Dream Theater

Interview de Mike Portnoy réalisé en collaboration avec Discordance et Shotactu.

interview Dream TheaterCommençons par votre nouvel album, Black Cloud and Silver Linings, qu’est-ce que vous pouvez nous en dire ?
(pause) Ouaaaaais, il est pas mal... (rires)

(rires) Vous pouvez détailler un petit peu ?
C’était la prochaine étape pour Dream Theater. C’est notre dixième album, cela fait 24 ans que nous jouons ensemble, donc nous avons juste fait ce que nous faisons d’habitude : une alchimie conservée par la même équipe qui était sur le dernier album, et dans le même studio. Je pense que nous avons continué musicalement dans la lignée du dernier album, constitué de journées épiques. Je pense que toutes les choses… enfin, JE pense, qu’est-ce que j’en sais ? Je ne peux pas être objectif à 100%. Mais je pense que nous avons pris les choses qui constituaient les chansons préférées de nos fans, comme notre ancienne manière de composer, et l’avons proposé avec notre son actuel.

Cela aurait été possible si vous n’aviez pas produit l’album ?
Absolument et à 100%, non. On me le demande tout le temps, les fans en parlent tout le temps, « Ils pourraient y gagner à avoir un producteur extérieur », je suis désolé, mais je ne suis pas d’accord. Chaque fois que nous avons eu un producteur externe par le passé, ça a été destructeur et ça a failli provoquer la séparation du groupe.

Quelles libertés avez-vous eu en produisant l’album vous-même que vous n’aviez pas auparavant ?
La liberté la plus totale. D’habitude le rôle du producteur est de donner forme aux chansons et de superviser la manière dont elles sont enregistrées. Mais les chansons sont déjà bien assez mises en forme ! Il y a déjà pas mal d’allers-retours quand on commence à écrire ! Moi-même, John Petrucci et Jordan Ruydess, nous savons ce que nous faisons et nous sommes des passionnés. Nous n’avons pas besoin d’une personne extérieure pour nous aider à formater, cela ne ferait que détruire l’alchimie entre nous et créerait beaucoup de frictions et de discorde, comme par le passé.

L’autre rôle du producteur est d’apporter une sorte d’expertise dans le processus d’enregistrement et pour ça, nous avons quelqu’un de l’extérieur qui nous donne son opinion et son ouïe. Nous avons travaillé avec Paul Northfield sur cet album en tant qu’ingénieur du son et de mixage pour donner vie à nos idées. Je pense que nous avons le meilleur des deux mondes : nous pouvons toujours travailler avec un ingénieur externe, mais c’est John (Petrucci, le guitariste) et moi, à la fin de la journée, qui avons le dernier mot. Si nous étions Bon Jovi et nous devions écrire des singles de 5 minutes qui devraient correspondre à une certaine formule, alors d’accord, il faudrait que quelqu’un vienne et dise (il prend la voix d’un vieil homme) « Mon petit, le refrain doit revenir une seconde fois et… ». Mais nous, nous écrivons des périples musicaux de 15 minutes, la dernière chose dont nous avons besoin est d’une autre opinion, nous en avons déjà assez comme ça.

En ce qui concerne les différentes versions de ce nouvel album, pourquoi avoir choisi d’en inclure une instrumentale dans l’édition spéciale ?
J’ai vu quelques autres groupes le faire, Nightwish, Protest the Hero, Muse et les Flaming Lips. J’ai trouvé que c’était une idée parfaite surtout pour Dream Theater puisque, à chaque fois que nous écrivons une chanson cela commence par une version instrumentale. Quand on a commencé à réfléchir à l’édition spéciale, on a pensé que ça serait une bonne idée, que les fans aimeraient peut-être écouter ça. Et j’ai aussi eu l’idée de faire des reprises en studio, ce que nous n’avons jamais fait. En live oui, mais pas en studio. Par chance, nous avons le soutien de Roadrunner. Surtout que les maisons de disque sont à la recherche de nouveaux moyens pour que les gens continuent d’acheter des CDs, les fans auront la possibilité de trouver différentes versions : le vinyle, le coffret DVD, et tous ces objets-là.

Pour les reprises, est-ce qu’il est possible d’avoir des noms ou c’est un secret ?
C’est un secret. Seulement parce que c’est la dernière chose que nous pouvons encore espérer gardée secrète ! Tout le reste est dévoilé. Et je pense que les secrets sont marrants, les fans ont au moins un truc à attendre avec impatience. Vous le saurez bien assez tôt !

