Un vent brûlant venu des terres ibériques vient nous assigner à résidence, à l'instar d'une œuvre flamboyante qui s'est laissée le temps de la pleine maturité, que l'on doit à l'habile doigté de ses sculpteurs, ayant dès lors peaufiné chaque trait de son visage halé. En effet, pas moins de quatre longues années ont été requises par le quintet de metal symphonique espagnol, issu de Ciudad Real, pour mener à bien un pléthorique projet, habilement coulé dans une orchestration en béton armé, relevé d'une pointe d'allégresse et d'un soupçon d'authenticité. Suite à «
Eterna », discret EP conçu en 2009, à «
Sky Ashes » album full length frondeur et de bonne facture, réalisé deux ans plus tard, voici enfin «
Odyssey to Reflexion », gemme fraîchement sorti chez Santo Grial, majestueusement orné de onze pistes s'étirant sur un ruban auditif de pas moins d'une heure et six minutes.
Pour rappel, le groupe s'inscrit dans un registre metal symphonique mélodique et progressif, éminemment énergique, affriolant et élégant, sans virulence excessive, ni obscurité atmosphérique. En outre, celui-ci a concocté des arrangements efficaces, qui n'ont pas été sans effets sur la qualité des parties orchestrales ici réalisées. En outre, les soli et les déliés conçus à la guitare ou aux claviers s'avèrent solides, bien inspirés et judicieusement coordonnés dans les espaces instrumentaux où ils se meuvent. Ce qui n'est pas sans renvoyer à des compositions aux portées bien ajustées, parfois complexes mais toujours cohérentes. Ainsi, le combo, mené par la chanteuse Irene Villegas et le guitariste Charly Carretón, délivre un message musical épique, aux gammes expertes et aux arpèges envoûtants, oscillant entre sereines mélodies et diluviennes ambiances. Quant aux paroles, elles font preuve d'un jeu d'écriture étoffé, parfaitement restitué dans les lignes de chant dispensées par la charismatique et unique interprète du combo. Le titre, déjà, renseigne sur l'univers de réflexivité et d'introspection qui va nous suivre tout le long de ce dantesque périple. La symbolique figurative de ce message est assurée grâce à l'artwork de la pochette d'inspiration fantastique, réalisé par MatibrunoDesign, où un miroir diamanté incluant une balance, celle de la justice, apparaît comme un bilan que la femme esquissée est invitée à faire d'elle-même. Pour la mise en valeur de la production, son enregistrement, réalisé avec tact et un certain souci du détail, a été laissé aux mains expertes de Manuel Borja (
Dark Road Studios). A l'ingénierie du son a été sollicitée l'oreille experte de Rafa Esplugues (OnTracks Studios). Il en ressort une belle profondeur de champ acoustique et une dissociation optimale de chaque instrument sur chacune des pistes, répondant au bémol près à chaque partition dispensée. Manuel a également élaboré le mixage, permettant un équilibrage des parties entre elles, même si, par moments, les lignes de chant peuvent apparaître sous-mixées. Mais, rien de rédhibitoire qui ne nous prive d'une écoute prolongée de l'opus. De plus, la galette a été mastérisée par Nick Litwin et Luis González (Mastering
Mansion Studios). Aussi, les finitions comme les enchaînements ne sont pas en reste et contribuent à faire de cette rondelle un moment apte à procurer d'authentiques plaisirs.
