Transition, nom féminin. Définition : manière de passer d'une idée à une autre, passage graduel d'un état à un autre, état intermédiaire.
Nombre de formations se sont essayées, pour ne pas dire risquées à un changement de direction, par conviction ou pour suivre un courant plus porteur, désir légitime d'évolution dans le but d'explorer de nouveaux territoires ou par opportunisme bassement mercantile, et bien que l'entreprise soit pavée de bonnes intentions, elle peut parfois mener au purgatoire de la désaffection et de l'oubli jusqu'à prendre la direction d'un aller simple pour l'enfer et provoquer l'implosion d'un groupe.
L'ascension de
Vulcain a été fulgurante. Depuis leur début officiel et leur premier full lenght "Rock'n Roll Secours" sorti en 1984, opus survitaminé, bouillonnant de riffs rugueux et d'accélérations ravageuses (souvenez vous le diptyque "
Vulcain/L'Enfer") et surligné par des lignes de basse jaillissant d'une Rickenbaker vrombissante, le tout porté à ébullition par des vocaux saturés, les fils du dieu de la forge posent les bases de leur
Hard-Rock speedé tout en affirmant leur attitude sur scène qui leur vaudra le surnom de Motorhead Français.
Les albums s’enchaînent vite, "
Desperados" en 1985 à l'impact équivalent à une ruade en pleine poitrine assénée par un mustang ombrageux, trop vite avec un "
Big Brothers" paru en 1986, pour lequel le groupe n'a pas le temps de peaufiner ses compositions et se laissera driver un peu trop naïvement par Elie Benali pour un résultat mi-figue mi-raisin, œuvre témoin d'un manque de recul évident. Et en 1987, avec leur "
Live Force" capté à La
Locomotive à
Paris, paraît le témoignage de leur apogée forgée au cours de ces quatre années vécues à cent à l'heure, un
Live qui sent la sueur et l'authenticité, délivrant ses décibels bruts de fonderie (moins overdubbé tu meurs!), dernier enregistrement avec Didier Lohezic qui fera ses valises peu de temps après, la perte de l'audition d'une oreille étant une des causes de ce départ, les autres raisons, plus personnelles, appartiennent désormais au passé.
Après trois années de silence, les premières notes de "
Transition" furent diffusées en avant-première le 2 Mars 1990 dans Wango Tango, l'émission radiophonique culte jadis animée par Tonton Zégut, trois jours avant la sortie nationale officielle de l'album à l'artwork énigmatique. Énigmatique, le mot n'est pas trop faible, la représentation des quatre silhouettes des membres de
Vulcain en flou artistique et de quatre masques blancs aux traits mal définis en avant-plan laisse perplexe, le visuel et son interprétation restent troubles, d'ailleurs je suis preneur de tout décryptage, le groupe ne nous ayant pas habitué à tant de cachotteries jusqu'alors.
Vulcain déballe donc un jeu neuf, bat les cartes et ouvre les hostilités avec "Derrière les Cartes", l'occasion pour nous de faire connaissance avec le nouveau six-cordiste Frank Pilant. La partie débute, pas de temps d'observation, les protagonistes abattent leur jeu. Le rythme est enlevé, le son est d'une grande clarté et la batterie bénéficie d'un traitement de faveur. Le dernier arrivant montre un don pour la manipulation en posant un solo d'une grande aisance technique, le chant de Daniel semble plus posé, moins âpre et la Rickenbaker de Vincent se place un peu plus en retrait qu'à l'accoutumée. Le ton est donné, cela sonne comme du
Vulcain, mais l'aspect lissé de la production laisse un étrange sentiment s'insinuer.