Est-ce que ce sont des grosses surprises ou des chansons classiques ?
C’est un peu des deux, quelques chansons de métal, d’autres de prog, et du rock plus classique. Quelques-unes viennent de groupes qui ne sont pas très connus et qui nous ont influencés. Un peu de tout. Comme je le disais, on n’a jamais enregistré de reprises en studio et nous avons pris autant de soin et de temps à le faire que pour nos propres chansons. Un titre en particulier où il se passe pas mal de trucs et que nous n’aurions pas pu rendre si nous l’avions joué en live. Dans le studio, nous avons pu lui donner cette dimension.

Vous parliez à l’instant d’influences… Quels étaient les albums dans l’« inspiration corner » pour Black Clouds and Silver Linings ?
Aucun. Ça a été une décision commune de ne pas écouter d’albums quand on était en studio. Par le passé, il y a eu trop de rumeurs à propos de ce qu’on écoutait dans l’« inspiration corner », les fans l’ont amené à un tout autre niveau d’interprétation qui n’avait pas lieu d’être. J’ai entendu des gens dire que cette chanson ressemble à Muse et celle-là à autre chose… on n’a voulu se débarrasser de tout ça et travailler sur ce qui vient de nous. À la fin de la journée, je rentre à mon hôtel et je vais écouter… ce que j’écoute et je ne vais même pas citer de noms ! (rires) Mais, quand on a constitué le group
interview Dream Theatere, on a fait exprès de ne rien écouter pour s’orienter, on voulait être libre de nos mouvements.

Et en tant que batteur, êtes-vous influencé par des nouveaux talents comme ceux de Porcupine Tree ou Mastodon ?
Les deux, je suis ami avec Gavin (Harrison, Porcupine Tree) et Brann (Daylor, Mastodon), ce sont des types formidables et d’excellents batteurs. Je suis toujours inspiré par les jeunes batteurs et j’écoute toujours les autres pour me donner de l’inspiration. Il y a plein de types bien, comme Chris Adler qui est un super batteur, d’être en tournée avec Opeth et Between the Buried and me, m’a fait faire écouter pas mal de blast beat et de doubles pédales… ça ressort inévitablement dans ce que je fais.

Vous parliez de la corporation entre Jordan Ruydess, John Petrucci et vous, qu’en est-il de James Labrie et John Myung ?
James (chanteur) n’est pas là quand on a écrit la musique. Par le passé, il était parfois là, parfois pas, mais pour cet album-là il n’était pas là. Nous travaillons sans lui, parce que quand il était là, comme il ne joue pas d’instrument, il n’apportait pas grand-chose. C’est l’alchimie qui fonctionne comme ça et pas autrement. John Myung (bassiste) est juste extrêmement silencieux de nature, comme la plupart des gens le savent, donc instinctivement il ne va pas participer. Alors que John, Jordan et moi, quand nous composons, ça va vite, ça avance, on a des idées, et tous les trois nous avons des opinions très marquées, ça fonctionne comme ça. Je pense que c’est OK avec tout le monde, le fait que James n’écrive pas la musique avec nous c’est la manière dont on fonctionne. Que John Myung soit un peu plus réservé et plus silencieux, et qui de temps en temps nous propose quelque chose ici ou là, c’est notre alchimie. Ils sont libres s’ils veulent proposer quelque chose, nous n’essayons pas de les en empêcher, c’est juste la personnalité de chacun. Si nous changions ceci, ça ferait tout foirer. Si on voulait un chanteur comme Neil Morris, qui sait écrire et jouer, ça changerait tout. Ou si on voulait un bassiste bavard qui nous la jouerait cartes sur table, ça changerait l’alchimie, or elle marche bien telle quelle maintenant, donc on ne veut pas la faire foirer. Tout le monde connaît sa place et son rôle, et tout le monde en est content.

