19 mars 1982, Leesburg, Floride, USA. En tournée domestique pour l’album « Diary of a Madman » et filant sur Orlando pour apparaitre dans un festival dont il est à l’affiche, le groupe
Ozzy Osbourne fait escale dans cette petite bourgade de 19 000 habitants du
Lake County afin de se dégourdir les jambes et d’y visiter la propriété d’un certain Jerry Calhoun, gérant de la compagnie d’autocars assurant le transport du combo de l’ex
Black Sabbath et de son road crew sur les routes du Sunshine State. Le site comprenant un mini tarmac et quelques avions de plaisance ci et là, quoi de plus normal pour les invités que d’être convié à prendre place à bord d’un Beechcraft Bonanza F-35 de 1955 pour une petite escapade dans les airs ? Dirigé aux manettes par le chauffeur de bus Andrew Aycock, un premier vol emmène le claviériste
Don Airey et le manager du tour Jake Duncan sur les hauteurs de Leesburg. Animé d’une appréhension relative compréhensible mais se voyant offrir l’occasion rêvée de pratiquer sa passion pour la photographie d’un point de vue insolite et pour le moins aérien, le jeune guitariste prodige et ex
Quiet Riot Randy Rhoads, 25 ans, accepte d’accompagner la costumière et coiffeuse du groupe Rachel Youngblood pour un second vol dont l’issue sera on ne peut plus fatale et marquera l’Histoire du Rock à jamais. Remplacé dans l’urgence par Bernie Tormé pour les concerts annulés suite à la tragédie puis reprogrammés peu après, le regretté Rhoads se verra finalement suppléé par un certain Brad Gillis garde de nuit de son état, lequel enregistrera d’ailleurs le live « Speak of the
Devil » pour le Madman quelques mois plus tard.
Night Ranger se forme en 1979 à San Francisco sous le patronyme de Stereo sur les cendres du groupe de funk rock Rubicon autour du chanteur/bassiste
Jack Blades, du guitariste Brad Gillis et du batteur Kelly Keagy. Rejoint par l’ex
Montrose Alan Fitzgerald aux claviers puis par un second six-cordiste en la personne de Jeff Watson, Stereo devient
Ranger puis
Night Ranger en 1982 suite aux revendications légales d’un groupe de country quasi homonyme, The Rangers. Ayant cependant enregistré sous l’étiquette
Ranger un premier album intitulé «
Dawn Patrol » et tourné pour ce dernier en compagnie de
ZZ Top et d’
Ozzy Osbourne notamment,
Night Ranger voit son premier effort discographique ne sortir finalement qu’en novembre 1982, le temps pour le label Boardwalk Records de détruire toutes ses copies en stock et de represser l’opus sous l’appellation
Night Ranger. Atteignant une 115ème place au Billboard 200 et comprenant le tube « Don’t Tell Me You Love Me », «
Dawn Patrol » se voit succédé en octobre 1983 par l’ambitieux «
Midnight Madness » édité sur MCA suite à la disparition de Boardwalk.
Pour qui vénère en premier lieu la période 1989-1991 du hard rock américain, celle des dernières heures ; intenses et recelantes de trésors inconsidérés et immuables ; il convient parfois de retourner aux basiques afin de mieux comprendre les fondements de cette musique divine et mystique sans laquelle nous ne saurions survivre dans cette société d’inculture, mercantile et vomitive au possible. Doté d’un pseudonyme euphonique et symboliste ne pouvant qu’inspirer la confiance,
Night Ranger fait incontestablement partie de ceux ayant contribué à poser les premières pierres à l’édifice d’un rock lourd coloré et populaire, adulé tant par les minettes florées de bonne famille lassées par la niaiserie des New Kids on the Block que par les jeunes adolescents rebelles et chevelus en guerre contre un système à renverser coûte que coûte et incarné de façon ultime par une autorité parentale pesante et liberticide. L’émancipation salvatrice d’une jeunesse américaine devant se défaire du carcan puritain national pour envisager l’avenir avec sérénité, il en est justement question au sein de l’introductive « (You Can Still) Rock in America » ; titre explosif agrémenté d’une ligne de keyboards très début des années 80 mais surtout de soli hallucinants exécutés avec charisme et feeling par la talentueuse et complémentaire paire guitaristique Gillis/Watson. A n’en point douter,
Night Ranger est un pur groupe de hard rock au sens premier du terme, formaté FM certes et assez éloigné du nihilisme de certains de ses contemporains plus effrontés, mais néanmoins bien assez ravageur pour posséder le corps et corrompre l’âme de l’auditeur. En effet, comment ne pas regretter d’avoir longtemps dénigré ce quintette san franciscain pour de stupides raisons visuelles à l’écoute de l’excellente «
Why Does Love Has to Change » et de son intro rappelant dans ses premières notes l’indescriptible « Ain’t Talkin’ Bout Love » de
Van Halen, de la vindicative et lancinante « Touch of Madness » notamment marquée par un riffing pirncipal des plus entêtants ou encore de la classieuse et spontanée « Chippin’ Away » ?