Et confirmation est donnée avec "
Sophie", quelques indices avaient pourtant été semés sur la piste précédente, mais le coup de bluff est énorme. L'introduction vive et musclée cède rapidement la place à des notes jouées par des guitares aériennes et à un chant clair de Daniel qui ne nous a peu habitué à tant de retenue, le slap de basse de Vincent prépare le terrain pour un sillon mélodique tracé par Pilant lors du refrain, un gimmick en lead mémorisable d'emblée, avant un break aux arrangements symphoniques, inhabituel et déroutant. L'intention de créer un single diffusable par voie hertzienne est tangible mais la
Transition s'avère abrupte, la rupture de ton est déstabilisante pour les fans de la première heure.
Pour autant, la verve énergique n'est pas mise sous l'éteignoir, les titres rapides ne manquent pas, "Rock'in Chair", "Partir", "Surfing in Hawaï" ou "
Lady Blue" sont rythmés par un double pédalage maintenu à un régime élevé. Le changement notable provient de l'apport mélodique insufflé par un Frank Pilant très à l'aise techniquement, usant et abusant du tapping qu'il exerce sur l'entière gamme pentatonique, "
Lady Blue" illustre à merveille son aisance dans l'exercice.
Vulcain n'en oublie pas pour autant ses racines heavy-rock en ralentissant son propos avec "Give it Up" ou "Les Loups" et agrémente même le grivois "En Limousine" d'un boogie-rock vif et efficace malgré l'inanité des paroles.
Mais le grand écart amorcé n'est pas sans risque, une certaine irritation à l'entrejambe se fait sentir à l'écoute de certains chœurs niais et mielleux, les "Arrêtes tu déconnes" de "En Limousine" ou autres "Dance dance dance !" de "
Lady Blue" ou des refrains sirupeux et peu digestes manquant singulièrement de virilité émanant de "Surfing in Hawaï" ou de "Rock'n Roll Star", on peine à croire que c'est ce même groupe qui braillait un "Tchou tchou go !" d'anthologie et libérateur d'énergie sur "Blueberry Blues" il y a peu de temps de cela. Tourne petite aiguille, tourne chante Daniel à l'attention de
Sophie, le temps s'efface mais laissera forcément des traces.
Avec ce "
Transition",
Vulcain balaie à coup d'interventions en tapping son heavy-rock bourru et burné pour céder la place à un hard-rock léché et mélodieux. En voulant passer d'un acier brut à un alliage plus léger et chatoyant, le groupe perd en force de frappe ce qu'il gagne en technicité et parures mélodiques. Reste malgré tout un album artistiquement abouti qui s'apprivoise et devient attachant au gré de plusieurs écoutes, moins spontané, (trop?) réfléchi et en décalage total avec la discographie établie jusqu'alors.
Replacées dans le contexte temporel, les larmes de
Sophie ont décollé l'étiquette de Motorhead Français et douché froid les attentes des premiers supporters, rendant savonneuse la pente sur laquelle se tenait la formation. La longue glissade en direction de l'enfer de la séparation sera inexorable, mais ceci est une autre histoire.
It's a long way to the top if you play rock'n roll...
Je devais avoir dans les 17-18 ans à l’époque et, hormis ADX auquels je vouais déjà un culte fanatique, je n’y connaissais pas grand chose en Hard francophone. C’est donc avec curiosité que je jetais une oreille sur ce skeud pour avoir une idée de ce que faisait Vulcain, groupe dont la renommée était parvenue jusqu’à moi mais que, à ma grande honte, j’avais jusqu’alors dédaigné. J’avais certes été surpris, car on m’avait promis du Motörhead en Français, mais finalement, j’avais été assez séduit pas ce Rock’n’Roll grassouillet, un peu beauf’ dans les paroles mais diablement entraînant. Ce n’est que bien plus tard, en complétant ma discographie, que je pris conscience d’à quel point cette galette est atypique dans l’œuvre du forgeron.
Pour autant, et même si je concède volontiers que Rock’n’Roll Secours ou Desperados lui sont infiniment supérieurs, je garde une tendresse toute particulière pour ce Transition, dont l’audace ne fut finalement guère récompensée.
Danse Lady Blue !
Merci pour la kro :)
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