Vous pourriez nous parler un peu du Progressive Nation Tour ? Avec un slogan comme « One Nation under Prog », est-ce que ce n’est pas positionner Dream Theater comme le maître incontesté du prog ?
Personnellement, j’ai l’impression que c’est mon devoir d’aider les jeunes groupes de metal prog, ça a toujours été comme ça. J’ai toujours choisi nos premières parties de Fates Warning à King’s X, Spokes beard, Porcupine Tree, Pain of salvation, Symphony X sont des groupes que j’ai triés sur le volet et à qui j’ai voulu donné consciemment un plus grand public. Progressive Nation reprend ce même concept, et le développe comme une sorte de package, de festival. Ça faisait longtemps que je voulais le faire et l’année dernière ça a commencé. Ça a eu un grand succès aux États-Unis, et ça a pavé le chemin pour qu’on le refasse cette année, en l’amenant jusqu’en Europe. Je pense que l’amener ici, en Europe, est important, car depuis plus de 20 ans, Dream Theater vient en Europe, et ça a toujours été seulement nous, ou seulement nous et une première partie, toujours le même format. Je ne voulais pas continuer à faire la même chose, la même idée, mais un album différent. Donc j’ai pensé que c’était une bonne idée d’avoir cette nouvelle présentation pour un concert de Dream Theater. Ce n’est pas en mode « Coucou on est là, vous venez nous voir une fois de plus, comme tous les deux ans… » : on voulait que ça soit différent. Les groupes que j’ai choisis vont tous amener quelque chose d’unique à la tournée. Opeth a beaucoup de fans, et ils sont très compatibles avec nous, d’ailleurs c’est un de mes groupes de métal préféré. On a déjà fait la tournée Progressive Nation avec eux l’an dernier, et on travaille bien ensemble. Les deux premières parties que j’ai choisies sont des groupes qui n’ont pas beaucoup de fans et que les gens ne connaissent pas, et c’est une chance de partager nos fans avec ces groupes, et vice-versa. Bigelf et Unexpect sont différents et vont compléter la tournée musicalement.

Du coup, votre concert sera plus court…
Bien sûr, nous allons jouer moins longtemps. Nous ne pouvons pas avoir trois premières parties et ensuite jouer 3 heures, le public tomberait raide mort. (rires) Mais ce n’est pas grave, on va jouer 90 minutes c’est raisonnable. Au lieu de jouer pendant 2 ou 3 heures, je préfère partager la scène avec d’autres bons groupes et leur donner la possibilité de jouer. Beaucoup de ces jeunes groupes n’ont pas la possibilité de jouer devant 5,000 personnes en jouant cette musique-là… Je pense que c’est bien pour eux, et 90 minutes c’est assez pour un groupe…

(son téléphone sonne avec pour sonnerie Constant Motion, de leur dernier album)

Sympa la sonnerie !
(rires) Oui hein ! Je ne sais pas, peut-être que je me fais vieux, mais quand j’écoute d’autres groupes, quand ça dépasse la barre des 90 minutes, j’en ai marre. J’ai vu des groupes récemment, je ne citerai pas de noms, mais des groupes que j’aime vraiment, vraiment beaucoup, mais au bout de 90 minutes, je suis crevé. Mais tympans sont morts… Je me fais sûrement vieux, mais je me demande comment notre public peut tenir pendant un concert de 3 heures. Je sais qu’il nous aime bien et tout, mais quand même…

Mais vous ne pensez pas que 90 minutes c’est un peu court pour présenter votre nouvel album ?
On reviendra… (rires) ce n’est pas notre dernière tournée !

Vous parliez de partager votre public avec d’autres groupes, on ne peut s’em
interview Dream Theaterpêcher de constater que ce public ne fait qu’augmenter avec chaque album qui sort, alors que la formule de Dream Theater est toujours la même : soit on vous aime, soit on vous déteste. Comment expliquez-vous cela ?
Je pense que, encore aujourd’hui, soit les gens nous aiment, soit ils nous détestent, on a autant de fans que d’ennemis. Je pense qu’il y a beaucoup de gens qui ne comprennent pas Dream Theater, qui ne nous supportent pas. Comme tous les types de musique… mais peut-être plus avec nous puisque c’est assez extrême. Mais est-ce que ce n’est pas le but des groupes ? De faire ce qu’on fait et de continuer à le faire, et ce faisant, générer de nouveaux fans, tout en conservant les anciens. C’est ce que nous essayons d’atteindre à chaque fois.

Vous pensez que le public évolue ? Ou que c’est votre formule qui change ?
Je ne pense pas que nous ayons changé notre formule, mais nous changeons avec les époques. J’écoute Images and Words et je me dis que les chansons sont bonnes, mais au niveau du son, ça rend comme un album qui a été enregistré en 1991, et pas en 2009. On veut prendre ce style et cette façon d’écrire de la musique tout en continuant d’évoluer et de rester contemporains. Si tu écoutes Black Clouds, c’est du 2009. Donc, on veut évoluer tout en restant fidèle, et je pense que c’est la clé pour garder son public cible, tout en rameutant de nouveaux fans plus jeunes. C’est aussi une des choses qu’on essaye d’accomplir avec un label comme Roadrunner, un label qui continuera de développer le groupe, la promouvoir, ce que notre précédent label n’a jamais fait.

Vous êtes content de votre travail avec Roadrunner jusqu’à présent ?
Totalement, c’est le meilleur des deux mondes : ils nous laissent tranquilles pendant qu’on fait l’album, et quand on le leur donne, ils en font la promotion. C’est la raison pour laquelle je suis assis là à vous parler. Ça fait partie de la manière dont un album devrait être vendu. Je pense qu’ils sont le meilleur label pour le métal, alors qu’InsideOut est le meilleur label pour le prog.