Album de rock dur s’il en est et première moitié de la décennie 80 oblige, «
Midnight Madness » se doit également et invariablement de composer avec le nerf de la guerre pour tout combo aspirant à un minimum de succès commercial qui se respecte et qui activement souhaite après chaque gig s’adonner backstage aux plaisirs de la luxure en compagnie de groupies à peine majeures : le romantisme, les traditionnelles ballades et autres puérilités indispensables et garantes du charme quintessentiel propre à tous ces groupes de légende que nous chérissons tant. Au chapitre des morceaux les plus radiophiles du disque, relevons ainsi l’excellente et mélodique « Rumours in the Air » empreinte de surprenants accents pop/disco collant quasi optimalement à l’esprit du titre ou encore la mielleuse, sensible, très
REO Speedwagon en somme «
When You Close Your Eyes » témoin d’un
Jack Blades exhortant son interlocutrice à lui préciser si elle rêve de lui quand elle ferme les yeux… tout un programme. Tube atemporel de
Night Ranger ayant été jusqu’à apparaitre dans la scène du Greyhound en partance pour L.A. du film « Rock of
Ages » (
2012) d’Adam Shankman dont chacun se fera seul juge, la magnifique ballade «
Sister Christian » révèlera au monde de façon solenelle l’illustre et surprenant talent vocal d’un Keagy visiblement autant à l’aise derrière ses fûts que dans l’exercice risqué de la complainte lyrico-sentimentale. D’obédience autobiographique, ce sublime poème musical interprété et écrit pour l'anecdote par le batteur Kelly Keagy dans son appartement de la Divisadero Street de San Francisco s’avère être dédié à sa petite sœur Christy de dix ans sa cadette, laquelle ne cesse de grandir et de devenir femme aux yeux de son grand frère rock star lorsque ce dernier ne peut que trop rarement venir visiter sa famille dans sa ville natale d’Eugene, Oregon. Ultime pièce musicale de ce «
Midnight Madness » qualitatif et pertinemment équilibré entre hard rock FM de premier choix et expressions sonores langoureuses, l’acoustique et reposante « Let Him Run » se verra avoir l’honneur de clore une galette valant son pesant d’or malgré les nombreux stéréotypes propres à son époque qu’elle semble cultiver avec une certaine complaisance.
Illustré par une pochette des plus hideuses avouons-le, «
Midnight Madness » constitue un second full length on ne peut plus inspiré et décisif pour un groupe pratiquant avec spontanéité et talent un hard rock alors destiné à la bande FM et aux arenas des quatre coins du pays de l’Oncle Sam. Bénéficiant d’une production remarquable pour l’époque signée le dénommé Pat Glasser (
Giuffria) mais néanmoins doté de nappes de claviers un peu trop proéminentes parfois trahissant de fait ses vingt-neuf ans d’âge, cet album à succès qui atteindra avec mérite la 15ème place du Billboard 200 et élèvera dès lors ses géniteurs au rang de sensation du moment se veut aussi constituer un terrain d’expression idéal pour un vocaliste on ne peut plus doué tant dans la douceur lyrique que dans la hargne et une paire de guitaristes aux doigts d’or. Même si la lisseuse à cheveux n'existait visiblement pas encore et que ce n'était pas vraiment ça non plus au niveau de la dégaine vestimentaire ; à découvrir ou à redécouvrir au plus vite, pour une poignée de dollars qui plus est.
Encore un de ces combos obscurs (à mon niveau) que j'ai occulté lors de mon éducation hard-rockistique.
La video ci-jointe est juste énorme,le titre est vraiment bien foutu.
Et que dire des duel de guitares incendiaires signé Gillis,Watson. Encore merci pour le papier.
Vous devez être membre pour pouvoir ajouter un commentaire