Octobre 1984 en France. Banlieue parisienne. Au pied d’immeubles fraîchement rénovés, quelques Peugeot 103 pétaradent, chevauchées par des «Hardos» en guerre contre les «Funks». Sapés en Spandex motif léopard ou dentifrice, T-Shirts
Tokyo Blade sous les perfectos, franges Dickinson au vent, ceux qu’on n’appelle pas encore les «Métalleux» se ruent vers le kiosque à journaux le plus proche pour s’y procurer le dernier Enfer Magazine (classé avec les revues érotiques et non avec les mensuels musicaux). Ils n’ont que deux pièces de 10 balles et quelques centimes dans la fouille. Enfer est à 12 francs, ils achèteront aussi un paquet de Marlboro à 8,20 F. Tiens, c’est
Angus qui fait la couv’ ! Vite, les chroniques de Bruno Bages et de Bruno «Tequila» Khaled ! La rumeur dit qu’un groupe de dingues va arriver en import à Juke Box, avenue du Maine, dans le 14ème. Un truc qu’on n’a encore jamais entendu !
Jag Panzer. Merde ! Les mecs d’Enfer sont passés à côté, trop occupés à écouter en boucle Ride The
Lightning, Rock’N’Roll Secours,
Sign Of The
Hammer et
No Remorse. Tant pis.
Effectivement, de l’autre côté de l’Atlantique, à l’Ouest des Etats-Unis, plus précisément dans la ville de Colorado Springs, au pied des montagnes rocheuses, quatre adolescents s’affairent depuis trois ans déjà. Harry Conklin, chanteur surpuissant capable de ridiculiser Rob
Halford,
Bruce Dickinson, Eric Adams ou
John Arch, et portant de surcroît le doux surnom de
Tyrant, cherche un nouveau nom pour son groupe, préalablement baptisé…
Tyrant.
Pas de chance, le patronyme existe déjà. Harry veut une image évoquant sa musique : violente, radicale, sans pitié. A la bibliothèque de son quartier, il tombe sur une photo de blindé allemand, le Jagdpanzer, et décide d’adopter ce nom sans autre forme de procès. Cependant, incapable de le prononcer correctement, il finit par enlever le «d» et scinder le nom en deux parties.
Jag Panzer vient de naître officiellement.
Partis tenter leur chance à L.A . en 1983 sous l’impulsion d’Andrew Banks du fanzine «Heavy
Metal Times», les quatre potes viennent de rentrer de la Cité des Anges queues entre les pattes. Ils ramènent pourtant dans leurs valises un petit nouveau,
Joey Tafolla, shredder californien, attiré par la réputation locale que s’est bâtie le combo dans le circuit des clubs de Denver. Conklin ne sait pas encore que Joey n’est autre que la pièce qui manque à son puzzle. En effet, malgré des répétitions interminables et d’innombrables concerts, le groupe ne parvient pas à décoller, à passer au stade supérieur. L’EP 4 titres enregistré l’année précédente pour Azra Records est passable, Harry le sait, mais il a en tête une vision folle, un attentat digne du nom choisi pour son combo. Tafolla sera le déclencheur de la bombe.
Jag Panzer est composé d’excellents musiciens, ayant parfaitement intégré les codes de la NWOBHM dont ils sont de fervents admirateurs. Mais à l’instar de la scène de San Francisco, Conklin et ses sbires ne veulent pas se contenter de copier. Ils expérimentent, cherchent à intégrer les influences mélodiques venues du Vieux
Continent tout en essayant de développer un son et une identité qui leur seront propre. Leur musique doit rester américaine. Un peu crade. Le Thrash ne sera pourtant pas leur créneau, Harry cherche autre chose. C’est sa voix surnaturelle qui doit évidemment être mise en avant, mais cela ne suffit pas. L’accompagnement doit la magnifier. C’est l’erreur qui avait été commise sur le premier EP : des compositions trop banales, évoquant vaguement un mauvais groupe de la Bay
Area servaient de base à des lignes de chant torturées. On n’y reprendra pas Conklin. Branle-bas de combat en répétition, il faut tout revoir, retravailler les morceaux. Tafolla a été engagé pour faire avancer
Jag Panzer et il se met au travail, entraînant les quatre autres musiciens dans un tourbillon de créativité et de violence. Ce n’est pas une simple pierre que Joey apporte à l’édifice... Architecte visionnaire, il va faire d’une bicoque un palais digne des plus grands. Sous l’impulsion du maître guitariste, le groupe provincial de seconde zone va accoucher en six mois -enregistrement compris- d’un chef d’œuvre qui finira idolâtré par des milliers de metalheads à travers le monde. Si
Joey Tafolla et Harry «
Tyrant» Conklin réunis sont indéniablement la clé de voûte de cet album, il faut tout de même saluer le travail des trois autres musiciens, Mark Briody, second guitariste inspiré, John Tetley à la basse et Rick Hilyard derrière les fûts.
