Alukta

Icare : Salut Marie !

Aujourd’hui, on va parler du nouveau projet Alukta que tu incarnes avec Déhà. Peux-tu nous parler de la genèse de cette entité ? Comment Alukta a-t-il vu le jour ?

Marie : Il était une fois autour de l’an 2023, une suggestion de Déhà comme quoi je semblais avoir un potentiel à composer du doom, alors que je n’aime pas ça du tout, qui a titillé mon envie de relever le défi…

Du coup c’est un mélange d’envie de changer d’horizons / tester de nouvelles choses et une volonté de créer du doom que j’écouterais, moi qui n’aime pas ça : à savoir lent mais pas trop chiant, un chant hurlé et non guttural que je trouve inexpressif au possible, et une ambiance un peu originale avec le côté ethnique. Et la perte d’un être cher au même moment a catalysé le projet en me donnant de la matière à exulter…


Icare : Pourquoi avoir nommé ce groupe Alukta ? Ce patronyme revêt-il une signification particulière pour toi ?

Marie : En langage Toraja dont s’inspire grandement le projet, cela signifie « à notre façon », au même titre qu’Aluk To Dolo signifie à la façon des anciens. C’est donc un mot qui exprime cette volonté de garder intacts des rites ancestraux, de transmettre des valeurs et des façons de vivre dans la plus pure tradition des ancêtres. Des valeurs fortes et qui collent aussi à notre vision du black Metal, du terroir, et de Transcendance donc.


Icare : Alukta a-t-il été conçu comme une vraie formation appelée à s’inscrire dans la durée ou comme un simple one-shot, sorte d’extériorisation pulsionnelle et salvatrice d’un sentiment de deuil ? Peut-on espérer avoir une suite à Merok ?

Marie : Je n’aime pas créer des one shots. Généralement quand je crée un projet c’est une entité à part entière qui a vocation à revenir régulièrement (et même à former une suite de choses uniformes et cohérentes, je suis un peu psychorigide là-dessus). Donc dans ma tête oui, il y aura une suite à Merok. Si elle se fait dans le deuil ça sera simple et logique, mais de là à le souhaiter… c’est pas grave, la mort est quelque chose d’omni présent et il n’y a pas besoin de la vivre de près pour y penser en permanence… Bon cela dit, à ce jour on n’a pas commencé à bosser sur un nouvel album, mais dans l’absolu il y aura une suite oui !


Icare : Cet album met en images et en musique les rites funéraires, en particulier ceux des Torajas, une ethnie vivant sur l’île de Sulawesi en Indonésie. Pourquoi avoir choisi de parler de cette ethnie en particulier ? Peux-tu nous en dire plus sur le sujet ?

Marie : Leurs rituels m’ont captivée, autant par leur violence que leur aspect si singulier, y a quand même pas beaucoup de monde qui garde ses défunts dans une chambre à la maison pendant des mois… Et puis je trouve ça intéressant d’aller voir ailleurs comment se vit le deuil et les funérailles, histoire de sortir des schémas qu’on nous impose selon notre culture pour essayer d’aborder la mort d’une autre façon, élargir son champ de vision et peut-être moins appréhender. Il y a en outre un folklore, un art Toraja etc… qui donnent de l’originalité au groupe. Je pense qu’il serait intéressant pour la suite d’aller s’intéresser à différentes ethnies et leurs coutumes mortuaire sur chaque album.

Icare : Maintenant, peux-tu nous parler plus en détails des titres et des textes de ce Merok ? Faut-il y voir l’accomplissement d’une cérémonie funéraire dont chaque titre représente une étape essentielle ? Avez-vous dû faire des recherches pour approfondir le sujet ou pour orienter votre façon de jouer et chanter par exemple ?

Marie : Chaque titre parle de la Mort de différentes façons, il y a une sorte d’évolution dans l’album oui, mais pas tellement de recherches si ce n’est sur ce peuple, mais plus pour s’en imprégner que pour s’inspirer…

« Matampu’ » est une intro et un mantra funèbre,

« Laissez entrer ceux qui pleurent » parle de ce cercle de chant et de recueillement que forment les hommes Torajas en chantant à l’unisson et que chacun est libre de rejoindre pour venir partager son chagrin, dans la tradition,

« Des teintes d’éternité » est un titre très personnel adressé à un être qu’il a fallu accepter de laisser partir et au fait que notre lien subsistera toujours d’une certaine façon,

« Kombengi » est aussi personnel, il parle du fait que je me réveille presque chaque nuit dans une angoisse extrême persuadée de mourir,

« Aluk To Dolo » reprend des rites Torajas et des coutumes pratiquées lors des funérailles,

« Exuvia » (la mue chez certains insectes), fait un parallèle avec la résurrection, le fait de quitter son corps charnel pour laisser l’âme se libérer.

