Evergrey

Evergrey continue, album après album et avec une régularité impressionnante depuis ses débuts, à nous abreuver du meilleur metal progressif possible. Depuis la consécration de “Hymns for the Broken” en 2014, ils enchainent les pépites et les brulots émotionnels à couper le souffle sans presque aucune fausse note. Suite à un “The Heartless Portress” bien plus sombre et dramatique, “Theories of Emptiness” semble marquer un tournant, un changement autant dans la production que dans certaines aspérités plus modernes, sans pourtant jamais renier une once de son passé. 

C’est Jonas Ekdahl, batteur de son état, compositeur et responsable d’une partie de l’enregistrement, que j’ai eu la chance de m’entretenir pendant plus d’une demi-heure, lui qui vient d’annoncer son départ du groupe concernant les tournées et les concerts mais déclare rester dans l’entourage proche et créatif d’Evergrey pour les prochaines années. Faisons le point.

[Par Eternalis]

 

 

Salut Jonas ! Comment vas-tu ? Es-tu excité à l’idée que les gens écoutent le nouvel album ?

Je vais bien ! Je suis un peu malade et si je parle du nez il ne faudra pas m’en vouloir (rires). 

Oui, complètement ! Il reste moins d’un mois avant la sortie et je suis vraiment excité que les gens le découvrent. 

 

Peux-tu décrire “Theories of Emptiness” de ton propre point de vue ? Intérieur au groupe ? Aviez-vous une idée précise pour succéder à “The Heartless Portrait” ?

Non, pas vraiment. Nous avons simplement commencé à écrire comme nous le faisons habituellement, avec l’idée d’écrire de grandes compositions. 

La principale différence vient sûrement du fait que Johan, notre bassiste, a apporté la plupart des idées principales pour ces nouvelles compositions. Il a beaucoup écrit et nous étions, Tom et moi, à agencer ses idées pour leur trouver du sens dans une chanson d’Evergrey. C’était vraiment très enrichissant en termes d’écriture car c’est souvent Tom ou moi qui amenons les chansons et cela a probablement changé beaucoup de choses cette fois-ci. C’était une situation différente du passé et cela nous a aussi enlevé un certain poids des épaules. Johan s’est révélé un super compositeur et nous a beaucoup surpris tant il avait envie d’apporter des idées. 

 

Une autre différence avec vos précédents disques est que Jocob Hansen ne l’a pas mixé (il avait mixé les cinq précédents). Pourquoi et comment avez-vous choisi Adam Nolly ?

Nous voulions changer quelque chose, nous mettre un peu en danger et avoir un autre point de vue. Le processus a été exactement le même pour les quatre derniers albums et nous nous sentions un peu trop en sécurité avec notre façon de faire. 

Nous voulions un changement. Je suis un énorme fan de Adam Nolly parce qu’il aussi un ingénieur technique pour la batterie et je suis un énorme fan de ses productions, surtout sa façon de faire sonner la batterie (sourires). Tom aime aussi le côté punchy de ses mix et Nolly fut le premier gars que nous avons appelé pour le mixage. C’est aussi le seul (rires). 

Il a été très excité à l’idée de travailler avec nous sur ce nouvel album car nous ne sommes pas un groupe habituel pour lui. Nous avons beaucoup parlé du son à donner à la batterie, à la basse et aux guitares et c’était une expérience énorme pour nous, surtout moi qui suis un “fanboy” de Nolly ! C’était un peu un rêve qui devient réalité et c’est en plus un gars très sympa, avec qui nous avons passé de bons moments. 

 

"La principale différence vient sûrement du fait que Johan, notre bassiste, a apporté la plupart des idées principales pour ces nouvelles compositions."

 

Il a travaillé avec des groupes beaucoup plus modernes que vous, comme Periphery, Animals as Leader ou Architects, avec une touche metalcore indéniable. Penses-tu qu’il a été capable d’amener Evergrey à un niveau plus élevé ? Qu’il vous a permis d’avoir une autre approche et qu’il a apporté des idées que vous n’auriez pas eu ?

