Le virtuose ne connaît de limites que les contours démesurés et gracieux de son génie créatif. Tel un marionnettiste, il crée dans son antre reculé des pièces harmonieuses, grâce à une maîtrise indéniable de son art si convoité. Un art que le guitariste à la huit cordes, Tosin Abasi, semble survoler avec une aisance déconcertante. Tosin Abasi est
Animals As Leaders et
Animals As Leaders est Tosin Abasi. L'un est indissociable de l'autre car ils se combinent mutuellement dans une musique fortement personnelle et colorée. Une entité metal/prog/jazz instrumentale proche des travaux de
Cynic,
Ephel Duath ou entre autre
Meshuggah (la fameuse polyrythmie dit djent), semblable en tout point à un gastéropode spumescent , se meut lentement devant nous afin d 'embarquer son hôte au sein d'un voyage abstrus où la musique s'enduira d'une fine pellicule complexe et attrayante.
Entouré d'un batteur au jeu ample et carré, mais aussi d'un guitariste dont le niveau technique est assez jubilatoire (sweeping et tapping tiennent la dragée haute), l'ami Tosin propose des parties de guitares nerveuses et variées, la copulation insolente y est presque naturelle. Ici, point de shredding ou de branlette de manche pure et dure, de toute façon ces maîtres instrumentalistes n'ont plus rien à prouver depuis la sortie de leur premier album éponyme en 2008. L'orientation sur ce «
Weightless » se veut en tout cas beaucoup plus metal que son petit frère. Cela reste néanmoins aérien et classe à la fois.
S'il y a bien une chose qu'un vagabond musicologiste retiendra de ces « animaux comme leaders », c'est cette propension à esquisser un territoire mélodieux alambiqué mais ô combien facilement assimilable. La performance est d'autant plus impressionnante lorsqu'on se rend compte du travail abattu et des nombreuses influences digérées. Si le côté groovy de certains morceaux est indéniable (« An Infinite Regression »), la façon dont ils débouchent sur des parties free-jazz enivrantes (« To Lead You To An Overwhelming
Question ») se fait avec une désinvolture à faire pâlir certains fantaisistes progressifs. Car assurément, la musique des américains est progressive... voir expérimentale. Certains critiqueront son côté electro justement, pourtant les samples émaillant ici et là les compositions ne font qu'épaissir des ambiances aussi subtiles que raffinées (le très ambiancé « David » et ses arpèges aux allures de rock prog).
Quoiqu'il en soit, «
Weightless » connaîtra une légère baisse de tension et d'attractivité lorsque sa sphère gravitationnelle aura atteint le milieu du disque. Les animaux auraient ils décidé de ne pas prendre le pouvoir ? C'était sans compter sur l'interlude « Espera » qui symbolisera cette cavalcade vers le trône de leadership, vers la reconnaissance. Une douce harmonie, une caresse nous emmenant vers un final où l'on pourra croiser la folie douce amère d'un certain
Devin Townsend (« To Lead You... »). Ainsi, pour finir notre causerie précise de cet opus, nous aurons une pensée pour ceux et celles qui pensent que l'insertion du chant dans le typhon musical de la formation est indispensable. En surface, j'aurais tendance à abonder dans le même sens que ces pourfendeurs d'âmes et d'émotions. Et pourtant, en profondeur, ce serait dénaturé un festival auditif à la lisière des genres, ce serait tourné le dos à des artisans qui ont privilégié le frisson des instruments à la misanthropie vocale. C'est sans doute pour cela que la bande à Basile (ou à Abasi) mérite notre respect.
Prosthetic Records a eu le nez fin sur ce coup là en signant un pur produit moderne et attachant. Contrairement à son patronyme, «
Weightless » est dénuée de cette légèreté suggérée et n'est pas asphyxiante pour un sou. Aujourd'hui, originalité et qualité trouvent écho dans un album qui fera sûrement office de très joli cadeau à offrir.
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