J’avais mis en route mon transistor, calé sur la fréquence de Radio Mouvance.
Vulcain passait déjà en rotation lourde sur cette station pirate avec ses fameuses maquettes 8 pistes et les quatre pistoleros étaient les invités de ce début de soirée. A cette époque, soit fin 1983, les interviews étaient bon enfant et pas aussi mauvaises que cela. Le journaliste, à un moment, demande aux membres du groupe s’ils arrivent à vivre de leur passion. Unanimement, ils confessent qu’il faut tirer le diable par la queue et que, sans album, pas de royalties, sans sous, pas de matériel, sans producteur courageux, pas de tournée etc… Et puis, le regretté Franck Vilatte (RIP) répond directement à une sollicitation qui lui est faite. De mémoire, il répondit :
« En ce qui me concerne, je suis machiniste sur les bus de banlieue parisienne. Je vis grâce à mon salaire de la RATP et jouer dans
Vulcain est avant tout une passion que je partage avec mes potes. »
« Comment réagissent les gens lorsqu’ils montent dans ton bus et voient tes cheveux longs et ta boucle d’oreille ? »
« Bah, je m’en tape un peu. Je suis au boulot comme je suis dans la vie. »
« Et comment fais tu pour avoir un jeu de batterie aussi speed ? »
Je reconnais qu’à cet instant, et je m’en souviens encore, avoir un peu zappé la réponse du batteur car l’imaginer faire une roue arrière avec un autobus me traversa immédiatement l’esprit ! L’attitude rock dans toute sa splendeur collait déjà tellement à ce groupe qu’il m’était venu ce flash, certes stupide, mais plutôt séduisant à y repenser quelques dizaines (oh mon Dieu, déjà) d’années plus tard. Depuis, j’ai retrouvé une interview où il dit avoir conduit des trains de banlieue. Et tant pis (si c’est de la rêverie, comme dirait Daniel) si ma mémoire me trahit parfois, locomotive ou bus, qu’importe, je ne vois que leurs quatre fers en l’air crachant le feu dans un wheeling d’enfer ! Ce qui est sûr, par contre, c’est que le petit Franck assurait comme une bête derrière les fûts. Quant à sa bande de copains, c’était aussi du lourd, du sérieux…
En effet, la réputation de
Vulcain les précédait déjà.
Chaperonné par Philippe Touchard, grand fan de Mötörhead devant l’Eternel, rédacteur en chef d’Enfer Magazine et animateur sur Pacemaker,
Vulcain eût la chance d’ouvrir pour la bande à Lemmy sur la tournée
Another Perfect Day à l’espace Balard le 17 octobre 1983, avant même la sortie de ce premier album ! Les représentants de Madrigal, présents ce soir là, les signeront dans la foulée, à la vue de leur énergie débordante et sur la foi des maquettes maintes fois écoutées et mises à leur disposition à nouveau par le bouillant journaliste. Jamais à court d’idée lorsqu’il s’agit de promouvoir un groupe en lequel il croyait, il leur avait déjà dégoté une participation en début d’année sur la compilation
Metal Plated d’Ebony records en Angleterre aux côtés de
Demon Eyes et Blasphème en particulier.
Encore une destinée unique pour les deux frangins Puzio, élevés pendant les années 60 dans le quartier du Marais de
Paris, qui n’était pas aussi gay ni gai à l’époque que de nos jours. En voyage à Londres, Daniel acheta une guitare pour ses 15 ans et, à son retour, proposa à son frère Vincent de l’accompagner à la basse. L’épine dorsale de ce que sera
Vulcain était née. Après avoir foulé leur première scène commune à la fête annuelle de l’usine paternelle, les deux frères investissent une cave de l’Essonne et se nouent d’amitié avec des copains passionnés de rock et de grosses cylindrés, Didier Lohezic et Richard (RIP). Le temps s’écoule et le groupe se forge une cohésion en reprenant des titres de leurs glorieux ainés comme les Stones,
Grand Funk Railroad, AC/DC,
Saxon, Mötörhead ou
Ten Years After. La magie aidant, tout le monde leur conseille de passer à la vitesse supérieure et de composer leur propre répertoire. Richard préfère confier début 81 les baguettes à Franck Vilatte, autre pote motard, avant de perdre la vie sur un coin de bitume un jour de début 85, tragique issue pour une confrérie rarement épargnée par ces funestes coups du sort. Le groupe lui rendra un vibrant hommage sur leur second album avec un titre simplement intitulé « Richard ». Bourreau de travail,
Vulcain au complet travaille dur et propose quelques titres fortement influencés par le trio au Bombardier rutilant, qu’il fera figurer sur une première maquette 8 pistes produite par Private en juillet 1981.