Leurs nouvelles compositions seront plus complexes et plus fines sans toutefois trahir l'esprit brutal et direct de leurs débuts.
Exit le son cradingue et sourd de l’EP «
Tyrants», «
Ample Destruction» offre cette fois un bon mix, caractéristique des groupes underground des 80's: son de guitare et de batterie bruts en tête.
Plusieurs morceaux sont donc retravaillés, notamment «The
Crucifix» qui devait figurer sur l’EP [Mark Briody n’ayant pas de guitare acoustique, il avait prévu d’en louer une au magasin de musique local, mais la guitare avait déjà été empruntée !] Et le résultat est bluffant. Dès les premières de note de «License to
Kill», l’auditeur est pris à la gorge, otage des riffs hargneux de la paire Briody / Tafolla, et surtout du psychopathe
Tyrant qui s'impose de manière visionnaire avec ses chœurs suraigus façon
Halford sous LSD, voire
King Diamond castré (Scrrrreammmmm !!!) et d’autres hyper graves, pas encore des growls mais quelques années plus tard cela aurait peut-être été le cas (A -TI-GER IN A CAGE !), l’ensemble évoquant le
Power américain qui n’était pas encore né.
Chaque chanson nous réserve une nouvelle surprise dont on ne se lasse pas, malgré les années et le nombre d’écoutes hebdomadaires. Ainsi
Warfare vous fera vous demander à quel moment
Tyrant reprend sa respiration, Generally Hostile et ses chœurs de brutes épaisses («NO MERCY») vous donneront des envies de meurtre salvateur, le passage en harmonie croisée d’Harder Than Steel évoquera aux connaisseurs le
Fates Warning des grandes heures - celui d’ «Awaken
The Guardian»- … Je ne m’étendrai pas plus longtemps, car «
Ample Destruction» synthétise finalement toute la magie des grands groupes de la NWOBHM de ce début de décennie, à commencer par Iron Maiden et
Judas Priest, en y ajoutant ce qui manquait peut-être à notre Europe trop sage : la violence et la crasse.
Pour la sortie de l’album,
Jag Panzer donne un concert à Colorado Springs. Les potes de Conklin distribuent des flyers dans les rues depuis 2 mois, mais le patron du club qui les accueille table sur 50 entrées maxi, à savoir les pénibles habituels qui suivent la bande d’énervés. Ce sont finalement 425 personnes précisément qui débarquent dans le petit rad. Le concert est chroniqué élogieusement dans la presse, et l’album sort le lendemain, toujours chez Azra Records. Il reçoit miraculeusement, mais à juste titre, une critique unanime et dithyrambique. La légende est en marche. «
Ample Destruction» devient culte en quelques mois grâce au bouche à oreille et aux fanzines. Ce classique underground ne sera pourtant disponible en Europe qu’en import, personne chez nous n’ayant trouvé le groupe assez intéressant pour signer un deal de distribution. Qu’importe, le jagdpanzer avancera et sèmera la mort sans se retourner partout dans le monde.
Retour en France. Décembre 2010. Juke Box Disques a mis la clé sous la porte depuis trop longtemps. Les vieux numéros d’Enfer Magazine ne sont plus lus que par des nostalgiques de l’époque où les paquets rouges coûtaient 8,20F. Les Spandex sont religieusement remisés dans un tiroir du dressing au côté de vestes patchées et autographiées au marqueur. «
Ample Destruction» continue à tourner sur ma platine.
Zaz je ne vois ton com que maintenant. Ah bon ben je me trompe alors. L'amalgame avec la Vierge de Fer ne s'arrête pas là tellement les vocalises du chanteur possèdent parfois la même tessiture que Bruce D.
Un bien bel album quoiqu'il en soit.
Hate de les voir au Pyrenean le mois prochain
J'aimerais tellement venir au Pyrenean, mais c'est toujours compliqué pour moi professionnellement à cette période. Mais là, pour Jag, je tenterais bien un AR eclair... A voir. Je n'ai vu Tyrant live qu'une seule fois, en 2019 au Whisky A Gogo, il jouait dans le super groupe "Three Tremors" avec Ripper Owens. Voir ces deux là reprendre Painkiller valait son pesant de cahouètes mais aucun titre du Ample Destruction, juste "Black" de "4th Judgement", terrible. Je viens de m'offrir le CD-book HRR qui présente toutes les pochettes, mais pas de précisions sur les dates des artworks. Un des albums de ma vie que j'écoute toujours autant, immortel.
Tu sais ce que valent les autres albums ?
Je n'ai en dur que "Fourth Judgement" (1997) qui est très bon mais n'atteint pas le niveau de celui-ci bien sûr. C'est à mon avis le meilleur après "Ample Destruction", mais je ne connais pas leur albums récents.
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