La majeure partie du propos observe un tempo enjoué, sur une cadence entraînante, octroyant de nombreux effets de surprise. Le début de la ragoûtant galette annonce déjà la couleur, une fois passée l'entame de l'opus. Comme un appel du grand large, le voyage commence par «
Origin », laconique instrumental violoneux à la dense et délicate assise orchestrale, nous faisant alors larguer les amarres en toute sérénité. Soudain, le pouls s'accélère à mi-morceau, nous plongeant dans une atmosphère symphonique un tantinet hispanisante qu'enchaîne immédiatement «
Beyond the Chains », titre aux riffs rageurs et à la rythmique plombante et souriante. Le navire instrumental évolue sereinement sur des couplets bien gravés et des refrains plutôt invitants, la belle s'infiltrant tout naturellement dans la trame avec un grain de voix clair et puissant, non sans rappeler Maike Holzmann (ex-
Voices Of Destiny). Un pont à la technicité éprouvée dispense un sémillant solo de guitare relayé par un habile délié au synthé, avant que quelques notes de sitar d'inspiration indienne ne s'invitent, ajoutant alors une touche d'exotisme à la croisière. La sirène prend alors l'ascendant sur le refrain en reprise, précédant un final à l'instrumentation explosive.
Plus loin, quelques suites de notes à la guitare acoustique accolées à une enveloppe synthétique nous introduisent sur l'entraînant « Shadows in My
Head ». Titre énergique aux riffs acides, il laisse s'échapper des couplets bien customisés et des refrains aisément mémorisables, sous couvert d'une infiltration orchestrale en demi-teinte et d'impulsions vocales sulfureuses, suivant un tracé mélodique enflammant. Dans cette mouvance, animé de quelques frasques, le frondeur «
Glory » suit une rythmique rageuse qu'assiste un riffing crocheté. Et ce, le long d'un périple haut en couleurs, parfois accidenté, mais sécurisant, non sans rappeler
Diabulus In Musica sur « Argia » (2014). Lorsque claque le refrain, on ne résiste pas longtemps à l'appel de la sirène, au moment où l'instrumentation s'épaissit et où le tapping se fait martelant. Un pont technique ravit le tympan par ses coups de serpe de percussions démoniaques et de riffs effrénés. A la belle de reprendre le flambeau sur le magnétique refrain, la piste finissant crescendo. Mais, là ne s'arrête pas le spectacle, loin s'en faut. On entre en communion avec les éléments à l'aune de «
Through the
End of Times », plage à la section rythmique frondeuse étreinte de riffs corrosifs. La déesse, par ses fragiles inflexions, nous aspire sans soucis sur un refrain catchy à souhait. Le corps instrumental, riche dans ses gammes et imposant de par son déploiement, dans le sillage de
Forever Slave, n'en recèle pas moins des trésors de subtilités dans les harmoniques, nous octroyant en prime un sémillant solo de guitare. Les changements de tonalité ainsi qu'une ligne mélodique difficile à prendre en défaut, sur une fringante piste taillée pour les charts, sont de mise. Et l'adhésion s'effectue sans encombres.
Le combo a aussi veillé à varier son paysage rythmique. Ainsi, des nappes synthétiques nous accueillent avec les honneurs sur « Firebird's Flight », titre à la rythmique heavy syncopée et aux riffs écorchés vif.
Semblant danser sur des couplets nuancés, l'interprète nous conduit sur une tonalité acidulée vers des refrains aériens, mélodiquement bien charpentés et orchestralement opulents, dans l'esprit de
Nightwish. Complexe dans sa structure instrumentale, cette piste épique témoigne d'un large champ harmonique couplé à des gammes aux fines sinuosités. Un break vocal se fait prestement fouetter par une spectaculaire reprise, mise en habits de lumière par la sensuelle empreinte vocale, le parcours s'achevant crescendo.
Une intrigante touche d'orientalisme s'invite aussi dans cette proposition. Quelques perles de pluie, aux accords d'inspiration indienne esquissés par une énigmatique sitar, nous installent sur le véloce «
God of Deads », conférant une touche orientale à cette piste frétillante. Complexe dans son principe d'émission instrumentale, non sans rappeler
Xandria, première mouture, ce ballet nous envoûte par son atmosphère oppressante, pleine de torpeur et jouant sur les subtiles variations et effets produits par les synthés. La belle use d'ondulantes vibes pour nous séduire et y parvient sans que l'on s'y attende. Ou l'art de savoir marier les suaves parfums d'Orient.