Oui, absolument ! Il a été intégré dès le début de l’enregistrement de l’album. Quand Tom et moi avons travaillé sur les démos, il était déjà dans le processus et il nous faisait des feedback en apportant des idées pour le mixage. Quel genre de son nous pourrions avoir sur l’album, un son moderne et punchy mais qui reste organique. Le son de cinq gars qui jouent ensemble mais avec une approche moderne et “super punchy”. Nous sommes vraiment contents de ce qu’a fait Nolly sur cet album. 

 

Je pense par exemple à “Say”, ce passage après le solo qui est très lourd et qui sonne justement très moderne !

Je vois exactement le passage dont tu parles ! C’est un passage que Tom a écrit et nous n’étions pas sur de le garder d’ailleurs (rires). Nous étions “c’est un riff avec un son à la Meshuggah” avec toute cette distorsion. Mais ça sonnait aussi vraiment bien. Ce titre est segmenté en trois sessions et nous n’avions jamais fait quelque chose comme ça avant. C’est une direction très progressive je dirais, dans l’approche, d’essayer d’apporter de nouvelles choses. 

 

Dans une précédente interview pour “Escape of the Phoenix”, Tom m’avait dit qu’il composait toujours au clavier ou au piano avec sa voix, et qu’il intégrait ensuite les guitares, la basse et la batterie. Quelle est ta méthode, en tant que batteur ?

Je commence toujours à écrire sur un riff de guitare ou sur une mélodie au piano. Je cherche un son, un thème qui m’inspire ou une mélodie. C’est aussi simple que ça et après, j’essaie de la faire évoluer. Je commence peut-être plus sur un riff de guitare que Tom. Ce qui est sûr, c’est que je ne commence jamais par la batterie (rires). La batterie arrive toujours en dernier. 

 

Dans beaucoup de groupes, celui qui compose est le chanteur ou le guitariste. Est-ce que tu penses que tu as une approche différente car tu es batteur ?

Je pense oui. Je pense avoir une autre approche quand je touche à une guitare ou un clavier, une autre sensibilité que les autres gars car je suis un batteur. Je pense peut-être de façon plus intuitive, plus rythmique et j’élabore les choses en pensant à la batterie. Parfois, les autres écrivent des chansons et pensent à des plans super cool pour la batterie et j’arrive en disant “Hum, vraiment ? “ (rires). On va essayer mais je ne promets rien !

Au final, la chose la plus importante est la chanson en elle-même et c’est pour cela que nous retravaillons ensemble chaque titre. 


 

Parlons un peu de ta situation personnelle. Tu as annoncé quitter le groupe car tu ne souhaitais plus tourner ou faire de concerts. Je suppose que ça n’a pas été une décision facile à prendre ?

En fait, si. J’ai pris cette décision en juillet de l’année dernière et j’étais à 100% sûr que c’était la bonne décision à prendre et la plus honnête. 

C’est le mieux pour le groupe et je n’avais plus cette passion pour tourner ou jouer en live et je veux être vraiment juste envers les autres gars du groupe. Je veux me consacrer à l’écriture, au mixage, au travail de studio car c’est là que je me sens le plus créatif et inspiré donc je veux y mettre toute mon énergie. 


 

Tu restes donc dans le line up officiel pour les futurs albums studio ?

Et bien … officiel je ne sais pas. Je reste impliqué dans la composition et le travail de studio c’est certain. [ndlr : je demande ensuite quand sera annoncé le nouveau batteur - il me répond “Très bientôt” -  chose qui sera faite le lendemain en la personne de Simen Sandnes qui joue avec Shining ou Temic].

 

"Je n’avais plus cette passion pour tourner ou jouer en live et je veux être vraiment juste envers les autres gars du groupe. Je veux me consacrer à l’écriture, au mixage, au travail de studio car c’est là que je me sens le plus créatif et inspiré donc je veux y mettre toute mon énergie. "

 

Tu expliques que tu ne veux plus tourner car tu n’as plus la même passion pour les concerts et ça me fait penser à Nightwish qui a aussi annoncé qu’ils ne tourneraient pas pour la promotion de leur futur album. 

