Evoquer «
Black Faith » sans une once de gêne n'est pas chose aisée pour tout fan de
Cancer. Rappelons d'abord les faits.
Cancer c'est avant tout deux albums, «
To the Gory End » et «
Death Shall Rise », deux pièces maîtresses du Death
Metal anglais – voire plus largement du genre entier – sorti au début des nineties. Proposant des riffs sans fioritures, incisifs et sauvages les Anglais montraient alors aux yeux du monde que le Death n'était pas uniquement l'apanage de la scène floridienne, aux côtés de leurs camarades anglais de
Carcass et de
Napalm Death pour ne citer qu'eux. Pourtant les choses commencent à se corser un peu pour John Walker et sa bande avec la sortie en 1993 de «
The Sins of Mankind », un album un peu décevant pour le fan de la première heure dans la mesure où
Cancer lorgne vers une rythmique plus thrashisante ce qui fait perdre au groupe sa patte death bien glauque. Un léger écart donc qui saurait être vite pardonné, rien de plus. Ce bref rappel nous amenant donc par la force des choses à aborder le cas problématique de «
Black Faith » sorti deux ans plus tard. A la fois décrié par la critique et discrédité par les fans lors de sa sortie, l'avant-dernier effort des Anglais est souvent considéré comme le maillon faible de la discographie du groupe. Nous avons donc déjà plus ou moins annoncé la couleur : «
Black Faith » ne signe en aucun cas un retour en force de
Cancer. Toutefois n'est-il pas trop hâtif d'en venir à cette conclusion ?
Inutile de se le cacher, plusieurs éléments jouent clairement en défaveur du groupe sur cet opus. A l'instar du précédent album les anglais changent totalement de rythmique et opte pour un son rond beaucoup plus heavy qui enterre définitivement les teintes death ou thrash jusqu'alors employées. La production se veut plus lisse, plus propre, plus peaufinée ce qui laisse finalement le deathster aguerri sur sa faim si ce n'est blasé. Ainsi Walker abandonne complètement sa voix éraillée et passe à un chant clair qui au passage fait clairement perdre au frontman de sa superbe. Oubliés les «
Die,
Die » repris à tue-tête et les tonitruants «
Cancer fucking
Cancer ». Du même coup nous sentons malgré nous la volonté du groupe de cibler un public plus large, fondamentalement différent de celui des trois premiers albums. Une ouverture vers un
Metal plus mainstream ? En tout cas un certain Black Album est assurément passé par là et semble avoir indéniablement influencé les Britanniques dans leur orientation musicale...
Néanmoins ce côté plus aseptisé que certains relèveront est au service d'une ambiance assez particulière qui témoigne aussi d'une démarche différente. En effet la musique des Britanniques repose à la fois sur des « main-riffs » plutôt simples avec un esprit légèrement indus et mécanique à la
Ministry (assez notable sur « Ants –
Nemesis Ride »), parfois agrémentés d'une touche Death 'N Roll comme sur l'album « Swansong » de
Carcass (le côté Death en moins...). Quelques teintes légèrement progressives peuvent également être détectées tout au long de l'écoute.
Outre les pistes instrumentales comme celles de
Temple Song aux côtés hypnotique et astral, nous pouvons faire allusion ici au solo de « Who Do You Think You Are » dont l'esprit épuré peut rappeler celui de «
Twisted Truth » par exemple (
Pestilence - «
Testimony Of The
Ancients »), ou encore insister sur les effets de la partie guitare qui manient différents phénomènes de phaser et d'échos sur la plupart des morceaux, complétés enfin par des passages acoustiques plus sereins. Curieusement «
Black Faith » arrive ainsi à proposer une atmosphère tout à fait atypique avec son Heavy froid derrière lequel se glissent en toile de fond des passages plus fignolés, parfois bien trouvés finalement. Le tout faisant montre d'une certaine cohérence.
Pour autant cela ne suffit pas à faire de «
Black Faith » un excellent album car nous constatons rapidement les lacunes du produit fini. Même si l'ambiance générale de l'album est somme toute agréable à l'écoute, pour peu que l'on ait décidé de mettre ses attentes de côté, le rendu reste assez linéaire et se veut un brin mou tout bien considéré. Même les pistes les plus énergiques comme celle d'« Highest Orders » ou de «
Save Me From Myself » ne permettent pas à l'album de se requinquer en cours de route. D'autant plus que certaines pistes sont plus ou moins dispensables («
Kill Date » ou « White
Desire » par exemple ; voire même les pistes instrumentales justement qui se veulent expérimentales sans l'être vraiment pour autant). Dans ces conditions la démarche du groupe peut se révéler intéressante sur le papier mais dans les faits nous nous apercevons assez rapidement que
Cancer ne tourne pas à plein régime. Ce qui explique d'ailleurs en partie la séparation du groupe survenue un an plus tard, en 1996. Face à une critique plutôt plutôt véhémente à l'encontre de l'oeuvre et face à un public peu réceptif, il est facile d'imaginer à quel point «
Black Faith » a pu peser sur l'ensemble du groupe et précipiter son split.
«
Black Faith » est donc un cocktail amer mêlant incertitude, incompréhension et déception pour le fan de la première heure ayant fait son cursus honorum dans le
Metal extrême. Ce qui permet finalement de ranger l'oeuvre aux côtés de toute la pléthore d'albums sortis au milieu des années 90 sur lesquelles des groupes de formation extrême glissaient vers des terrains plus heavy ou death 'n roll, le tout peinant sérieusement à convaincre au regard de leurs albums précédents (Feel Sorry For The Fanatic de
Morgoth ou Swallow The
Snake de
Desultory peuvent notamment nous venir en tête).
Plus accessible, qu'à cela ne tienne,
Black Faith comporte toutefois ses propres subtilités ce qui montre qu'un travail a été fourni en amont : le tout se reflétant assez bien à travers cette ambiance si particulière, qui manque pourtant de profondeur et d'intensité.
Dans tous les cas est-ce que la valeur d'un album se mesure uniquement au contexte dans lequel il s'inscrit et en regard avec la discographie du groupe ? La question mérite d'être posée car avec du recul – à l'instar de « Swansong » qui semble mieux passer auprès des fans à présent qu'auparavant – «
Black Faith » ne mérite pas le « bash » qu'il a reçu à sa sortie. Il semble évident que l'album présente de nombreux points faibles, tant sur le fond que sur la forme, qui ne permettront jamais de le réhabiliter complètement. Peu importe si le chroniqueur se fait l'avocat du diable. Mais à défaut d'apprécier l'avant-dernier effort des Britanniques, sortir «
Black Faith » de son placard poussiéreux pour y prêter écoute peut s'avérer intéressant car, étrangement, «
Black Faith » semble aussi résister à l'épreuve du temps et présenter un intérêt qui pourrait surprendre les plus curieux d'entre nous.
12/20.
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