Pour les inconditionnels de moments tamisés, le collectif n'a pas omis quelques mots bleus, d'une confondante tendreté, n'ayant pas failli à une magnétique captation émotionnelle. Et ce, à l'instar de «
Cross Eternity », touchante ballade atmosphérique à la ligne mélodique épurée. De fines modularités insufflées par la maîtresse de cérémonie dessinent couplets et refrains avec une insoupçonnée puissance et la sauce prend, sans même à avoir à forcer le trait. Le tout porté par une rythmique soyeuse, de somptueux arpèges pianistiques et un ravissant solo de guitare. On appréciera un beau dégradé de l'intensité sonore en fin de piste.
Mais, là où nos compères se démarquent d'une concurrence devenue de plus en plus rude au fil des années, c'est qu'il a conçu deux fresques originalement et partiellement arbitrées par un délicat instrumental. La première recèle une peinture murale recouvrant un respectable quart d'heure de palpitantes péripéties, la seconde, outro de l'opus, surplombant la scène de ses dix sculpturales minutes, synonymes de profondeur d'âme et de parfum ambré fleurant bon la terre de feu dont le groupe peut s'enorgueillir. Entrons dans l'arène pour ressentir le souffle éolien de cet étrange ballet.
Tout d'abord, un monumental morceau à tiroirs, à l'aune de « When Words
Kill », nous est octroyé, livrant, lui aussi, son lot de surprises, du meilleur effet, qu'il convient d'apprécier dans leur jus. C'est en cinq actes que s'effectue la lecture de la pièce. On commence en douceur sur « Trapped ». Des arpèges sensibles au piano rejoints par une lead guitare en toucher nous invitent ainsi à pénétrer dans le vaisseau amiral sur sa première partie, délicatement caressée par les patines vocales de la diva, le long d'un mid tempo doté d'une ligne mélodique agréable à défaut d'être totalement immersive. Progressivement, le refrain s'installe au sein d'un bain orchestral aux doux remous. Puis, par effet de contraste, apparaît prestement «
Born to Fail ». Sur ce deuxième acte, des riffs échevelés et une dynamique percussive sans concessions se déversent. La lead guitare tournoie tel un aigle dans le ciel, la belle imprimant son timbre clair sur un cheminement mélodique finement tracé, les nappes synthétiques se faisant luxuriantes. Devenu tourmenté, déployant soudain des riffs écornés, une double caisse acariâtre et des cymbales furieuses, le cortège évolue sur des ondes vibratoires invitantes, où s'infiltrent quelques suaves moments syncopés, pour finir crescendo. Comme pour rompre avec cette dynamique rythmique, tel un interlude, apparaît « Thoughts », pénétrant et complexe instrumental où se conjuguent un jeu de guitare acoustique fluide, une lead guitare virulente et un serpent synthétique amplifiant son étreinte. Un solo de guitare alerte vient alors à la rencontre d'une sinueuse rampe organique qui jamais ne fléchit. Un combat de titans, s'il en est. Soudain, le silence envahit l'espace. Puis, un superbe picking à la guitare acoustique corroboré à une flute et une câlinante présence vocale, au fil d'un parcours éminemment délicat, aux notes fragiles et parfaitement ajustées à leurs portées, nous inondent sur « Disappear in My
Sad End ». Enfin, dernier acte, « Achieve Happiness », enchaîne, comme il se doit, sur un moment de pure jouissance auditive sous le joug de refrains immersifs à souhait se répétant avec brio, pour nous happer littéralement, jusqu'à nous faire vaciller jusqu'à l'ultime note. Magique, tout simplement...