Penses-tu que pour les musiciens, les tournées à travers le monde de façon répétée est épuisante et difficile sur le long terme ?

Je pense que ça dépend des gens. Je ne peux pas donner de réponse générale à ça. Si tu aimes tourner, voyager et visiter divers pays, c’est un rêve. On rencontre des gens tous les jours. Si tu es dans cet état d’esprit, tourner sera la meilleure chose à faire au monde. J’ai pensé ça pendant des années et je trouvais que c’était la chose la plus excitante. 

Etre face à des gens qui apprécient ce que tu fais, jouer tous les soirs dans des salles devant des gens qui t’aiment, c’est énorme et c’est très gratifiant. 

Aujourd’hui, je préfère en revanche être créatif et écrire des chansons. Je trouve que c’est là que je suis plus en “action” plutôt que de jouer tous les soirs de vieilles chansons. 


 

Peux-tu me parler du concept lyrique de “Theories of Emptiness” ?

Il s’agit d’un concept général sur le “vide” basiquement. Tom y évoque différents angles et façon de ressentir ce vide. Celui de perdre quelqu’un, un ami ou un amour. Celui de ne pas accomplir un objectif également ou de sentir en situation d’échec, ce sentiment de vide que l’on peut ressentir dans la vie de tous les jours. Il le pense aussi de façon positive, celui de se sentir en paix ou d’aller dans la bonne direction en laissant derrière soi des émotions négatives. Beaucoup de personnes voient la sensation de vide comme quelque chose de mauvais mais Tom a voulu aussi traiter ce sujet dans l’autre sens, quand faire le vide autour de soi est la meilleure chose à faire pour aller de l’avant. 


 

Je pense au texte de “Ghost of my Hero” par exemple, qui évoque le fait de se retrouver en paix avec soi-même après la perte de quelqu’un une fois que le temps est passé … c’est un magnifique texte …

Je suis d’accord avec toi. Tu vois, c’est encore une chanson que Johan a écrit en quasi totalité, sauf les arrangements orchestraux. Il traite de la perte de son père, son “héros”. C’est un titre très fort, très “heavy” émotionnellement et c’est quelque chose de très personnel. Tom ne savait pas s’il pourrait le chanter au début mais il a beaucoup parlé avec Johan de la façon de l’interpréter et il voulait que ce soit comme une célébration de la vie, et non quelque chose de triste. 

C’est un sujet universel et tout le monde peut s’y rattacher, se retrouver dedans et c’est ce qui le rend si fort. 

 

C’est assez fou parce que, album après album, Evergrey reste toujours aussi fort d’un point de vue émotionnel. Vous restez toujours aussi honnête avec la musique là où beaucoup de groupes changent avec le temps, avec les modes, avec les producteurs ou les fans qui changent simplement… mais vous non. Evergrey reste Evergrey ! Merci pour ça !

Merci beaucoup pour ces mots ! C’est très gratifiant d’entendre ça. Comme tu dis, nous restons simplement nous-mêmes et nous cherchons simplement à écrire la meilleure musique que nous pouvons à un instant donné. 

Chaque expérience est une nouvelle expérience d’enregistrement et, même si nous avons changé d’équipe cette fois, cela reste les mêmes musiciens. Nous évoluons en tant qu’hommes, nous avons grandi album après album mais je ne sais pas si nous avons vraiment changé. Nous découvrons de la nouvelle musique, de nouvelles personnes et tout cela nous inspire mais nous restons avec le même but : nous élever en tant que musiciens pour faire la meilleure musique possible. 


 

Jonas Renkse de Katatonia apparaît sur “Cold Dreams” et nous aurions pu imaginer un titre mélancolique à deux voix mais il chante en growl et le titre est plutôt intense. Qui a décidé de la façon dont il allait chanter ?

Nous voulions un guest sur cet album et la première question était de savoir si nous voulions un chanteur ou un gars pour growler et hurler afin de créer un contraste avec la voix de Tom (sourire). Jonas et Tom se connaissent depuis des années, quand ils avaient collaboré avec Arjen Lucassen pour un album de Ayreon [ndlr : sur “01011001” en 2008]. Ils étaient devenu amis rapidement et ils discutaient un jour quand Tom a dit “Et si on invitait Jonas sur l’album ?”.

