Par où commencer pour introduire ce double album ? Peut-être par une courte définition d’un genre assez marginal et difficile à appréhender, dont Sam McKinlay alias The Rita fut l'un des précurseurs dans les années 90 en poussant dans ses limites le courant bruitiste (ou Noise/Harsh Noise) à travers une forme purement statique en construisant à partir de boucles et de field recording (Thousands of
Dead Gods, l’une de ses sorties, fut enregistrée en partie dans une cage utilisée en plongée sous-marine pour la chasse aux requins blancs) ce qu’on connaîtra sous le nom de HNW (ou Harsh Noise Wall). Une scène qui s’est peu à peu développée, restant malgré tout assez discrète à travers nombres de sorties en exemplaires très limités et édités par de petits labels indépendants (les plus grosses structures telles que Crucial
Blast ou Troniks produisant des artistes adeptes du HNW se comptent sur les doigts de la main), le courant a vu néanmoins apparaître quelques références en la matière comme le Français Romain Perrot alias Vomir, atteignant des niveau de densité et de claustrophobie (une conséquence qui peut survenir face à ce type de musique) en adéquation avec sa philosophie doublé de textes crus et directs renvoyant au repli sur soi et à toute forme de nihilisme et d’isolement.
Qu’est-ce-que le HNW vient faire dans les pages de SOM , alors que le style dérive bien plus de la musique minimaliste et bruitiste que le
Metal ? Il y aurait à dire, mais le principal fait est que, outre la pléthore de groupes de Black
Metal ayant inclut des éléments industriels et ambiants, certains artistes provenant de cette même scène comme l’Italien Nascitari ou
Nekrasov (celui qui nous intéresse ici) ont eu un parcours parallèle voyant les deux artistes embrasser la cause HNW, le premier quittant sa formation qu’était
Ater, le second suivant une progression évidente depuis ses premières œuvres comme
The Form of Thought from Beast.
On savait notre Australien adepte de la musique Noise depuis
Cognition of Splendid Oblivion ou des eps tels que
On Certainty et
Perishable Things, s’accaparant d’avantage ces expérimentations industrielles et bruitistes au détriment du Black
Metal (assez particulier avouons-le) des débuts, et il était après tout purement logique que The
Ever Present touche le point terminal en la création de trois Murs de Noises répartis sur deux CD.
Et il va falloir les digérer ces monstres difformes, relents continus de Harsh Noise statique, dense et épaisse, n’ayant plus rien à voir avec ce que fit
Nekrasov précédemment. Des repères ? Aucun. Quelques moments de répits parmi ces murs de son impénétrables rendant le tout aussi passablement écœurant qu’hypnotique ?
Pas plus. Des changements, des cassures de rythmes ? Non, définitivement non, The
Ever Present s’inscrit dans la forme la plus pure du HNW dont Romain Perrot aura inscrit (malgré lui ?) les fondements.
Car on trouvera dans The
Ever Present cette idée du « non-changement », de « non-progression » tout au long de la demi-heure que durera le premier « Wall », un morceau intense et destructeur droit dans la lignée des œuvres de Vomir dont les signes de mouvements au travers des boucles bruitistes se font quasi-inexistantes. Violent, cauchemardesque, l’annihilation totale de repères fait place à une forte sensation de claustrophobie et d’asphyxie, et demande une concentration totale pour s’immerger profondément dans cette couche bruitiste.
Pourtant…Il serait facile de se laisser emporter par ce courant immobile pendant des heures et des heures, mais n’est pas
Nekrasov qui veut. Paradoxe de la progression à travers un statisme absolu, la deuxième pièce se voit perdre en texture (mais certainement pas en puissance) pour gagner en subtilités et profondeur. On savait le champ d’action de
Nekrasov étendu, et pour peu que l’idée de se farcir un deuxième Wall violent dans la tête ne rebute pas, c’est un panel de détails incrustés insidieusement qui vient colorer l'ensemble; ersatz de hurlements témoins du passé Black
Metal de
Nekrasov, couches minimales ambiantes, il est difficile de cerner précisément la nature de ces motifs abstraits, mais aisé de percevoir ces changements infimes de sonorités qui prennent place dans ce qui peut faire croire au début à la copie conforme du premier Wall, suffocant de puissance à en donner la nausée….
Le troisième Mur contenu dans le deuxième disque révèlera, cette fois, une structure plus étonnante : beaucoup moins frontal et épais, moins violent et revenant à plus de statisme, le Morceau tient plus de l’hybride d’un Ambiant-Indus (territoire désormais familier à
Nekrasov) allié à une mixture Noise calfeutrée dans les basses fréquences, mais ne négligeant pas de temps à autre les parties agressives des deux premiers titres. Une heure. Une heure de boucles drones et ambiantes qui ne montrent que peu de variations. A l’instar de
The Eternal Present crée par A View from
Nihil, The
Ever Present rejoint un concept que le HNW peut amener et que l'on retrouvera chez un certain nombre de formations : une forme de pensée « Bouddhiste » ou Zen (centrée sur l’oblitération de touts envies et désirs à travers « un esprit lucide, et incroyablement clair et serein, sans volition » écrit Romain Perrot dans un de ses textes inspiré par Giorno) qui prend ici tout son sens quand on arrive à lâcher prise et se plonger dans cette musique abstraite semblant être bloquée indéfiniment…dans le Présent.
Qu’aurait fait
Nekrasov après ça ? Aurait-il rejoint le cercle des artistes HNW ou continué ses explorations hybrides
Dark Ambiant /Black/Indus-Noise ? Difficile à dire. L’Australien laisse en tout cas derrière lui une discographie qui, s’il elle n’est pas des plus impressionnantes en quantité de sorties (et encore, mais disons qu’on ne va pas compter tous les splits et démos en téléchargement libre…), reste assez singulière par sa diversité. The
Ever Present aura été sa dernière pierre à l’édifice, la plus dense et la plus insondable…
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