C'est peu dire que la mort du jeune guitariste Billy Hilfiger plonge
Brain Surgeons dans le désarroi. Une heureuse rencontre, dans ce petit village qu'est
New York, va remettre le groupe sur les rails. Préparant la compilation « Black Hearts of Soul », Albert Bouchard croise en 2004 une vieille connaissance datant des années 70, quand BÖC et les Dictators partageaient le même producteur Sandy Pearlman : un certain Ross Friedman, plus connu sous son pseudonyme «
The Boss ». On papote, on partage de vieux souvenirs, « Et qu'esse tu fais ?, « Bah pas grand chose », « Et si tu venais jammer avec nous ? », « Ben pourquoi pas ». Et c'est comme ça que Ross vient interpréter trois titres de la compile précitée de
Brain Surgeons.
La mayonnaise prend bien, au point de poursuivre l'aventure en préparant un vrai nouvel album : ce sera le «
Denial of Death » de 2006, avec des compositions et un songwriting pleinement partagés entre Albert Bouchard,
Deborah Frost* et Ross the
Boss.
Deborah se félicite du fructueux travail accompli avec Ross, regrettant que chez les anciens membres du groupe, demander une telle participation était « comme leur arracher une dent ».
Du coup, forcément, le
Brain Surgeons de 2006 ne va pas ressembler à celui d'avant. La formation est resserrée : l'excellent bassiste David Hirschberg, fidèle au poste, Albert à la batterie et au chant (5 titres),
Deborah au chant (7 titres) mais aussi à la guitare, et la phénoménale présence de Ross à la six-cordes.
Exit les nombreux guest musicians des albums précédents. L'ensemble du groupe participe aux chœurs, importants et toujours opportuns, mais on perd l'ancienne complémentarité vocale de
Deborah et d'Albert : presque chaque titre est piloté de façon autonome par les deux lead singers. Pour bien marquer la rupture, on change de nom : «
Brain Surgeons » devient «
Brain Surgeons NYC ».
Et la musique dans tout ça ? Évolution ou révolution, mon général ? Un peu des deux, en fait. Ross instille au groupe une folle énergie, sans doute démultipliée par le marasme moral des trois années précédentes : le moins qu'on puisse dire est que personne ne se fait prier pour durcir le propos. Pourtant, même si beaucoup de titres en relèvent, je ne dirai pas pour autant que «
Denial of Death » est un album Heavy
Metal de plein exercice.
Brain Surgeons reste un groupe qui fait vivre une large palette de styles et ce serait caricaturer Ross que l'estimer incapable de s'y épanouir ; après tout, sa guitare n'a pas que la corde
Manowar, songeons à tout ce qu'il a pu exprimer chez les Dictators ou
Shakin' Street : il le démontre ici avec la très grande classe qu'on lui connaît.
Parce que oui, même si
Brain Surgeons s'abstient pour une fois de quelque improbable cover, «
Denial of Death » traîne en 2006 des titres que le commun des métaleux jugera un peu incongrus. On est dans un registre Rock avec le swinguant et décousu Verböten aux soli frétillants et prolixes, ou avec le psychédélique et Flower
Power Change the World, Henry : il est vrai qu'avec ce dernier titre, on évoque des souvenirs d'étudiant d'Albert Bouchard, remontant à une époque où les campus américains s'enflammaient contre la guerre du Viet-Nam. On y appréciera, à la suite des refrains, les ébouriffants soli de Ross, bien dans le ton et soutenus par la batterie frénétique d'Albert.
Le mélodieux et bien balancé Swansöng (hélas prémonitoire) hésite entre le
Hard et le Blues, avec quelques touches Country. On hésite également à qualifier le
Hard brinquebalant et déglingué de Jimmy Boots
Fetish, aux échappées burlesques mais à l'incisif solo.
