Appeler son nouveau disque "A
Kiss for the Whole Word" en cette période plutôt trouble et fataliste est en soi déjà une déclaration d’intention. Mais comme il s’agit de
Enter Shikari, on ne peut finalement pas vraiment être surpris.
Toujours aussi insondables dans leurs choix, leurs sorties très dynamiques avec des titres individuels régulièrement, des opus de remix gérés par le groupe lui-même, des réinterprétations de morceaux durant le covid sur "
Moratorium" (disponible en petites quantités uniquement via le groupe) et puis, à intervalles réguliers, un album “traditionnel” full-length. C’est presque par surprise (surtout désormais que les groupes annoncent leur albums 6 à 8 mois avant) que
Enter Shikari déballe ce nouvel opus avec quelques titres déjà dévoilés.
"
Nothing is
True, Everything is Possible" et son attaque frontale contre les médias passée, l’album renouait surtout avec une variété qu’avait totalement perdu "
The Spark". Sans posséder le génie de "AFFOC" et "
The Mindsweep", il rassurait néanmoins sur la bonne santé (musicale) de Rou Reynolds et sa capacité à renouveler constamment ce gloubi-boulga hétérogène où l’improbable se mélange dans une délicieuse incohérence dont seul les britanniques sont capables.
"
A Kiss for the Whole World" surprend avant même de débuter par sa durée.
33 minutes.
C’est court, surtout pour un groupe aussi bordélique. Mais après tout, faut-il s’arrêter à ça ?
Une fois les premières écoutes digérées, l’opus prend forme dans cet intervalle de temps, sans que cela soit préjudiciable, même si on pourrait parfois penser à une sensation de trop peu.
L’intro éponyme, ses trompettes, son riff et sa batterie punk / hardcore et la voix unique de Rou ne trompe personne. C’est un
Enter Shikari en forme qui arrive, pas décidé à se calmer et qui semble toujours autant s’éclater à mélanger les couleurs improbables dans sa musique. Produit comme son prédécesseur par son leader / chanteur / multi instrumentistes, le son a gagné énormément en épaisseur, explosant à de nombreux moments pour immerger totalement l’auditeur dans le délire musical de son créateur.
Encore plus que les autres opus, l’album s’écoute d’une traite, les frontières entre les compositions étant parfois troubles et (volontairement) sortant des schémas habituels. Des titres coupés en deux pistes ("
Bloodshot"), des morceaux sans refrains, des instants bruitistes ("Feed your Soul") mais aussi des moments qui ressortent intelligemment pour déjà imaginer le live (bien que l’on sache que les morceaux subiront, là encore, de multiples mutations). Je pense par exemple au très aérien I"t
Hurts", aux accents pop comme le quatuor sait si bien le faire, entre un refrain imparable, des couplets aux sonorités bizarres et tout un tas d’arrangements vocaux improbables pour conférer une saveur et une originalité comme seul
Enter Shikari sait le faire (ces sons breakstep sont, évidemment, toujours de la partie). Le groupe est désormais tellement unique, mangeant allègrement dans tellement de gamelles, qu’on ne dit plus “on dirait ceci mélanger à cela” mais simplement “c’est du
Enter Shikari”. Une personnalité de premier plan qui s’éclate toujours autant dans chaque recoin de ses compositions.
"
Dead Wood" fait renaître les violons et violoncelles mais aussi certains des cris les plus arrachés de l’album, alors que les guitares n’apparaissent pas avant le dernier tiers (dans la pure tradition de nappes sonores comme "
The Mindsweep" là énormément utilisé avec par exemple "The Last Garisson"). (pls) Set me On
Fire aurait très bien pu apparaître sur les deux premiers disques dans ses consonances électroniques, tout comme "
Bloodshot" qui risque de tout détruire en live dans ses consonances industrielles. Rou parvient pourtant à créer une sensibilité sur ses parties chantées, contrebalançant parfaitement avec la déshumanisation du reste de la composition, lourde à souhait, avant que sa conclusion ("
Coda") ne s’achève dans des orchestrations presque héroïques (comme c’était le cas sur "
Elegy for
Extinction"). "Goldfish" pourrait être plus “classique” pour le groupe, mais cet adjectif est tellement étrange pour ce groupe qu’on pourrait simplement dire qu’il est dans la tradition de ce que sait proposer le groupe (débrouillez-vous avec ça et écoutez).
Quant à cette conclusion "Giant Pacific
Octopus" de 2min30 (et sa suite de seulement 1min) … on pourra dire qu’on y retrouve le refrain le plus percutant du disque, du rap, des sonorités drum’n bass mais aussi des références aux albums précédents. On croirait presque un jeu (le groupe, lui, semble s’éclater en tout cas). Comme de s’arrêter si “brutalement” pour proposer cette seconde partie semblant être un remix qui s’enfonce dans l’infini, s’arrête et …
End. Bis Repetita. Car recommencer l’album au début parait totalement logique dans ce chaos bordélique savamment organisé.
On ne sait pas forcément quoi en penser, mis à part qu’on a aimé ce qu’on écoute, qu’
Enter Shikari est toujours taré et qu’en une demi-heure, ils en disent toujours plus que certains en 80 minutes. Donc oui, "
A Kiss for the Whole World" est un
Enter Shikari en forme, déluré, toujours impertinent et délicieusement décadent. Un véritable foutoir coloré. En voici une belle étiquette.
Je me doutais que ta chronique allait arriver sans tarder.
Excellente surprise en effet que ce Enter Shikari qui se retrouve et synthétise ici ce qu'il fait de mieux. L'album a de grandes chances de finir dans mon top en fin d'année.
Sinon, tant que j'y suis, une question me brûle les lèvres depuis longtemps : connais-tu le groupe Port Noir, et surtout l'album "The New Routine" (leur dernier en date m'ayant nettement moins plu) ? C'est moins dingo qu'Enter Shikari, mais sur le disque en quesiton je retrouve bien le mélange de rock/metal et d'electro (et même une pointe de hip hop dans la sauce) qui m'a plu chez la bande à Reynolds. Alors niveau références, je vois plutôt du Rage Against the Machine pour certains riffs, du Muse pour ce qui est plus pop/rock, une mélancolie qui me rappelle une certaine vague de groupes nordiques allant de Agent Fresco à Leprous (d'ailleurs ils ont donné des concerts avec ces derniers), mais pour sa capacité à mélanger aussi savamment des parties electro bien mises en avant avec des sonorités metal, Port Noir est toujours une référence qui me vient à l'esprit en même temps qu'Enter Shikari. Je me dis que ça pourrait bien te plaire si tu ne connais pas.
Hey :)
Je me souviens qu'ils avaient tourné avec Leprous oui, le nom me parle mais je n'ai jamais écouté ! Vu tout ce que tu en dis, je vais aller jeter une oreille là dessus car le menu m'a l'air plutôt alléchant
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