"Hélas, il est toujours quelques inconscients qui se croient à l'abri des coups de hâche du destin…"
Monsieur Manatane, 1997
En ces temps de troublés, les jeunes adeptes de la musique du diable se jouent du confinement, car plus que jamais, ils ont le temps de s'isoler dans la tanière de leur home studio, de pondre des albums à la chaîne et de répandre dans les chaumières au chômage partiel les harangues d'une musique d'apocalypse.
Désolé, j'ai trop regardé BFMTerreur, et ça déteint, et comme tout le monde, je n'ai pas pu résister à l'appel putaclic de la métaphore facile qui tape là où ça fait mal… Concentration, méditation,… et on recommence.
A l'heure où les groupes font des concerts en streaming devant des salles vides, des répètes à distance par mail interposé, où rongent leur frein devant un agenda trou noir, les One Man Band se trouvent bien à leur aise, avec plus de temps qu'il n'en faut pour composer tranquille. Zut, c'est pas mieux. J'ai pas mon générateur automatique de chronique allumé, au moins ? Bon, on la refait.
Le OMB qui nous intéresse aujourd'hui nous vient de Belgique - d'où le psaume Poelvoordien en ouverture de cette chronique - et aussi un peu de la section du forum "Faites écouter vos Compos" de
Spirit Of
Metal, qui permet aux SOMiens de partager leurs créations. Et je dois dire qu'à peine j'ai écouté les premières minutes de ce "
Negative Mind", je me suis dit, celui-là c'est pas du black joué avec un ampli Playskool et une batterie Bontempi, et je vais le noter dans mon Cahier de Texte des Chroniques à Faire.
Car
Emperor Ov Larvae n'est pas un OMB comme les autres. Aux manettes, se trouve Arnaud alias
Reaper, qui est le nom d'un Logiciel de Studio bien connu des solitaires obnubilés de la piste et du plugin que sont les marionnettistes de One Man Band. Mais, sachant aussi que reaper signifie moissonneur, ou faucheur, et pas dans le sens de Massey Fergusson, on se doute qu'on va passer un sale quart d'heure. Bon, je rigole, mais il faut bien, car en rentrant dans le vif du sujet, on ne va pas faire dans la poilade décomplexée.
Mais si on revient un peu en arrière dans le temps, Arnaud/
Reaper est tout sauf un novice qui tâtonne sur un PC, et il a sur son CV quelques lignes bien intéressantes. Guitariste, mais aussi batteur et bassiste, il a fait partie du groupe de Grindcore belge
Oerjgrinder dès 2003, puis Desperation
Angel (renommé en Mutill), et a fait œuvre de producteur dans un milieu qui nous est relativement étranger, celui du Drum n' bass. Mais assez vite, il a pris une indépendance croissante pour faire éclore ses idées, en montant le duo Grind/Death/Black Fronzen Worm avec Sébastien (batterie) avec une demo "Ice
Lord" sortie en juin 2017.
Avec le départ de
Sebastien,
Reaper a concrétisé son projet solo sous le nom d'
Emperor Ov Larvae, et sorti deux EP jumeaux pour le moins ambitieux, "
Xerul" et "
Xerul2 - Reunion", fresque fantasy et spatiale incroyablement sombre, bercée par un occultisme des tréfonds de la galaxie. Le propos musical était très brutal, avec un mélange de death et de black à égalité, alternant parties rapides avec des accalmies lourdes et ambiantes.
Après le dyptique des
Xerul,
Reaper a délaissé l'univers spatial et ses civilisations inconnues pour quelque chose de plus terrien, techno-futuriste, urbain, mais tout aussi sombre et dérangeant, comme l'illustre l'artwork très sobre de "
Negative Mind".
L'opus est en cinq parties, chacune initiée par un intermède instrumental, qui distillent une ambiance qui donne un point de départ aux morceaux qui suivent. Ils ont le bon goût d'être suffisamment courts pour ne pas ennuyer, et d'arriver à poser un tableau en quelques coups de pinceaux sonores, de manière assez cinématographique. Certains d'entre eux font dans l'Electro Indus ou le Drum n' bass, comme "I-343" fait qui doucement monter une intro, où on pressent nettement qu'on va se prendre une baffe dans la tronche, ou comme le deuxième intermède "II-
Solar Ritual" dont les grondements futuristes semblent sortis d'une banlieue de
Blade Runner.