Nous connaissions aussi sa voix death avec Bloodbath par exemple et nous avons directement pensé à le faire intervenir dans ce style là. Il ne growl plus ces dernières années mais il est évidemment possible de le faire s’il le souhaite. C’était une expérience très cool que de l’avoir sur l’album ! 

 

"Beaucoup de personnes voient la sensation de vide comme quelque chose de mauvais mais Tom a voulu aussi traiter ce sujet dans l’autre sens, de façon positive"

 

C’est un titre vraiment puissant. C’est d’ailleurs une force encore de cet album. On peut headbanger, chanter ou même pleurer en l’écoutant … est-ce que vous réalisez que vous êtes si “complet” ?

Je pense que nous avons un spectre assez large quand nous écrivons effectivement. Notre plus grande force dans la musique et la composition c’est que nous pouvons passer d’un passage soft au piano très émotionnel à un tempo rapide vraiment heavy et que nous arrivons aussi à inclure des choses entre les deux. Nous ne nous imposons aucune limite à pousser les extrêmes dans les deux sens pour avoir des contrastes très fort et ainsi avoir une vraie dynamique dans la musique. 


 

Peux-tu me parler de l’artwork de l’album, qui est très différent des précédents. On peut y voir une constellation à la place du cerveau et surtout, elle est plus simple que les autres ?

Une des choses que voulait Tom est que ce soit différent des autres albums pour là aussi apporter de la nouveauté. 

Il voulait quelque chose de plus scientifique, de plus intelligent en fait (rires). Je plaisante bien sûr mais il revenait sans cesse sur le fait que les pochettes d’avant étaient illisibles sur un petit écran, sur un téléphone, qu’il y avait trop d’éléments, trop de couleurs. C’était magnifique sur un vinyle mais je pense que pour ceux qui n’ont pas l’objet entre les mains, l’image n’était pas forcément comprise par les gens car il y avait trop de détails. C’était une expérience visuelle pour l’objet physique mais pas vraiment pour les autres. 

Donc Tom a dit qu’il voulait quelque chose de plus clair, de plus précis et lisible même sur un petit format. L’artwork a donc été élaboré en ce sens et je le trouve vraiment sympa et justement, cet aspect “vide” correspond très bien au thème épuré de l’album …


 

Des gens vous ont-ils dit qu’elle ressemblait énormément à celle de “The Mindsweep” de Enter Shikari ? [Je lui montre la pochette à la caméra]

Ah ouais ok … je vois ! [ndlr : il paraît sincèrement surpris]. Tu es le premier à me le dire (rires). C’est quel groupe tu me dis ? [ndlr : Enter Shikari]. J’en ai entendu parler mais je n’ai jamais écouté et je n’avais jamais lu la pochette. Merci pour l’info !

 


 

Comment vas-tu dépenser ton temps désormais quand les gars seront en tournée ? Est-ce que tu as d’autres passions que la musique ?

Je pense que je vais continuer à écrire et produire autant de musique que je peux. Probablement d’autres artistes aussi. 

En dehors de la musique … je ne sais pas trop. Je n’ai jamais eu vraiment le temps d’avoir d’autres hobbies en dehors de ça. Je vais passer du temps avec ma famille, à méditer … et à apprendre des choses sur la musique, à surfer sur Youtube à regarder des trucs de nerd sur des amplis, des techniques de mixages et toutes ces conneries (rires). Voilà comment je pense dépenser mon temps !


 

Je te laisse terminer comme tu le souhaites. Merci pour le temps accordé et je te souhaite beaucoup de bonheur dans le futur !

Merci pour cette interview, c’était un plaisir ! Merci encore pour le support à travers les années. Je suis vraiment humble et honoré de tout l’amour que m’ont donné les fans et qu’ils continuent à donner au groupe. Un immense merci ! 


 

[Par Eternalis]

interview réalisée par Eternalis

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