Certaines découvertes peuvent être complètement fortuites, fruits du hasard le plus pur, ou à contrario provoquées par une décision prise à l'instant T. Ou comment un simple appel téléphonique passé tard dans la nuit et filtré par un standard d'une station de radio peut provoquer une déflagration sonique dans notre espace auditif quelques jours plus tard.
L'effet papillon en somme.
Il faut comprendre, et les moins jeunes d'entre nous le savent bien, c'est que sans Francis Zégut (notre Tonton Zézé, total respect) et son émission Wango Tango sur RTL, Phil Manœuvre et Jean-Pierre Dionnet avec les Enfants du Rock, Jean-Pierre Sabouret, rédacteur en chef de
Hard-Rock magazine et à l'origine de la diffusion des premiers Boulev'hard des clips en collaboration avec M6, Jean-François Moullec et son complice Bidu avec Doum Doum Wah Wah sur RMC, j'en passe et j'en oublie (chacun pourra compléter cette liste) nous serions sans doute passé à côté de certains groupes chers à nos cœurs et nos oreilles.
Fin des années
1980, Internet n'avait pas encore étendu son emprise tentaculaire et c'est grâce à ces pionniers, leurs émissions et parutions respectives que nous avons pu nourrir notre passion et étancher notre soif inextinguible de découvertes.
1988, alors que j'écoutais en sourdine tard dans la nuit ce fameux Doum Doum Wah Wah, une question du style "De quelle couleur est la basse bleue de Steve Harris ?" ou "De combien de membres est composé le trio
Raven ?" fût posée à l'antenne.
La difficulté ne résidait alors pas dans la réponse à donner, mais plutôt dans la descente des vingt marches en bois grinçantes et horriblement bruyantes qui séparaient la chambrée fraternelle du téléphone familial sans réveiller personne. "Musique de fous !" répétaient à l'envi mes parents qui ne comprenaient décidément pas ma passion pour ces groupes. Je devais donc faire preuve d'une extrême discrétion, bien décidé à prolonger et à ne pas soigner cette bruyante "folie".
Trois semaines plus tard, je recevais mon gain, "La Doum Doum qu'On Pile", sur laquelle on trouvait entre autres du
Ozzy Osbourne, 220 Volts,
Britny Fox (liste complète sur demande) et Sanctuary avec son
Battle Angels de feu. La déflagration sonique en question.
Extrait de leur 1er album révélateur
Refuge Denied enregistré par Terry Date (
Metal Chuch,
Overkill,
Soundgarden ou
Fifth Angel) et produit par Dave Mustaine, comprenant quelques perles, dont entre autres tueries,
Die For My Sins ou la reprise électrifiée et électrisante du White
Rabbit de Jefferson Airplane sur laquelle MegaDave apporte sa contribution en se fendant d'un méga solo.
1990, après une tournée Américaine en première partie de
Megadeth et
Warlock, les protégés de Mustaine retournent en studio sous la houlette de Howard Benson cette fois, pour l'enregistrement de
Into the Mirror Black, leur second effort.
Bien malin celui qui saura cataloguer le style de cet album. Est-ce du Heavy, du
Power, du Thrash ou du Progressif ? Un peu de toutes ces influences en fait, subtilement alliées et parfaitement maîtrisées.
Ce qui saute aux oreilles, c'est d'abord la prestation vocale de
Warrel Dane, extrêmement technique et carrément habitée et enragée, dont la tessiture n'est pas sans rappeler un certain
Geoff Tate, notamment dans les médiums et les aigus.
Le reste de la formation est également de premier choix, les guitaristes Lenny Rutledge et Sean Blosl qui lui, quittera le navire après avoir mis les titres en boîte et sera remplacé au pied levé par
Jeff Loomis pour la série de concert servant de support à la promotion du disque (celui-là même qui à 16 ans avait été auditionné par MegaDave pour pallier au départ de Jeff Young durant la période So good So far...), érigent un véritable mur du son bétonné de riffs lourds, lissé d'un enduit mélodique avant la couche de crépi à base de soli lumineux que la basse de
Jim Sheppard, bien mise en avant au mixage et la batterie de David Budbill fissurent allègrement sans états d'âme.
Ce qui saute aux yeux ensuite c'est l'artwork. En voyant ce vieil homme au visage parcheminé, à l'automne de sa vie, sa jeunesse lui tournant inéluctablement le dos sur son long chemin de monotonie parcouru et se préparant à affronter les frimas de son crépuscule hivernal, on comprend aisément que l'ambiance de l'album ne sera pas "party all night and whiskey à gogo with girls girls girls who wants to have fun and sex and more si affinités... ou pas !". W. Dane est une âme torturée et invite les plus téméraires à plonger notre regard dans ce miroir qui renvoie la noirceur et nous défie de le suivre pour affronter nos doutes, nos questionnements, nos peurs dans une introspective exploration.
Futur Tense ouvre les hostilités par une caresse de médiator sur la quatre cordes de Sheppard pour une intro atmosphérique toute en retenue, puis enchaîne sur un mid-tempo à la rage encore contenue pour finir en furie à trente secondes de la fin.