 

Icare : Pour ce premier album, vous avez vraiment trouvé votre identité en déclinant cette atmosphère cultuelle et funéraire sous tous ses aspects, proposant un visuel en adéquation avec les thématiques abordées, autant dans l’artwork, les photos promotionnelles que la réalisation d’un clip. Peux-tu nous dire qui a réalisé la pochette et les illustrations du livret et nous éclairer sur ce qu’elles symbolisent ?

Marie : Merci, c’est à Art of Maquenda que nous avons directement pensé pour cette pochette, connaissant déjà son travail pour le groupe Wolvennest. Elle représente beaucoup d’animaux et des situations rituelles, la mort est souvent évoquée, et son esthétique collait bien avec l’esprit ethnique d’Alukta. Cerise sur le gâteau, elle était familière des coutumes Toraja et donc connaissait déjà les thèmes, animaux, rites et couleurs de ce peuple, la collaboration a donc été absolument parfaite ! Elle a représenté le buffle, animal sacré des Torajas, qui se fait égorger, à la manière des sacrifices funèbres, buffle qui sert de nourriture ainsi que de véhicule afin d’aider le mort à rejoindre l’autre monde. On trouve aussi un Tongkonan, la maison traditionnelle ancestrale Toraja avec sa forme de banane si typique et puis pas mal de sang et de cadavres …

 

Icare : Exuvia est le titre que vous avez choisi d’illustrer par un clip vidéo. Qui a réalisé le clip et qui a eu les idées qui ont abouti à sa réalisation ? Peux-tu nous dévoiler les coulisses de cette expérience ?

Marie : J’ai été contactée par Simon Biron, qui se présentait comme un cinéaste fan de black et de doom et qui aimerait beaucoup bosser avec moi. J’étais en train de finir cet album de Black doom et j’avais des images en tête pour le dernier titre que je pensais intéressant d’illustrer en vidéo, la synchronicité était trop belle pour l’ignorer ! Il a donc commencé à bosser sur un scénario puis est venu au début de l’hiver avec son ami Théo Raoult (pour les prises de vue) passer quelques jours à la maison, où m’a rejoint mon ami Matthieu pour jouer le rôle du sorcier, et malgré un tournage plein de problèmes et de rebondissements au début, tout s’est finalement très bien déroulé, et nous avons clôturé ces 4 ou 5 jours par un glorieux cassoulet maison (la recette officielle de la confrérie du cassoulet, hein). C’était ma première expérience vraiment pro dans ce domaine (pour le cassoulet aussi mais je parle du clip là), l’intégralité de mes vidéos étant réalisées seule, à l’arrache, sans scénario et sans matos, et c’était évidemment une super expérience. Même si on a passé des nuits dehors à beaucoup attendre et très peu dormir, on s’est quand même bien marrés. Simon est très pro et j’ai vite compris que rien ne serait laissé au hasard, il n’y avait pas de plans « de remplissage », chaque scène avait une signification, un cadrage qui devait captiver et être intéressant visuellement. Un passage en colorimétrie par Ruben Attia après le montage et après une attente insoutenable paf ! Voilà le résultat, et c’est de toute beauté !!!

Icare : Pour ce premier album d’Alukta, tu sors de ta zone de confort musicale puisque tu t’aventures dans les contrées désolées du doom, une première pour toi si je ne m’abuse ! Y a-t-il des groupes du genre que tu apprécies particulièrement et si oui lesquels ?

Marie : Aucun, mais vraiment, je n’en écoute pas. J’ai essayé de m’y mettre un peu au moment de la compo et j’en ai pas trouvé un seul qui m’a pas gonflée après 3 minutes d’écoute….

