveau méfait; oulah non ! Ce sont en fait les heavy metal kids de quinze balais qui sont la cible de l'Homme Au Boa ! Un disque de jeunes ! Ce pari risqué aurait pu le ridiculiser, mais il s'avère gagnant.
Alice, après un gros passage à vide, redevient in aux USA : adoubé par son public de toujours, vénéré comme il se doit par tous les musiciens de la scène hollywoodienne et conquérant une nouvelle génération de fans.
King of the World. AGAIN.
L'album enregistré, reste à partir en tournée... Shep et
Alice confient alors à Kane le rôle de musical director. A lui de recruter des musiciens, mais aussi de proposer une setlist et de réarranger tous les vieux titres version 1986 ! Putain, la confiance mais aussi la pression ! La place de bassiste / choriste est attribuée au génial
Kip Winger (C'est Beau Hill qui le présente à Kane); et celle de batteur au non moins doué Ken Mary qu'on ne présentera qu'aux newbees, mais y a-t-il ici des gens n'ayant jamais eu entre les pattes le premier
Fifth Angel ou un
House Of Lords ? Pffff… Oh les mecs, on se motive, là, c’est 2025, merde ! Hey, petite breaking news, saviez-vous que le poste de guitariste rythmique fut tout d'abord offert à rien de moins que...
Randy Piper ? Bon niveau sobriété, on était quand même sur un gros risque ; le mec, avant de rentrer dans
WASP, s'étant fait virer du Disneyland d’Orlando où il bossait car il était toujours défragmenté sous son costume de Mickey et faisait peur aux gosses... C'est donc un certain
Devlin 7 qui obtint la place.
«
Constrictor» sort le 22
Septembre 1986, et nous arrivons à un grand moment, la nuit d'
Halloween 1986 à Detroit, Michigan, la hometown d'
Alice. La Joe Louis
Arena, capacité 21
666 places, est sold-out. MTV va filmer le gig et le retransmettre en
Live (il sortira en VHS l'année suivante sous le titre «
The Nightmare Returns»)...C'est le premier concert d'
Alice depuis plus de trois ans; et surtout la première performance d'
Alice sobre depuis le tout début de sa carrière ! Vince se chie dans le benne comme jamais. Et si le monstre «
Alice», celui sans lequel le show n'est plus magique, ne se pointait pas au rendez-vous ? Et si
Alice sans le plein de sky dans le réservoir n'était pas vraiment
Alice mais seulement Vince ? ... Pour corser le tout, un petit groupe encore inconnu mais qui en avait sous le pied, faisait l'ouverture d'
Alice ce soir-là...Un certain Guns N’ Roses. A noter d'ailleurs que les Guns et
Alice sont de suite devenus potes et qu'ils ont enregistré à cette époque une version sympathique du mythique «Under My Wheels» avec Axl et
Alice en duo au chant, et
Slash et Kane aux soli, titre qui figure sur la BO du référentiel «
Decline Of Western Civilization Part 2».
J’abrège le suspens, le gig est bien sûr une grosse tuerie, mais vous vous en doutiez... et la tournée triomphale achevée, c'est avec ce line-up de
Killers, le triple K (Kane, Kip et Ken) qu’
Alice reprendra le chemin du studio en 1987 pour enregistrer «
Constrictor 2» aka «Raise Your
Fist».
Les «vrais» fans radotent souvent sur le fait que seul le vieux
Alice Cooper Band serait bon, authentique ; mais c'est des conneries, franchement. J'adore cette période 1986-1991 honni des true, et je le dis haut et fort, c'est même ma préférée. Voilà. Ce «
Constrictor» au son ignoble est génialissime, y compris le titre kitsch «
He's Back» ! Et mes chouchous, si vous les voulez vraiment, sont «
Life And Death Of The Party», «The World Needs Guts», «
He's Back» évidemment, et «
Teenage Frankenstein».
Eh beh, bonne année, les hardos !
Magnifique chronique mon cher Zaz', on sent que ta passion pour le bonhomme reste toujours intacte en 2025 ! Et quand on sait le temps que ça prend de faire les recherches, de vérifier les sources, de synthétiser, de faire le rédactionnel et de tout relire, j'imagine que ça a dû te prendre un sacré paquet d'heures.
Perso, pas plus fan que ça de ce disque, que j'ai d'ailleurs découvert assez tardivement et pour lequel l'argument nostalgie ne fonctionne donc pas – hormis, naturellement, le très bon "The World Needs Guts" et le non moins excellent "He's Back (The Man Behind The Mask)", malgré son côté radio-friendly évident et son mix qui, en effet, détonne brutalement avec le reste de la galette. Je me souviens d'en avoir vu le clip à la télé à l'époque, probablement dans les "Enfants du Rock" un samedi soir, et la mélodie du refrain m'était restée gravée dans la tête pendant plus de vingt ans : je m'en souvenais comme si c'était la veille quand j'ai enfin acheté de CD quelque part dans les années 2000. Un disque qui reste sympa malgré tout, et bien dans le jus des glorieuses 80s.
Seule réelle divergence, comme l'a déjà souligné Sam’ plus haut : je peine à voir dans “Raise Your Fist And Yell” un “Constrictor 2”, tant il sonne heavy en comparaison des tendances pop de celui-ci. Malgré une équipe en grande partie identique, “Raise…” est selon moi le seul album de Cooper qu’on puisse qualifier de 100% Heavy Metal, dépouillé de toutes les tendances Classic Rock/Hard Rock qui font la versatilité de son style habituel. Seul “Brutal Planet” arriverait éventuellement derrière, mais sa prod’ résolument indus’ le disqualifie pour prétendre au label “Heavy Metal” au sens traditionnel du terme.
Hormis cette nuance d’appréciation, chapeau bas copain pour ce travail d’orfèvre !
Merci pour la kro(strictor) ! :)
Tout comme PhuckingPhiphi, je ne comprends absolument pas que tu puisses rapprocher ce "Constrictor" en "carton pâte" avec le tellement plus saignant et agressif "Raise Your Fist and Yell".
Petite appartée: "Wiplash Smile" de Billy Idol, oeuvrant dans une toute autre catégorie d'ailleurs, possède une couleur propre a ces années de productions dites "synthétiques". La différence majeure est que Billy Idol avait délibérément marié ces sons de programmations rythmiques à la guitare de Steve Stevens pour créer ce singulier et jouissif mélange de Hard/Pop. Expérience qu'il poussera encore d'avantage sur "CyberPunk" en 93. Sa marque de fabrique en quelque sorte.
Le son de ce Constrictor n'a donc absolument rien de commun en comparaison. Oups ! Voilà que je m'emballe...
La suite ! La suite ! Et bonne année à tous !!!
Bizarrement ou pas, je vieillis et ma mémoire s'étiole mais je n'ai pas gardé un grand souvenir de ce Constrictor, tout juste He's back en que fan de horror movies, je préfère et de loin Raise paru après.
Petite correction sur le 1er paragraphe si je puis me permettre "Alors qu'il était déjà épais comme un stylo Bic, il se leste d’une vingtaine de kilos", il se "déleste" est la tournure voulue je pense. Et bonne année !
Très bon album acquis il y a qlq mois. Si la production est très 80 (bonne ou mauvaise), cet album est 1 concentré d'A. Cooper qui se rapproche qualitativement de celle des 70's.
Cette succession dans les 80/90 de 4 grands albums est 1 régal.
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