Désormais, tout s’enchaine. Le cousin de Didier leur propose le nom de
Vulcain, Dieu des Forges et Maitre de la Foudre, comme patronyme tant ils dégagent une bonne dose de métal en fusion avec leur énergie brute de fonderie. Le groupe écume les salles et remporte le tremplin rock du Golf Drouot en octobre 1981. C’est grace à cette demi-heure offerte chaque vendredi soir par Henri Leproux depuis 1962 que de nombreux artistes débutèrent, comme notamment Johnny Hallyday, Gilbert Bécaud, Dick Rivers et ses Chats Sauvages ou les Chaussettes Noires d’Eddy Mitchell. Motards au plus profond de leurs tripes, ils arriveront aussi à se produire en juillet 1982 en marge des 24 heures du Mans moto. Une deuxième maquette chez Media 7 verra le jour début 1983 et attirera l’attention de Philippe Touchard, conquis par le rock pur et dur administré à coups de santiags par le groupe.
Vous connaissez désormais la suite de leur début de parcours, qui déboucha donc sur ce premier album paru en 1984, enregistré en quinze jours au studio Maunoir de Genève en Suisse et produit par Elie Benali.
Devil’s records, quel beau pied de nez que cette maison de disque pour un groupe de
Hard-Rock…
Quant à cette fameuse influence, ce fameux surnom de Mötörhead français, qu’en est il finalement ? Hormis le fait que Daniel adopte la même posture que Lemmy face à son micro, cartouchière autour de la taille, et que son frère Vincent utilise une basse Rickenbacker, pour le reste, les deux groupes jouent un gros rock, très puissant et très fort, sur des mélodies simples et accrocheuses. Un son gras et des riffs couperets, une basse supersonique et un chant proche du brame de cerf. Du rock en fait, en
ADN commun ! Ne cherchez pas plus loin, Hephaïstos, euh pardons
Vulcain, c’est du rock, rien d’autre ! Celui qui te botte le cul et te donne le sourire, en compagnie des potes et avec de quoi se rincer le gosier, si possible. Histoire de brouiller les cartes,
Vulcain n’était pas un power-trio à l’époque et ils voyaient plutôt d’un bon œil cette flatterie qui consistait à les comparer à un mythe vivant. Et aussi, ils étaient bien les seuls à pouvoir faire hurler les paroles de « La digue du cul » par leurs fans à chaque fin de concert et pas seulement
En Revenant de Nantes…
Musique maestro.
De manière synthétique, la musique de
Vulcain consiste à prendre l’auditeur à la gorge et lui déverser un déluge de décibels en pleine tronche. Les plages de repos sont peu nombreuses mais ont le mérite d’apporter à cette livraison brutale et guerrière une touche de respiration salutaire.
C’est le cas avec « Les damnés », sorte de boogie du prolétaire de banlieue, heavy-rock à l’introduction aérienne à la « I got mine ». Les guitares, secondées par une basse lance-roquettes, dégoupillent ce pamphlet décrivant la misère sociale que
Trust aurait pu composer et dont le solo inspiré éclaire le morceau avec justesse. On retiendra aussi l’accélération du lutin batteur et celle de Daniel aux vocaux en fin de morceau. Culte ! Franck Vilatte tartine avec malice sa batterie sur le bref «
Overdose » aussi efficace qu’un shoot d’adrénaline après un passage en courbe pour le moins limite. Le pont-break de Vincent Puzio sur sa basse est dantesque tant en intensité qu’en longueur, alors que les guitares font écho dans le lointain. On frise à nouveau la limite de la zone rouge avec le punk-rock « Bosser », asséné comme une brute par le bombardier Vincent et le duo de guitares au riff de deux-tons de voiture de police. Les chœurs éructés donnent une vraie touche hardcore presque inattendue pour
Vulcain, alors que le solo astral de Daniel sur l’outro nous cueille par surprise.
Pour compléter ce premier album,
Vulcain nous propose ce qu’il sait faire le mieux : sept morceaux de speed-rock de derrière les fagots qui terrassent le plus valeureux des bikers après une semaine de fiesta non-stop à l’oktoberfest, qui soit dit en passant se déroule essentiellement en septembre.
Three, two, one, go !
