La réception de leur premier album « Eponymous » donne envie de remettre le couvert aux survivants des 70' que sont
Deborah Frost**** et Albert Bouchard. Dès l'année suivante, ils enchaînent avec ce « Trepanation » à la sympathique couverture : une
Deborah rigolarde est croquée en gorgone, les têtes des serpents qui sifflent sur sa tête étant les caricatures des membres du groupe. Celle d'Albert Bouchard est particulièrement gratinée : dieu que ça fait du bien, de grands artistes qui ne se prennent pas au sérieux.
L'envie de pérenniser l'aventure et de tourner implique une spécialisation et une division du travail qui n'existait pas sur le premier album. Fini le rôle d'homme-orchestre d'Albert et la profusion de guest musicians aux fonctions plus ou moins ponctuelles. David Hirschberg devient le bassiste attitré (même s'il joue toujours du saxo). Albert se recentre sur la batterie (mais ne peut s'empêcher de jouer pas mal d'autres instruments). Les voix sont celles d'Albert et de
Deborah (mais tous le groupe participe aux backing vocals). On le voit, la spécialisation n'est pas très stricte.
La grosse innovation vient de deux nouveaux venus : si
Deborah et Albert jouent ponctuellement de la guitare, il y a désormais deux guitaristes attitrés, Peter Bohovesky (il joue aussi de la trompette) et Billy Hilfiger. Je n'ai pas trouvé grand chose sur leur cursus, si ce n'est que Billy était le frère de Tommy, un designer semble-t-il fort connu. Depuis, je n'arrête pas de croiser des gens qui portent des T-shirts arborant sa griffe : ils sont moches, ils sont chers, préférez de beaux tiches Motörhead.
On trouve ici la formation cardinale des Neurochirurgiens, appelée à durer : l'exercice improvisé de
1994 s'est découvert une incarnation où les deux guitaristes provoquent une inflexion. On n'a pas d'incandescents guitar heroes, mais de vrais rockers aptes à donner une solide armature aux compos d'Albert et
Deborah, tout en lâchant de temps en temps de forts honnêtes soli. « Eponymous » flirtait sans vergogne avec tous les genres musicaux, « Trepanation » sourit franchement au
Hard Rock.
On le voit bien avec les deux covers de vieilleries sans lesquelles on n'imagine pas un album de
Brain Surgeons. Le vieux Bluesman Robert Johnson ne reconnaîtrait pas son Stones in my Passway de 1937. Introduit par l'aigre albertron (instrument inventé par A. Bouchard pour « Imaginos »), il est déclamé par une énergique
Deborah aux modulations judicieusement changeantes, guidé par une solide rythmique et émaillé de courts soli de bon aloi. Quant à Ramblin'
Rose, il tient plus de
MC5 que de Jerry Lee Lewis : oh, pour être honnête, il devient celui de
Brain Surgeons. Introduit par d'atypiques percussions, de plus en plus rapides, qui le séparent du titre précédent, il est porté par une guitare Rock'n Roll surpuissante et chanté par une
Deborah aux amphétamines qui vole aux plus extrêmes limites de sa vitesse et de son altitude autorisées. Superbe !
Alors, certes, la joviale et badine Sally, co-composée avec Patti Smith, est plus Rock que
Hard, mais la bonne humeur de
Deborah et la brièveté du titre (aucun n'est bien long, du reste) la font passer sans problème. Comme son titre le suggère, Everything is Blue penche nettement du côté Blues du
Hard Rock, mais la belle prestation de guitare centrale remet les points sur les i. Et comme toujours dans ce genre d'exercice, le chant de
Deborah est souverain, tour à tour enjôleur, émollient et râpeux. On trouve un encore meilleur exercice de style de la chanteuse sur la power ballad A
Kiss is a Promise, avec d'aussi jolies guitares : mais l'élégante mandoline du frangin Joe Bouchard (je vous avais dit qu'il y avait des guest) pourra surprendre (agréablement pour ma part).
Le reste de l'album relève sans conteste du
Hard Rock, à commencer par l'opener bien balancé Gimme Nothin' sur lequel exulte
Deborah. Sa voix prend des tonalités beaucoup plus contrastées sur le troublant et un poil menaçant Medusa, un des meilleurs titres de l'album. Bon, mais au fait, pendant ce temps, kékifout le père Albert ? Je ne parle pas bien sûr de la batterie, l'ancien de Blue Öyster Cult y est parfait, busines as usual, noblesse oblige. Mais pour l'instant, il laisse sa gonzesse chanter toute seule ou presque (Gimme Nothin') : c'est pas parce qu'elle le fait magistralement qu'on va l'exonérer de l'accusation de gros feignant, vue la qualité de sa participation aux vocaux d'« Eponymous ».
Allez, il alterne avec
Deborah sur l'enjoué Hansel & Gretel, et sur If U Come
Close ; deux titres pas mauvais, mais un peu trop propres sur eux, style morceaux moyens du BÖC fin des années 70. Albert y chante d'ailleurs avec une voix claire et sans aspérité, celle dont il usait justement à cette époque. Heureusement qu'il y a
Deborah pour rehausser le niveau.
Toutefois, en milieu de disque, il y a ce que j'appelle la trilogie grinçante. Une série de trois titres qui, dans la continuité de Medusa, s'affirment en total décalage avec la tonalité plutôt sereine de l'ensemble : My Civilisation, Happy New Year et Sisters of the
Precious Blood. Sur le premier, Albert inaugure la chanson d'un ton lourd et sarcastique, bientôt relayé par de sombres guitares et les fulgurances claires-obscures de
Deborah. Sur le second, pesant comme jamais, sa voix est grave, monocorde, inquiétante : le titre trouve sa pleine mesure vocale lorsque
Deborah se joint à lui pour célébrer ce sinistre nouvel an. La dernière de la trilogie grinçante est portée par la seule
Deborah, et avec quel talent ! La mélodie est plus aérée que les deux précédents titres plombés, elle serait presque légère. La chanteuse y déploie comme toujours de multiples facettes, qui culminent, sur le temps fort du refrain, dans une emphase à la fois bancale, tourmentée et snob.
Quant à l'instrumental
Night of the Thousand Guitars, on laissera les musiciens se faire plaisir sans forcément les accompagner plus d'une fois ou deux. Sa ponctuelle touche mozartienne ne le rehausse pas, c'est le dernier titre, facile à passer, on l'oubliera donc.
Pour qui a apprécié l’exubérant « Eponymous » et dont les goûts le portent par ailleurs vers des ambiances plus saturées, le jugement est compliqué. Discipliner l'insaisissable, apprivoiser la rébellion créatrice, tel est le but de cet album ; du coup, ce qu'on apprécie d'un côté, on le regrette de l'autre. On ne se plaindra pas de la place accordée à la remarquable voix de
Deborah Frost****, mais quel dommage de voir le chant d'Albert réduit à la portion congrue (en quantité comme en qualité). Surtout, on ne trouve que rarement les belles harmonies complémentaires entre les deux chanteurs qui animaient la plupart des titres d'« Eponymous ».
Mais un métalleux cherchant à découvrir l'univers de
Brain Surgeons sera sans doute moins déconcerté par ce « Trepanation ». Au diable mes critiques de vieux ronchon, ce second album n'en reste pas moins des plus recommandables.
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