Plus Hard Rock, mais atypique, le low tempo
Dark Secrets dévide sur un rythme pesant une ambiance contradictoire, à la fois sereine et menaçante.
On soulignera la grande qualité des deux titres les plus inattendus de l'album.
Deborah Frost* chante Strange Like Me d'une voix rêveuse et enjouée, mais elle n'est au fond que le prétexte et l'accompagnement de l'extraordinaire prestation acoustique de Ross the
Boss ; sa guitare sèche aux accents hispanisants et classiques, émulant souvent le trémolo de la mandoline, allie la virtuosité à la délicatesse pour nous transporter dans un tourbillon d'émotions. Qu'on se le dise : qui ne connaît pas ce titre ne réalise pas l'étendue du talent de Ross.
Ce dernier surprend aussi quand il fait pleurer sa guitare (en mode électrique, cette fois) sur les puissantes harmonies sudistes de Lonestar, emporté avec une parfaite conviction par
Deborah. Incroyable comme ces New-Yorkais instillent une telle passion dans cet hymne au
Texas (mais après tout, chez
Lynyrd Skynyrd, aucun des compositeurs de Sweet
Home Alabama ne provenait de cet état).
Les autres titres se situent par contre sans ambiguïté dans le registre du Heavy mélodique et l'opener Rocket Science, tendu et saccadé, a dû être une belle patate dans la tronche des fans de
Brain Surgeons habitués aux précédents albums. On appréciera les accents épiques du mid-tempo
Constantine's
Sword et son final instrumental carrément Speed où se déchaîne Ross the
Boss. On se réjouira de la vivacité du fluide Plague of
Lies, aussi racé que nerveux.
Le long Tomb of the Unknown Monster, aux accents mystérieux, évoquera sans doute chez les amateurs le souvenir des meilleurs titres du BÖC du début des années 80 (avec cependant un break atmosphérique assez singulier). La palme de l'énergie revient à 1864 où la batterie furieuse et la voix surexcitée d'Albert Bouchard nous emportent dans un quasi
Power mélodique à la
Helloween. Le groupe n'a pas besoin d'être aiguillonné pour jouer avec ardeur, mais on est ici dans un registre plus personnel : l'arrière grand-père d'Albert combattit dans les troupes de l'
Union pendant la guerre de Sécession, et 1864 relate un de ses exploits, célébré dans les journaux de l'époque.
Malgré leur diversité, les 52 minutes de ce «
Denial of Death » passent comme une bière glacée par temps de canicule. Aucun filler ne le dépare, même si tout un chacun pourra, en fonction de ses goût, ne pas aimer tel ou tel titre. En apparence, le chemin parcouru depuis l'« Eponymous » de
1994 est considérable, mais en y regardant de plus près, c'est surtout le curseur qui s'est déplacé vers plus de
Metal : on conserve la même créativité polymorphe et chaotique, le même refus de se plier dans un moule. Et les fortes personnalités de
Deborah Frost* et d'Albert Bouchard ne sont en rien éclipsées par l'irruption d'un troisième et légendaire larron : ils ne font au contraire que renforcer mutuellement leur stature.
«
Denial of Death » posait en 2006 les ferments du renouveau pour
Brain Surgeons. Hélas, trois fois hélas, il ne marquera pas une renaissance, mais seulement l'époustouflant bouquet final du feu d'artifice des Neurochirurgiens. Le couple Albert-
Deborah va exploser en vol et leur divorce sonnera le glas de ce groupe à la fraîcheur et l'originalité sans pareilles. Ross the
Boss, notons-le, sauvera de ses décombres fumants deux titres, Contantine's
Sword et Plague of
Lies, qu'il recyclera dans son album solo de 2008.
Excellent papier pour un album que tu m'as fait découvrir. Et effectivement, le talent de Ross the Boss éclate au plein jour sur des titres différents, aux ambiances variées et sublimés par la patte des autres musiciens. Un album à posséder dans sa discographie. Merci JL
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