1990. Malgré le succès de "Dreamweaver", l'ambiance est tendue dans le local de répétition du combo Thrash britannique
Sabbat. Le pognon ne rentre pas malgré des ventes plus qu'honorables et un following qui ne cesse pourtant de croître comme vient d'en témoigner le UK Tour 1989 en compagnie de
Xentrix. Il faut se rendre à l'évidence, le contrat signé avec Noise est un leurre, et les thrasheurs de Nottingham qui vivent chichement de l'équivalent de notre RMI national ne sont pas près de voir la couleur de leurs royalties.
Pour ne rien arranger, le guitariste Andy s'est récemment mis à composer des morceaux épiques de plus en plus complexes dépassant souvent les dix minutes. Ces titres n'intéressent absolument pas le chanteur Martin, qui a depuis quelques temps une autre idée en tête : saupoudrer de parties de violon les riffs teigneux de ses camarades. Les inévitables "divergences musicales" paraissent vite insurmontables; la situation financière des jeunes adultes précipite la scission : les deux têtes pensantes de
Sabbat se séparent.
Nos protagonistes ne pouvaient alors l'imaginer, mais cette rupture peut être considérée comme historique pour deux raisons. Si quelques années seront nécessaires au guitariste Andy Sneap pour devenir le producteur starifié que l'on connaît aujourd'hui, il ne faudra en revanche que quelques mois au vocaliste Martin Walkyier pour réunir un nouveau groupe,
Skyclad, et composer avec ses compères "
The Wayward Sons of Mother Earth", qui marque la naissance d'un nouveau sous-genre aujourd'hui particulièrement populaire : le Folk-
Metal.
Épaulé par l'inséparable paire Steve Ramsey (Guitare) / Graeme English (Basse), recrutée chez Pariah, et tous deux ex-
Satan et
Blind Fury, Martin accouche entre 1991 et 1995 de cinq albums pionniers. Si
Skyclad adoucit son propos avec le temps, passant d'un Thrash-folk martial et furieux à un Heavy-Folk bien plus tempéré mais également plus mature, une constante persiste : la qualité. On ne manquera pas de citer à ce propos les contributions du guitariste Dave Pugh (ex
DAM -
Destruction And Mayhem) et du regretté batteur Keith Baxter (RIP) qui quittent tous deux le groupe en 1995, laissant
Skyclad dans une situation délicate qui ne les empêche pourtant pas d'ouvrir pour
Black Sabbath sur le "
Forbidden UK Tour".
Remplacer Keith s'avérant compliqué, le quatuor Walkyier/Ramsey/English/ Georgina Biddle (violoniste du combo depuis 1995) tranche : des batteurs de session (Paul Kinson et Paul Smith) feront provisoirement l'affaire pour immortaliser les nouvelles idées qui ne cessent de fuser, à tel point que deux albums sortiront en 1996 : "
Irrational Anthems" en début d'année, suivi dans la foulée de ce septième opus au titre mystérieux "Oui Avant-Garde á Chance".
Si sur le papier, l'album n'est pas particulièrement attrayant, patchwork de huit nouveaux morceaux, de deux reprises et de deux réinterprétations de titres de l'opus précédent ("History Lessens" et "Penny Dreadful"), c'est au final une excellente surprise qui m'avait à sa sortie complètement transporté.
"If I
Die Laughing, It'll Be An
Act Of God" ouvre les hostilités dans une veine typique de
Skyclad : gros riff up-tempo, mélodie entêtante au violon et vocaux hargneux; on se croit en terrain conquis. Ce titre d'ouverture, le très noir "Badtime Story" et la pernicieuse reprise "
Master Race" du combo post-punk New Model Army [extrait de "
Ghost Of
Cain" -1986-] seront pourtant seuls parmi les nouvelles compositions à rappeler le glorieux passé des britanniques; d'où l'utilité, je l'ai compris plus tard, des deux remix qui équilibrent le disque, et notamment de l'impétueux "Penny Dreadful" qui le clôt comme il a commencé. Car dès le second morceau, le ton est donné : si les mélodies celtiques occupent toujours le premier plan, les guitares saturées s'effacent pour laisser plus de latitude aux guitares folk et aux nappes de synthé, créant des ambiances certes très différentes, mais absolument délicieuses, naviguant entre celles d'un pub enfumé ("Great Blow For A Day Job") et d'un cimetière ("Constance
Eternal" / "Jumping My
Shadow").
Disque incompréhensible pour certains, pas assez
Metal, pas assez Folk, pas assez complexe, trop mou, "Oui Avant-Garde á Chance" a effectivement tous ces défauts, mais l'on doit lui reconnaître une certaine réussite dans la sobriété, en témoignent par exemple la fabuleuse et minimaliste "Postcard From Planet
Earth", la reprise enjouée du tube de 1982 des Dexys Midnight Runners ("Come On Eileen") enregistrée avec les musiciens de
Subway To Sally ou encore la décalée "Bombjour" s'adressant directement à notre ancien président à propos des essais nucléaires de 1995 dans le Pacifique : "Frère Jacques Chirac dormez-vous ?"
Si la musique tranche donc largement avec les productions précédentes, les textes passionnants de l'éloquent Martin, toujours aussi en verve, restent dans leur continuité et nous plongent dans une opaque noirceur; suie dans laquelle il est nécessaire de s'enfoncer pour percevoir l'essence de ce disque à la fois plein d'humour ("Great Blow For A Day Job" !), de tristesse ("Constance
Eternal") et de résignation. "Planet
Earth is great to visit - It's great to visit, but you wouldn't want to live there", nous assure sinistrement Martin. A force de le passer en boucle, on finit par le croire, et le titre francisé prend alors tout sons sens : ... "Oui Avant-Garde á Chance" = "We haven't got a chance"...
Œuvre libre, misanthrope et souvent incomprise, "Oui Avant-Garde á Chance" en mériterait pourtant une seconde (chance) que personne ne lui donnera, le disque étant épuisé et le groupe pratiquement oublié. Ainsi va la vie.
"
And when you know the ways of men,
Then you can only pity them."
The Wayward Sons of Mother Earth
" il y a un bail mais sans accrocher plus que ça.les goûts évoluant avec l'âge je vais m'y intéresser à nouveau.
Beau papier fort instructif concernant la génèse du groupe.Merci!
Vous devez être membre pour pouvoir ajouter un commentaire