La vérité.
Où est-elle aujourd’hui ?
Plus opaque que jamais, dépareillée d’une transparence pourtant indispensable, la vérité s’étiole au profit de la manipulation de masse, de la culture de l’inculture ainsi que le déploiement d’une réécriture partielle de l’histoire.
Chacun disposera ainsi à loisir d’une vérité lui étant propre et personnelle, tout autant que ses affinités personnelles et ses velléités artistiques.
A l’heure de la surconsommation factuelle, il est parfois bon de se retrouver avec de jeunes musiciens non imbus de leur personne, honnête et cherchant simplement à réaliser une musique originale et créative sans pour autant posséder cette prétention folle de révolutionner le monde musical actuel.
Quintette de peau au concept étrange et au patronyme l’étant tout autant,
Grorr livre après six ans d’existence son premier opus sous le signe évocateur de la vérité, titré en russe pour l’occasion («
Pravda », tiré d'un journal de propagande de l'ère soviétique).
S’affichant dans une direction artistique pas foncièrement nouvelle, et portant distinctement une certaine marque française,
Grorr évolue dans un univers industriel et saccadé, parfois polyrythmique, à la manière d’un
Hacride des débuts, d’un
Fear Factory moins massif ou par intermittences, notamment dans les passages plus éthérés, d’un Cult of
Luna au feeling moins désespéré.
"Cattle" présente impeccablement le groupe de Pau, mis en exergue grâce à une production personnelle et honorable, entre arpèges acoustiques mélodieux, riffs beaucoup plus lourds, soli mélancoliques et le chant de Bertrand, rugueux et émotionnel. Le final hypnotique du morceau, se répétant sans cesse, dans une spirale infernale et infinie, aussi écrasante qu’un rouleau compresseur, évoque inévitablement le
Gojira actuel, proche de la conclusion d’un Adoration for None.
Allant d’atmosphères glaciales et apathiques, abattues dans leur désespoir ("Neuro" et son feeling
Nine Inch Nails) au monde purement industriel et désolé du sublime "Sequelles" (nous plongeant presque de nouveau dans le monde de Fazium, créé par
Division Alpha),
Grorr multiplie les ambiances, les paysages et tessitures sonores pour vaquer sur de nombreux terrains où il est naturel d’admettre qu’il les maitrise parfaitement.
Plus brutal et moderne, "Revolution" instaure une autorité plus dogmatique et imposante. La ligne de basse sert de ligne conceptuelle pendant que les riffs cisaillent l’auditeur en toile de fond. Bertrand crache un venin corrosif et parfaitement véhiculé par son timbre rugueux et abrasif, ne souffrant d’aucun amateurisme. "Scolopendre" continu d’enfoncer l’auditeur dans cet univers froid et hostile à la société, peignant une sombre vérité remémorant des univers de science-fiction d’anticipation, particulièrement le monde saccagé et corrompu de
Blade Runner.
En revanche, "Keppel II" laisse entrevoir un avenir hypothétiquement différent pour le groupe, s’éloignant du marasme et de la négativité exacerbé de l’indus vers une musique plus aéré, plus électronique et, sans être positive, touchant vers une musique plus directe et accessible.
Grorr utilise habilement les samples pour densifier et épaissir le ressenti musical, le rendre plus riche et profond autant qu’il agrandie les interprétations possibles.
Il est évident que "
Pravda", et son concept sur l’endoctrinement et la pensée unique (c’est du moins ce que laisse penser les quelques extraits présents dans le livret et la pochette), n’est ici révolutionnaire en aucun cas, mais déjà proprement professionnel et composé avec autant de maitrise qu’il n’est interprété. On regrettera évidemment des influences encore parfois évidentes, un artwork à la conception graphique immature (la compagnie de photoshop ou Illustrator fut probablement agréable) quoique intéressante (l’utilisation de la fourmi, constamment en groupe et solidaire de l’autre mais paradoxalement symbole de la solitude dans la culture asiatique).
Grorr réalise ici un premier essai fortement prometteur et bien plus intéressant que la moyenne des premiers jets, au caractère technique et intrinsèque sans défaut apparent. Les prochains albums serviront à se forger une identité plus propre et un style peut-être plus cohérent avec lui-même, évitant ainsi la sensation de « patchwork » parfois perceptible sur
Pravda. En attendant, vous pouvez tenter l’expérience…les pallois ont d’ores et déjà un album méritant de figurer dans le catalogue d’un label.
Jolie chronique.
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