La partie synthétique/ sample est extrêmement soignée et classieuse, on est loin du bruitage bidouillé pour faire style. Elle est parfaitement intégrée à la musique, comme sur les trois premiers morceaux qui s'enchainent en une grande pièce vous anesthésie, puis plonge dans un concasseur à vérins hydrauliques made in
Fear Factory (le FF death de "Soul of a New machine", pas le FF piou piou de "
Digimortal") et finalement vous écrase au rouleau compresseur dans sa troisième partie "
Red Moon". Des plages angoissantes parsèment les titres, avec des samples et nappes synthétiques sourdes ( "
Seul Compte l'Espace", "Ravages Neuroptiques",…).
La partie instrumentale est à la base très death metal, brute et sans chichis, avec des riffs simples et directs, ou des sprints d'accords en tremolo picking, à l'image du riff implacable de "
Red Moon" cisaillé par des crashs de cymbale à contretemps. Parfois, deux pêches bien placées font plus de mal qu'une surenchère de coups dans tous les sens, et
Reaper l'a très bien compris.
Si à certains moments, on est sur du death industriel à la
Fear Factory ("
Primal Consensus"), ou à la
Supuration - ( "Ravages Neuroptiques" et ses lâchers de guitares pesants et dissonants)., Sur d'autres, c'est le black qui prend clairement le dessus ("Cocides du Parangon", "
Seul Compte l'Espace", la fin de "
The Void", …).
Comme c'est de rigueur pour nombre de One Man Bands, la batterie est programmée, mais évite brillamment l'écueil du son Robocop. Le rendu est assez vivant, et les parties de batterie privilégient l'efficacité rythmique, surtout sur les nombreuses explosions rapides et blastées qui parsèment l'album. Le point culminant est atteint… sur le ghost track caché après "
Negative", où
Emperor Ov Larvae laisse exploser sa rage en continu avec un death/black furieux. Je précise que la piste en question est accessible si vous avez acheté l'album sur Bandcamp.
La partie vocale est bien sûre très growlée, de pas mal de manières différentes entre death et black, mais dans une tonalité assez grave en général, et en essayant d'être compréhensible. A noter que certains morceaux sont en anglais et d'autres en français, comme c'était déjà le cas sur les "
Xerul", ce qui est une des singularités de
Emperor Ov Larvae.
Le chant est habité et possède un coté théâtral, surtout lorsqu'il baisse de ton et devient incantatoire ("Chronique Impériales"). Par exemple, l'intermède "III- Gloire" se compose d'un petit laïus digne d'un coach en développement personnel, dont le ton et l'ambiance sonore nous invitent à une formation "lavage de cerveau par l'accupuncture au Pentothal". Il devient même l'élément central sur "
Negative", surprenant espèce de rap/death d'outre tombe, avec juste quelques bribes de shugs de guitare minimalistes, où la voix adopte des scansions qui rappellent la diction d'un Reuno de
Lofofora. La prise de risque mérite d'être saluée, d'autant plus c'est totalement réussi et que son coté presque dansant le rend encore plus glauque.
Au chapitre des petites réserves, je dirais qu'il manque un peu de gros riffs qui tuent et construits pour marquer l'oreille, mais c'est souvent inhérent au death et au black pratiqué de manière old school. Et puisque
Emperor Ov Larvae n'hésite pas à jouer avec les styles musicaux, quelques soupçons de mélodie auraient pu encore renforcer les contrastes et la noirceur de son univers.
Emperor Ov Larvae marque en mélangeant les extrêmes entre Black/Death/Indus et Drum n'bass/Electro. Par ses ambiances glauques, il instille une oppression lancinante avant de déchaîner sa violence de manière froide et déterminée. Il garde une marge de progression importante, s'il parvient à hisser les instruments au niveau du travail bluffant fait sur les samples et l'électro, pour magnifier un univers fascinant d'étrangeté, de noirceur et d'onirisme sournois.
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