C'est la tête déjà remplie d'étoiles et les idées bouillonnantes qui lui montent au cerveau qu'on retrouve, avec un plaisir non dissimulé, les Américains de P.O.D. après une petite absence de trois ans. Enfin, c'était sans évoquer l'album acoustique entièrement dépouillé publié un an plus tôt « So-Cal Sessions », résultat d'une courte campagne de crowfunding. Evidemment, le combo aurait pu finir de la même manière que son compère
Papa Roach, à vouloir s'installer durablement dans un électro rock ponctué de quelques brefs moments de flows, mais la bande à Sony a voulu penser différemment la musique. Bonne ou mauvaise, l'évolution s'associe, au-delà d'une aventure strictement musicale, à un processus de revalorisation de la scène fusion quitte à faire rentrer le groupe dans une troisième phase de carrière beaucoup plus importante. Eux si positifs d'origine ont assaisonné ce dixième opus d'une pointe de fatalisme - détail assez étonnant lorsqu'on sait que la formation nous a habitués à tenir la même direction musicale depuis la sortie de l'explosif et travaillé «
Payable on Death » en 2003. N'oublions jamais que ces jeunes quarantenaires d'aujourd'hui avaient été les premiers à se lancer, quelques mois avant
Korn, dans la grande machine néo au milieu des années '90 avec «
Snuff the Punk ». Autant dire que les trois-quarts des auditeurs qui avaient définitivement enterré la formation au moment de la réintégration du guitariste Marcos Curiel ayant pu fêter son retour sur «
When Angels & Serpents Dance » risquent d'être surpris à l'écoute de «
The Awakening ».
Par conséquent, cette nouvelle production nous révèle la face cachée d'un groupe un peu plus ambitieux qu'à l'accoutumée qui souhaite désormais être complet sur tous les visages à la fois. En d'autres termes, on assiste à l'intronisation d'un premier album-concept en vingt-trois ans d'activité, ce qui en fait d'ores et déjà une nouveauté assez intéressante. Pour ce faire, Howard Benson est de retour, ce qui équivaut à une production soignée, réalisée sans grandes maladresses tandis que le mixage et le mastering sont signés, d'une part de la patte du célèbre Jay Baumgardner (
Lacuna Coil,
Bush,
Drowning Pool,
Seether,
Otherwise) pour terminer par une délicate finition de
Reuben Cohen (le dernier Foo Fighters répondant au nom de « Sonic Highways », Everlast,
Incubus...). Dans le fond, il est vrai que lorsqu'on s'attache à décrire l'ensemble des parties narratives et des lyrics, le discours se veut un brin moralisateur puisqu'il est question d'un homme tentant de vaincre ses propres démons et que par définition, cela fait appel à la foi personnelle du groupe, ceci étant, ce détail très secondaire n’entache en rien la qualité du produit. Ainsi, le collectif a dû prendre le temps de composer, en plus de ces dix morceaux, un scénario complet et cohérent tout en accrochant son assemblée sur la continuité de l'oeuvre. Depuis la coupure avec
Atlantic à la suite de l'album «
Testify », nos "sans-label-fixe" se sont donc tournés vers plusieurs collaborateurs pour, à l'heure actuelle, poursuivre avec T-Boy et UMC, auteurs de l'acoustique et généreux « So-Cal Sessions » qui avait su présenter des classiques tels que « Youth of a
Nation » ou alors «
Alive ». Orné d'un graphique incomparable, «
The Awakening » reprend seulement les titres les plus originaux et marquants de «
Murdered Love » (l'éponyme, « West Coast Rock Steady ») en ôtant ce qui aura fait de ce dernier album une déception ; les ballades un peu mièvres et le manque de renouveau caractéristique de certaines mélodies. En parallèle, on a ici un album aux fondations en béton armé, un Marcos Curiel qui impose son jeu en toute tranquillité, des guests talentueux et un P.O.D. complètement changé, osant se frotter à une fan-base qui n'en attendait pas moins qu'un «
Boom! » ou un retour en force.