 

Icare : Ce que j’ai trouvé incroyable dans cet album, outre le flot d’émotion et l’atmosphère incroyable qui s’en dégagent, c’est qu’il parvient parfaitement à mêler et fusionner vos deux univers sonores respectifs à Déhà et toi ; l’identité musicale de chacun est respectée et personnellement, je retrouve dans Merok autant de SLOW que de Brouillard par exemple. Comment avez-vous réussi ce tour de force ? Qui compose quoi dans Alukta et comment vous répartissez-vous le travail ?

Marie : Marrant, parce que c’est moi qui ai composé à 90% ! Je suis arrivée au studio avec des chansons pré-enregistrées et Déhà a mis sa patte ensuite en rajoutant des guitares ultra grasses et lourdes ou des amplis taillés pour le doom, puis a rejoué les drums et a évidemment géré toute la partie mix et mastering, et sur ça, il sait comment faire du doom, c’est peut-être là qu’on retrouve le côté Slow ? Sinon on n’a pas spécialement cherché à fusionner ou se partager les choses, ça s’est fait très naturellement, on a mixé ensemble en proposant, testant, validant ou invalidant et je crois juste qu’on a une vision très similaire qui fait que ça a été simple et qu’on est parti dans les mêmes directions sans avoir besoin de compromis, la voie royale quoi !

 

Icare : La musique de Merok nous plonge dans une sorte de transe hypnotique mais les vocaux ne sont pas en reste : plus que jamais tu as laissé s’exprimer les différentes facettes de ton chant et sur des morceaux comme Matampu’, Exuvia, ou la fin de Laissez Entrer Ceux Qui Pleurent, on ressent vraiment un aspect shamanique et spirituel. Etais-tu dans un état particulier lors de l’interprétation des morceaux ? Qu’est-ce qui t’a animé, t’a permis de vivre autant la musique ? Peux-tu nous raconter comment s’est passé l’enregistrement des parties vocales ?

Marie : Je saurais pas bien dire mais j’ai de plus en plus envie d’explorer des trucs avec ma voix, et sur cet album j’avais des envies de chant clair, entre rituel et vraiment déclamé clairement, créer des harmonies etc… ça a même été la base de la composition ces voix. Rien de particulier pour leur enregistrement, faites chez moi ni plus ni moins comme d’hab, par contre on n’a rien refait en studio, ou réenregistré. Comme pour toutes mes parties vocales chantées ou hurlées d’ailleurs, j’aime autant que possible garder le premier et seul enregistrement, pour avoir l’émotion brute, l’était primitif et instinctif, c’est jamais aussi bon et sincère après. C‘est particulièrement vrai pour le chant Black sur cet album, je pense qu’on entend que je ne fake pas, l’émotion est là…

 

Icare : Peut-on caresser l’espoir de voir un jour Alukta monter sur les planches ou ce projet est-il exclusivement voué au studio ?

Marie : Ca serait énorme mais très compliqué à mettre en place à cause de tous les instrus, voix, percussions qu’il faudrait….. pour le moment c’est studio. Mais qui sait… !

Icare : Bon, puisque nous avons la chance de t’avoir sous la main, autant profiter de l’occasion ! Peux-tu nous présenter rapidement les prochaines sorties de Transcendance Productions ?

Marie : Et mes effets d’annonce et de surprise alors ?! Bon, on devrait voir arriver un 3ème album de Drache, le 4ème Transcending Rites est fini depuis longtemps, je dois juste crier dessus, et décider quand on le sort, il y aura un projet de l’illustre Hylgariss, qui nous a pondu le meilleur album de black atmo que j’ai entendu depuis Dissonnant Winds, et je commence à gratouiller en vue d’un nouveau Vertige, mais bon, calmez-vous.

 

Icare : Merci Marie, cette interview touche à sa fin, et je te laisse le soin de conclure !

Marie : Merci pour l’intérêt, merci aux gens qui prendront le temps de venir jeter une oreille à Alukta, laisser un petit mot ou soutenir physiquement, on a fait de beaux LP et des éditions spéciales remplies de sang ?

 

Interview réalisée par Icare et mise en ligne par opeth59

interview réalisée par icare

1 Commentaire

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Matai - 14 Juillet 2025:

J'écoute pas du tout ce style de metal mais l'interview m'a intriguée, et je me suis laissée tenter par le titre phare...que j'ai beaucoup apprécié ! Merci Icare pour ton travail de qualité, ici en interview, ou review, comme toujours ;)

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