Puis un riff thrashy introduit
Taste Revenge et son refrain à la diction quasi orthophonique, les paroles étant martelées à l'unisson avec le duo rythmique Sheppard/Budbill infernal. La vengeance est un plat qui se mange froid et la série d'uppercuts assénés à coups de manches de guitares laisse le menton douloureux. "I'll take you down!" conclut Dane porté par une batterie donnant des coups brutaux et courroucés.
Sans temps mort déboule le nerveux Long Since
Dark lacéré par des coups de griffes mélodiques bien sentis pour conclure le premier tiers de l'album, comme un apéritif aux alcools forts avant l'arrivée de plats plus raffinés mais forts en goûts.
Avec le tortueux Epitath, véritable palais des glaces labyrinthique érigé par le groupe,
Warrel Dane délivre une prestation habitée, limite schizophrène où toute l'étendue de sa gamme vocale (ou presque) y passe. Avec une facilité déconcertante, il passe de la voix de tête à la voix de gorge, modulant sans coup férir notes aiguës, médiums et tons plus graves, en alternant voix angélique devenant rageuse et voix posée montant en puissance avec une présence indéniable. Les miroirs habilement placés en plusieurs points stratégiques laissent entrevoir des reflets "Queensrÿchiens" du plus bel effet sur cette piste traitant de mort et de résurrection.
A l'instar de ce titre,
Eden Lies Osbcured et The Mirror Black, chansons immédiatement identifiables, ouvrent de façon progressive avec une mention toute particulière pour
Eden et son refrain terriblement addictif qui en fait le morceau le plus mélodique et un des plus marquant de cet opus.
Ce triptyque précieux et efficace constitue assurément la clef de voûte de l'ensemble.
La troisième partie d'album est de facture un peu plus classique avec des chansons moins facilement mémorisables. Season of
Destruction sombre et furieux aux accélérations judicieusement placées se démarque du lot en laissant échapper quelques relents de
Metal Church.
Nous sommes en 1991 et
Nirvana explose avec Nevermind. La cupidité est un bien vilain défaut et les dirigeants de CBS Records, qui, envoûtés par le chant "grungy" des sirènes aimeraient surfer sur ce juteux filon, mettront la pression sur le groupe qui refusa tous compromis, provoquant ainsi conflits et split de la formation. Avec
Into the Mirror Black, Sanctuary, injustement sacrifié sur l'autel du Dieu Dollar, nous lègue donc son magnifique et inspiré testament. A possèder absolument !
Actuellement le groupe renaît des ses cendres avec le line up originel plus un petit nouveau, Brad
Hull qui remplace
Jeff Loomis qui lui même avait remplacé Sean Blosl (ouf !) et de nombreuses chansons sont d'ores et déjà composées et en rodage.
Un malheur n'arrivant jamais seul, mes deux albums de Sanctuary ainsi que ma précieuse mallette contenant une quinzaine de mes non moins précieux disques argentés (mon "
Highway playlist", comme je me plaisais à l'appeler) m'ont été dérobés à la faveur d'un vol à la tire et d'une vitre latérale explosée un samedi soir sur la Terre en 1993.
Et si un jour l'auteur de ces faits, impotent du bulbe, trouve face à lui un gaillard de 2,08m et 120 kg à l'air peu amène et pas du tout enclin à la discussion, chantant entre ses dents serrées le refrain de
Taste Revenge, il comprendra bien vite ce qui l'attend.
Ou comment une simple vitre de voiture brisée tard dans la nuit peut provoquer une déflagration pédestre dans son espace gingival quelques années plus tard.
L'effet papillon en somme.
As you implore on bended knee
Do you regret what you've done to me ?
No matter how you plead, I'll take you down
Je voulais écouter attentivement l'album avant de balancer un com' sans intérêt comme il y en a trop... D'abord grand merci à toi Marko, car en réalité pas besoin de connaître le disque pour apprécier ta chronique qui offre un voyage dans le temps, une tranche de vie et tout simplement du plaisir à volonté à la seule lecture, donc chapeau bas l'artiste !!!
Ensuite, connaissant et appréciant Nevermore depuis longtemps, je n'ai pas été dépaysé un instant, juste une vérification qui permet de se rendre compte de l'étendue du talent de W.Dane et consorts. L'album est riche et puissant avec tout de même une petite préférence pour les deux titres d'ouverture, en particulier Future Tense (qui me rappelle Mekong Delta) et Epitaph tout simplement sublime.
Grand Merci Marko, un retour aux sources profitable à plus d'un titre.
Avec "Into The Mirror Black" (1990) Sanctuary nous offre un second album plus sobre et plus sombre que "Refuge Denied" (1988) comme le laisse augurer sa pochette en noire et blanc.En effet terminé les cavalcades du premier album le groupe, conscient que le Heavy Metal (ainsi que le Thrash Metal) doit se renouveler s'il ne veut pas devenir anachronique en ce début des années 90, propose des morceaux plus lents et austères sur lesquels Warrel Dane pousse moins sa voix dans les aigus.
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