Est-ce que ça a changé quelque chose d’être avec Roadrunner ? Il y avait le cycle de huit albums qui se finissait avec Octavarium, et après on suppose qu’il y a un nouveau cycle qui commence avec Systematic Chaos, et continue avec Black Clouds… Est-ce que ça a eu un effet sur votre musique ?
À 0%. Déjà, avec Systematic Chaos, on n’avait même pas signé avec eux quand on l’a fait. On n’avait même pas décidé avec qui on allait signer avant de finir l’album. Donc ça ne l’a pas affecté. Et pour cet album, Black Clouds, ils n’ont pas entendu une seule note avant qu’on leur donne la version finale. Je n’ai pas arrêté de recevoir des emails et des coups de fil du label « Est-ce que je peux venir ? Hey, j’ai envie de venir voir ? », et je faisais comme je viens de faire avec mon téléphone : j’appuyais sur la touche « ignore » (rires) pendant 6 mois ! Donc, non, ils n’ont eu aucun effet sur la musique. Quand ils ont signé avec nous, ils se sont rendu compte qu’ils signaient avec un groupe qui était là depuis plus de 20 ans, que nous avions de l’expérience, que nous savions ce que nous faisions et que nous connaissions nos fans. Ils respectent ça, et nous laissent tranquilles. Quand on leur donne l’album, chaque jour, on reçoit des emails, on est constamment au téléphone avec eux, en nous disant « On va faire ci et ça », et ils soutiennent toutes nos idées. Excepté une en particulier, ils ont soutenu tout ce qu’on leur a proposé.

C’était quoi cette idée ?
Je le savais que je n’aurais pas dû en parler… (rires).
Une idée qui n’a pas vu le jour, mais que je voulais vraiment qu’elle se fasse. Je leur ai proposé de faire en sorte que l’album soit téléchargeable dès qu’on l’avait fini. Un peu comme quand Radiohead l’avait fait, sauf que dans ce cas-là ça n’aurait pas été forcément gratuit, je voulais que le label le mette sur iTunes, ou autre chose, car, pourquoi attendre 3 mois ? L’idée était de prévenir les fuites, qu’on laisse les fans avoir l’album, mais on aurait quand même l’album en vente dans les magasins en juin, avec les éditions spéciales, les coffrets DVD, les reprises et les vinyles. J’ai organisé une grosse conférence de presse avec Roadrunner, le président et le vice-président et tout le beau monde. Ils étaient très réceptifs à l’idée, tout le monde est d’accord pour dire qu’inévitablement les choses vont aller dans ce sens. Mais ils avaient un peu peur de couper les ponts avec les distributeurs et les magasins. À chaque fois que quelqu’un va faire un truc pareil, ça va énerver pas mal de monde. Les fans sont contents, mais pour des raisons « corporate », on a peur d’aller dans ce sens.

Une dernière question qui concerne un autre projet, Liquid Tension Experiment, vous avez fait quelques concerts l’an dernier avec eux, quelle est la différence de sensations quand vous jouez avec eux plutôt qu’avec Dream Theater ?
On a fait quelques concerts l’été dernier et c’était génial de jouer ces morceaux. Il y a une alchimie considérablement différente entre moi, John et Jordan dans Dream Theater et entre moi, John et Jordan dans Liquid Tension. C’est une autre manière d’écrire, l’une est une musique à base instrumentale où le clavier et la guitare portent les musiques, l’autre est un groupe qui a un chanteur portant la mélodie. Tony (Levin de King Crimson) est un bassiste complètement différent de John Myung, il jam et il improvise, ce qui est un élément important dans LTE. De faire ces concerts, c’était génial, malheureusement on n’a pas eu le temps de venir jusqu’en Europe, j’espère qu’un jour on pourra. En attendant on a des DVDs et des CDs de nos lives vont sortir, pour avoir un avant-goût de comment on est sur scène.



Retranscription par Virgile de Discordance (http://www.discordance.fr)

interview réalisée par Julien

3 Commentaires

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Eternalis - 20 Juin 2009: Interview complète et très réussie.

Un grand merci Julien.
Kelarian - 21 Juin 2009: C'est plus un secret les reprises ya qu'à lire la chronique de Julien^^
Julien - 21 Juin 2009: C'est vrai mais quand j'ai fait l'interview, on ne les connaissait pas encore. Je voulais quand même garder la question, vu que je l'avais posée à l'époque ;)
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