A la croisée des chemins entre musique et cinéma, la publication s'apprécie de la même façon qu'une mini-série. D'où le fait qu'en isolant chaque pièce de son contexte, on perd en fait la moitié de son intensité. Par exemple, « Am I
Awake » est une sorte d'intrigue, d'avant-propos à cet opus qui n'aurait aucune valeur prise indépendamment des autres pistes. Sous ses faux airs de "Grand Theft Auto", la formation se réveille progressivement jusqu'au premier gros riff passé une minute-vingt et créée une ambiance urbaine à la fois pesante et chargée sous fond d'une ligne de basse particulièrement lourde exécutée par Traa Daniels. « Am I
Awake? Or is this just a dream? », voilà la question qui défile sans relâche. Ensuite, l'hymne « This Goes
Out to You », qui a servi d'accroche au nouvel album et à sa promotion a tendance à rechercher le croisement lyrique d'un certain «
Payable on Death » dont il aurait pu rejoindre les rangs en 2003 s'il misait davantage sur la personnalité de Sonny Sandoval et de son reggae-rock intimiste, spirituel (en faisant abstraction de l'introduction quasi-grunge et du solo éclairant de la fin). A cet instant précis, P.O.D. avait envie de faire plus qu'un simple album anecdotique, mais bien d'épater ses fans avec des sons qu'on ne lui soupçonnait pas encore. C'est le cas de « Rise of NWO » qui illustre assez intelligemment ce tournant mi-sombre mi-expérimental déjà emprunté avec le titre-éponyme de l'album précédent où un véritable travail sur les voix s'était présenté. On pourrait donc rapprocher l'entame du morceau à l'atmosphère violente et perturbée de « Spike in My Veins » de
Korn, quoiqu'il en soit, le riffing témoigne d'une lourdeur, d'une agressivité peu comparable auquel s'ajoute une guitare noire, renfermée et marque ainsi par l'incorporation d'un ou deux relents empruntés au Moyen-Orient. D'un autre côté, si l'auditeur n'est pas charmé ou bien sensible à cette petite patte artistique, l'album ne manque pas de refrains marquants comme c'est le cas de « Rise of NWO », de l'infatigable et addictif « Get
Down » ou de l'impressionnant « Somebody's Trying to
Kill Me ». Et après le passage, dans l'ordre discographique, du hardcoreux de
Blindside,
Suicidal Tendencies et de
Hatebreed, le hurleur de
Sick Of It All, Lou Koller, se joint à la bande sur le rapide et mouvementé « Revolucion » ponctué d'un vuvuzela perturbant et d'une parenthèse reggae au clavier.
Concernant le déroulement de l'histoire, nous ne sommes pas entrés dans l'action à proprement proprement parler : la scène se pose gentiment. Pour l'instant, on en est au stade de l'échange téléphonique amoureux et précipité entre la belle Maria Brink et le protagoniste principal qui ne tardera pas à se faire courser et arrêter par la police après avoir volé une voiture, deux morceaux plus tard, sur « Speed
Demon ». Du fait de cette instrumentation djent, fine, et mélancolique, «
Criminal Conversations » sera en ce sens une pièce très progressive dans les changements de rythmes, pour peu que l'on évoque de manière plus précise ces allers-retours d'énergies entre des couplets déchirés par une face lyrico-romantique et des refrains où le vocaliste peine à être plus positif (tiens, lui qui parlait, sur le second titre, de « Four corners of the world positive vibration » se retrouve à pleurnicher maintenant). Pour le coup, il est intéressant de noter que la frontwoman de
In This Moment avait déjà fait profité la bande à Jacoby Shaddix (
Papa Roach) de son chant torturé et imprévisible sur le rap-rock de «
Gravity » en ce début d'année. La voilà qui revient quelques mois plus tard pour épauler la formation et entrelacer ses vocalises avec ceux de Sandoval, ce qui donnera un final vraiment intense ne pouvant rappeler qu'un «
Goodbye for Now » avec ce duo de voix prenant en puissance et en beauté (à l'inverse, il s'agissait de Katty Perry, inconnaissable, en 2005). Ainsi, P.O.D. redevient pour l'heure de deux-trois morceaux le groupe fondateur du néo-metal, le groupe de potes méchant et révolté. Il reprend du poil de la bête et flirte avec la rage des débuts sur l'imposant et possédé « Somebody's Trying to
Kill Me » caractérisé par une basse saturée et une outro acoustique country. Au rang des titres boudés ou incompris par le public, la rêveuse et atmosphérique « Want It All » qui, en dehors du fait que pour le personnage, c'est la libération provisoire (avant de lui faire part de la date de l'audience), nous délivre, sur un tempo jazz, une section cuivre comprenant un saxophone et une petite guitare aux accents lancinants terminant soigneusement le travail. Les faiblesses de cet album, bien que peu nombreuses finalement, sont au nombre de deux : ce n'est pas tellement le fait que l'on entende vomir à la fin du titre, mais plutôt l'impression d'avoir supprimé l'introduction sur « Speed
Demon » et bien sûr, on ne pouvait passer outre le gros raté de clôture «
The Awakening ».
En vérité, tout le monde aurait applaudi et préféré une réponse plus pertinente à la question d'« Am I
Awake » avec le morceau-titre «
The Awakening », seulement, la partie continue pour les Américains. Potion revitalisante ? Cadeau de la quarantaine ? Toujours est-il qu'à coups de solos noirs, de bidouillages expérimentaux et de morceaux inattendus, je signe de suite.
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