Comme pour poursuivre l'entreprise de séduction tout en marquant une rupture du champ oratoire, l'instrumental « The
Crusade » se cale au moment opportun pour s'inscrire lui aussi dans les mémoires, par sa cataclysmique ambiance de cape et d'épée. Brève par sa durée mais terriblement émoustillante par son intensité orchestrale, cette assise musicale d'obédience metal symphonique pur, sait aussi ravir le tympan, à sa manière. Une mise en relief du corps instrumental par des arrangements effilés permet de s'immerger dans une atmosphère chevaleresque, et de voguer au gré de ses pérégrinations harmoniques sur le champ de bataille. Dommage que la rupture de rythme soit aussi rapide, stoppant net le vaisseau une minute avant la fin des hostilités.
Enfin, ultime étape, et non des moindres. Une onde synthétique, environnée de percussions au dense relief acoustique, nous accueille sur le vivifiant « Critical Situation », jouant des contrastes atmosphériques avec brio. C'est une aérodynamique toile finale qui nous attend. Ce morceau aux riffs étranglés nous engage dans les tribulations oratoires aériennes, un tantinet orientalisantes, de la déesse, à la fois sur des couplets habilement échafaudés et sur des refrains nuancés. L'instrumentation s'épaissit et resserre son étreinte pour nous envelopper le pavillon sans nous lâcher d'une semelle. Une lead guitare assiste alors la belle dans un phrasé alerte sur un cheminement mélodique torturé, avant que la riche orchestration ne s'invite au bal. Un pont techniquement saisissant s'ensuit. Un tapping martelant, suivi d'un fougueux solo de guitare nous fouettent le tympan alors que le riffing s'assombrit tout en s'intensifiant. Une rupture rythmique s'inscrit dans l'architecture instrumentale de fond, où les fines modularités de la sirène ravissent l'instant suspendu. Le fringant cortège instrumental reprend alors du service pour nous mener curieusement à une clôture sous forme de point d'interrogation sous le joug d'une sonnerie téléphonique pour mot de fin.
Sera-t-on prêt à reprendre le paquebot une fois arrivé à bon port ? Probablement. Pour en apprécier toute la teneur, il convient de se repasser le film dans son intégralité à plusieurs reprises, ne serait-ce que pour apprécier toutes les subtilités techniques et les tracés harmoniques qu'il contient. Mais, une chose est certaine, le groupe a élevé d'un cran le niveau de ses compositions par rapport à sa précédente offrande. Au-delà de quelques considérations technicistes, c'est sur les plans mélodique et architectural que le combo a accentué ses efforts. Ses compositions témoignent d'une personnalité artistique qui s'est affirmée, à la lumière d'un travail en studio des plus minutieux. De plus, la tracklist obéit à un judicieux placement de chaque type de morceau, et ce, afin d'en valoriser la substantifique moelle. Malgré des lignes de chant non lyriques, la belle a su moduler ses claires impulsions pour nous rallier à sa cause. Consciemment ou non, on finit par y succomber. Peut-être un duo ou deux auraient-ils apporté un complément intéressant à la palette déjà étoffée du champ vocal octroyé.
Pour l'heure, ce gemme aux multiples colorations comblera les amateurs de metal symphonique mélodique à chant féminin clair mais non lyrique. Pour les fans du groupe, ils y trouveront de quoi combler leur longue attente. D'autres publics plus orientés metal/rock atmosphérique, progressif ou gothique, pourraient aussi se laisser sustenter par les ondes positives de cette généreuse et solide production. Est-ce à dire qu'à l'instar de cette nouvelle offrande, le groupe entrerait dans l'histoire du genre dont il se prévaut ? Il est encore trop tôt pour se prononcer, mais on commence à en prendre le chemin, assurément. Quoiqu'il en soit, le combo nous gratifie d'une œuvre riche et variée qui n'a désormais plus aucun complexe à avoir face aux cadors de ce registre. Encore une marche à gravir, à l'aune d'un prochain full length qu'on espère plus rapidement réalisé et distribué, sans sacrifier la qualité de production, et le combo suivra les traces des plus grands pour brandir à son tour le glaive victorieux de la consécration ultime. On ne peut que le lui souhaiter...
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