« Ebony » met les pendules à l’heure dès son attaque de riff sur-gras en introduction. Souvenir de l’enregistrement de l’année passée au UK, ce morceau ultra-vitaminé est l’exemple de la signature musicale de
Vulcain : une basse qui décolle les rétines grave, un jeu de batterie gaillard avec roulement de double sur les chœurs, chant guttural style « grande gueule » mis en avant et guitares coup-de-poing avec un Didier Lohezic en soutien discret. Une mélodie rock simple devenue un must du répertoire du groupe. L’univers des bécanes est à nouveau à l’honneur avec « Le
King » qui rappelle les dangers de la frime gratuite sur des bolides aussi puissants. La recette précédente est reproduite avec autant de bonheur et de sauvagerie. L’attaque de riffing est monstrueuse et la basse déplacerait un géant de l’ile de Pâques sans trop de problème. Joli petit solo de l’ami Daniel avant une intervention de pachyderme de son frangin sur la fin du titre. Il remet le couvert comme Lemmy l’aurait fait sur l’entame de bulldozer défonce-tout de « Pile ou face », histoire d’amour vache et tarifé contée par le ménestrel Daniel Puzio. Difficile de ne pas trembler sur ses fondations avec ce qu’envoient Vincent sur sa basse et Franck sur ses peaux. Les guitares sèches et nerveuses emmenées par un Didier Lohezic à l’unisson de son compère six-cordiste donnent à ce morceau court sa patine punk.
Saluons maintenant l’antédiluvien « Le fils de
Lucifer » qui commence par une montée de riff annonçant l’arrivée dans le lointain d’une délégation de
Hell’s Angels. La suite est une bastonnade en règle où la basse de tueur rivalise avec un jeu de batterie énorme, tandis que les guitares ancrent dans nos cervelets un riff tellurique à la musicalité inspirée. Le chant épique glisse sur une doublette de guitares épaulée par une fondation rythmique hors gabarit. Le premier break résonne comme du AC/DC des grands jours avec une reprise à fond la caisse. Le second break est à la main assourdissante de la Rickenbacker de Vincent Puzio et repart une troisième fois sur le riff épique et se conclut dans un déluge sonore et le hurlement de l’ami Daniel. Monstrueux !
Un coup de gong, une distorsion suraigu et boum ! «
Vulcain » explose les baffles, à 250 km/h. Trois minutes trente-cinq de déflagration rock et de décibels rougis par des instruments démoniaques et une voix de possédé. Cette orgie hyper speed et son break de mammouth se donne le luxe d’un enchainement sur la double grosse-caisse de Franck Vilatte avec « L’Enfer » qui achève le tableau entamé par le titre précédent. La basse tonitruante laissera malgré tout la place à de gros soli de Didier Lohezic et Daniel Puzio, surgis au milieu de ce chaos sonique, fruit d’une divine et infernale association de titres. Tesson de bouteille à la main, le petit Franck gagne largement ses galons de Maréchal tant son jeu de batterie cimente l’édifice musical proposé par
Vulcain. Citons enfin le «
Overkill » de
Vulcain qui donne son titre à ce premier album. L’introduction de « Rock’n roll secours » est désormais célèbre faisant penser à un départ de 24 heures du Mans avant une attaque à la double grosse-caisse après une grosse minute jusqu’à la fin du morceau.
Riff joué en doublette, acéré et incisif, qui s’accompagne d’un refrain d’anthologie, où les chœurs répondent à un Daniel Puzio toujours aussi animal et vindicatif. La batterie est à nouveau énorme et quasi sans égal en France à cette époque.
Quelle baffe! On sort lessivé de cette première expérience discographique mais aussi ragaillardi par le tonus qu’elle nous a insufflés.
Vulcain rime avec authenticité et honnêteté. Depuis leurs débuts, ce groupe aura juste cherché à donner du plaisir avec son big rock binaire et enjoué. Une sortie de route que son producteur de l’époque aura provoqué avec une expérimentation malheureuse puis une brouille fraternelle entre les membres jetteront un voile noir sur presque dix ans de leur vie de musiciens. Soyons tous heureux de revoir Vincent, second chromosome identitaire avec celui de son frangin et base du son de
Vulcain, balancer à nouveau aux côtés de Marc Varez, qui prit le suite de Franck Vilatte en 1985, les lignes de basse du répertoire de ce groupe si attachant.
Oublions dispute et problème de santé. Rockons et entonnons à nous en péter les cordes vocales les paroles grivoises de la « Digue du cul » !
« J’ai rencontré ce matin le fils de
Lucifer, un tout petit gamin sorti tout droit des enfers »
RIP, Franck Vilatte.
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