Si
Les Discrets est toujours un peu resté dans l’ombre d’
Alcest ou d’
Amesoeurs, il n’en reste pas moins une figure incontournable du shoegaze metal français, et les deux premiers albums de la formation ont connu un franc succès chez les amateurs de musique distordue, puissante et émotionnelle. C’est donc un petit évènement en soi qu’un troisième album du duo, surtout quand on sait que le dernier full length, Ariettes Oubliées, date tout de même de
2012.
Après un live, et deux EP faméliques et expérimentaux, voici enfin venir
Prédateurs. Autant le dire tout de suite, pour ceux qui n’ont pas écouté les deux derniers enregistrements du groupe, la surprise risque d’être de taille: le duo évolue désormais dans un rock planant, intimiste et feutré mâtiné d’arrangements électro.
Virée Nocturne, déjà présent sur l’EP du même nom, est le premier véritable titre de cet album et fait immédiatement penser à Portishead: basse ronronnante et sensuelle, rythme trip hop chaud et chaloupé, voix désabusée perdue dans les vapeurs de la nuit, arpèges lymphatiques qui nous bercent de leur douces mélodies, arrangements électroniques subtiles, le tout nous enveloppe dans cette torpeur moelleuse et enivrée qui vient nous cueillir en fin de soirée, lorsque le lieu de réjouissance se vide et que l’on se retrouve seul avec son verre de vin et sa solitude. Les Amis de Minuit esquisse un rythme moins indolent, plus marqué mais toujours aussi classieux, les voix de Fursy et d’Audrey se fondant en une seule et même plainte rehaussée par ces arpèges doux amers qui pénètrent avec une langueur douloureuse notre cœur gonflé d’un vague à l’âme tenace.
Le constat est sans appel: finie l’intensité à fleur de peau d’un shoegaze aux velléités metalliques,
Les Discrets ont mué en une sorte de rock sombre, feutré et épuré à l'expression minimaliste renforcée par quelques boucles électroniques froides et planantes (Vanishing Beauties, sorte de Air dépressif qui aurait copulé avec The Cure, Les Jours d’Or). Evidemment, l’ambiance est le maître mot de ces dix titres, nous plongeant pendant 43 minutes dans cette espèce de léthargie chaude et cotonneuse qui nous engourdit doucement les membres et le cerveau alors que la nuit agonise et que les premiers rayons pâles du soleil se lèvent timidement sur une ville morte et silencieuse.
Fleurs de Muraille reprend quelques strophes de Je Respire Où Tu Palpites d’
Hugo, sonnant comme un mélange réussi entre
ACWL et Qntal avec cette ambiance à la fois gothique et médiévale. Une sorte de brume électrique nous enveloppe, un spleen morose et langoureux dans lequel on flotte et qui ne nous quitte pas de tout l’album, comme ce vide qui nous guide à travers les longues heures d’une journée grise et terne un lendemain de fête, ou cette apathie qui anesthésie nos sens lorsque, après plusieurs jours d’intimité, laissant sa place encore chaude dans le lit conjugal, l’être aimé nous quitte et monte dans le train qui nous le dérobe pour de longues semaines ; tout devient calme, placide, le temps déroule ses heures dans une indifférence froide et mortelle, nous laissant seul avec un unique objectif: tuer l’ennui et engourdir la douleur du départ. Ces boucles électroniques fantomatiques, ces arpèges oniriques et mélancoliques (The Scent of Spring), ces lignes de basses lancinantes, cette voix nonchalante et désabusée, tout dans la musique nous porte tranquillement vers les ombres du crépuscule.
Il convient de dire quelques mots sur la prestation de Fursy, grave, sobre et posée, à la fois chaude et étrangement lointaine, comme perdue dans l’écho de la musique (sur
Rue Octavio Mey, on croirait presque entendre Etienne Daho qui se serait mis à la cold wave). Le chant habille la musique de cette palette claire obscure d’émotions ouatées et grises, surtout lorsqu’il est doublé avec la voix cristalline d’Audrey. Finalement la mélopée languissante et triste de Lyon-
Paris 7h34 nous emmène au terme d’un voyage flegmatique et intemporel que l’on n’a pas vu passer.
C’est un fait,
Prédateurs est loin de l’intensité des albums précédents et peut décevoir, préférant une torpeur tranquille et un rien monotone à la ferveur électrique et nerveuse des débuts; certains déploreront cette redondance très sobre et dépouillée de laquelle il est difficile d'extraire un titre en particulier, mais avec le recul et les nombreuses écoutes, l’auditeur se rendra compte que ce cru 2017 est loin d’être minimaliste, regorgeant de mélodies et d’arrangements très soignés. Finalement, rien ne sert de comparer ce nouvel album aux anciens, il n’est pas moins bon ni meilleur, il est simplement différent, tout comme la douleur aiguë d’un deuil qui s’est muée en une douce et mélancolique nostalgie avec le poids des années. Comme le dit l’artiste, «
Prédateurs est un disque de fin de soirée, de route de nuit, de voyages en train, idéal pour ces instants où nous pouvons nous asseoir, prendre du temps, et penser au sens de la vie. ». Bon voyage…
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