« Malpractise » est un album difficile à qualifier. La pochette n'est guère transcendante : dépourvue de titre et de nom de groupe, c'est la caricature très sommaire d'un patient manifestement désolé (à juste titre) du résultat de sa chirurgie faciale. Le titre est un jeu de mot difficile à traduire, malpractice signifiant erreur médicale et practise entraînement ou exercice. Le nez planté sur la joue est-il le résultat d'une faute professionnelle ou d'une expérimentation de mauvais goût ? Ambiguïté typique de
Brain Surgeons. Enfin, l'abondance de reprises (un seul titre étant complètement neuf) fait hésiter entre l'album de plein exercice et la compilation.
«
Dis, chroniqueur de mes fesses, t'as pas bientôt fini de nous faire lanterner ? Où est-ce que tu veux en venir ? »
Ah oui, pardon. À la musique, bien sûr. Elle est d'une telle qualité que je n'hésite pas un instant : il s'agit bien là du 4e album de
Brain Surgeons et non d'une simple compile. Les titres connus font l'objet d'une profonde réécriture et plusieurs n'avaient fait l'objet que d'une première édition très limitée au profit des seuls fans.
Si on écoute
Brain Surgeons, c'est généralement qu'on sait qu'Albert Bouchard est un vétéran de Blue Öyster Cult et qu'on vénère ce groupe. Le doute n'est guère possible sur « Malpractise » car la moitié des titres sont parus sur des albums de BÖC. Albert y exerce son droit de copropriété, tout spécialement légitime dans le cas de I'm the One you Warned me of, extrait d'un « Imaginos » dont il fut l'unique compositeur après son éviction du groupe, mais qu'il échoua à faire paraître sous son nom. Le titre est moins énergique : Billy Hilfiger et Peter Bohovesky ne détrônent pas Buck
Dharma, la voix de Bouchard est plus traînante que celle de l'incisif Eric Bloom. Toutefois, l'aura de mystère de ce titre inquiétant n'est pas déparée par les touches nonchalantes d'harmonica et d'orgue jointes aux parfaites harmonies des chants d'Albert et de
Deborah Frost***.
Le Cult avait repris une version abrégée de l'« Imaginos » de Bouchard, qui durait 1h10.
Brain Surgeons développe ici un des titres passés à la trappe en 1988. On y découvre The
Girl That Love Made
Blind, emportée par
Deborah sur un aimable tempo Folk Rock ; on doit convenir que raccourcie de moitié et sensiblement plus tonique, elle est bien supérieure à la mollassonne version d'origine de la démo d'Albert, judicieusement délaissée par BÖC.
Toujours sur« Imaginos », Albert avait massacré le somptueux Astronomica de « Secret Treaties » ; il répare avec les intérêts cette faute criminelle en en donnant ici la version ultime, où, de façon inattendue, le piano est remplacé par la guitare. Bloom était parfait sur la déclinaison de ma power ballad préférée de tout le
Metal. Ici,
Deborah Frost*** est plus que parfaite. Constat similaire pour Career of
Evil, issu du même album : avec ses inflexions malsaines, la voix de
Deborah rend mieux justice que Buck
Dharma et Eric Bloom à l'immoralité des paroles concoctées par Patti Smith. Qu'on ne s'y trompe pas : pour préférer la copie à l'original, l'auteur de ces lignes n'en est pas moins un fan inconditionnel du « Secret Treaties » de BÖC.
Brain Surgeons reprend aussi des titres moins connus du Cult. Issue de « Spectres », la belle ballade Death Valley
Night est toujours chantée par Albert, quoique sur un rythme plus alangui ; entre les deux mon cœur balance. Remontons le temps. Baby Ice Dog inaugure la face la plus posée du furieux «
Tyranny and
Mutation ». Emmenée par la voix de
Frost*** et scandée par les guitares de Bohovesky et Hilfiger, elle en devient finalement plus tonique en dépit de sa fin cavalière.
Avec Ciudades y Navidades, on hallucine sur le côté déconcertant. Il ne s'agit rien de moins que de l'incandescent
Cities on
Flames with Rock and Roll, classique d'entre tous les classiques de BÖC, issu du premier album et joué de façon incantatoire lors de chaque concert. Seulement là, Albert le chante avec des paroles en espagnol : titre essentiellement rythmique, il est scandé par sa batterie toujours aussi impeccable et des guitares moins affûtées que celle de Buck
Dharma, mais pourtant redoutablement efficaces. Un excellent morceau qu'apprécieront particulièrement les connaisseurs.
Les
Brain Surgeons réinterprètent deux titres de leur premier album. Hormis un mixage plus profond, on relève peu de changement sur l'excellent Language of Love. Name your Monster est quant à lui notablement retoiletté ; exit les saxos, le rythme est plus sage et surtout, on lui greffe une longue plage où se régalent les instrumentistes et qui s'achèvent sur un dialogue un peu cocasse émaillé de rires. Le résultat est plutôt réjouissant.
Needle Gun est le seul titre qui ne soit pas rattachable à une quelconque version antérieure. C'est un
Hard Rock à la structure parfaitement classique, où les guitaristes plantent de sympathiques soli. Les voix d'Albert et de
Deborah alternent, cette dernière plaquant une voix grinçante sur les couplets et imprimant au refrain un parti-pris plus mélodieux. C'est le parfait opener, énergique et emballant à souhait, propre à bien chauffer l'auditeur.
Un album de
Brain Surgeons serait incomplet sans quelque cover incongrue. On a droit ici à la version remixée du saccadé Tour Spiel des Punks alternatifs Minutemen, déjà interprété par les Neurochirurgiens sur un tribute album de
1994. Et ce groupe déjanté ne pouvait choisir que l'un des titres les plus chtarbés de
Hawkwind, Hassan I Sahba, pour y délirer de plus belle manière. Je vous préviens : aérez votre pièce avant d'attaquer le rythme endiablé de ses accents orientalistes, ce morceau dégageant à forte dose des exhalaisons de substances notoirement prohibées.
« Malpractise » est l'idéale porte d'entrée pour aborder l’œuvre d'un groupe singulier. Moins déconcertant que le 1er et, dans une moindre mesure, le 3e, il est supérieur à un second effort plus cohérent. C'est le sommet de la première incarnation du groupe, une évidente complicité marquant le jeu des musiciens. Trop compliqué et surtout trop long, le double album suivant, «
Piece of Works », offrira d'excellents passages, hélas trop dilués par l'accumulation de titres plus dispensables. Tristement, c'est aussi l'apogée de la période heureuse de la formation, car Billy Hilfiger ne va pas tarder à ressentir les premiers symptômes de la maladie qui abrégera prématurément sa vie. L'humour du destin est parfois abject : en 2001, le jeune guitariste de
Brain Surgeons décédera d'une tumeur au cerveau.
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