"International Blackjazz Society".
Un nouveau parti politique ? Une secte ? Une expérience étrange ? Le blason d’un groupe extrémiste ?
Et non, simplement le nouveau patronyme étrange (et sensiblement égocentrique avouons-le, même si couvert d’humour) des norvégiens cinglés de
Shining chez qui on recherche désormais un second souffle après l’époustouflant "Blackjazz" ayant non seulement lancé leur carrière mais créé une véritable mouvance.
Jorgen Munkeby, désormais unique membre à bord encore rescapé de l’ère "Blackjazz", unique compositeur et géniteur de cette folie, a fait bien plus que d’écrire un album et semble désormais vouloir aller bien plus loin. Il n’est plus uniquement question de musique mais bien d’une communauté, d’un groupe social se retrouvant autour de cette musique et créant un art que
Shining aurait créé.
Suite à cet album exceptionnel, novateur et expérimental, les choses ont pris une telle proportion que les musiciens ont peu à peu perdu pied. Certains se sont retirés pour se recentrer autour de choses plus traditionnelles telles que la pop ou la country, tandis que d’autres ont simplement arrêtés la musique. "One One One" avait été une sensible déception dans le sens où la vision expérimentale s’amenuisait pour une enveloppe plus rock, plus catchy et finalement moins osée mais également plus équilibrée pour le live et furieusement plus violente.
Logiquement, "International Blackjazz Society", qui continu ce sillon dont Jorgen ne veut pas s’extraire (demande-t-on à
Venom,
Morbid Angel, Iron Maiden ou
Slayer de changer de style ?), apparait aujourd’hui comme le lien manquant entre deux disques diamétralement opposés dans le fond mais se recoupant dans la forme. Comprenons par là que le son, le style et l’aura malsaine qui émane de la musique des norvégiens est désormais unique et facilement reconnaissable mais que Munkeby repart dans sa marche en avant concernant l’innovation et l’apport de nouvelles sonorités.
Fortement déstabilisant, renforçant le jazz (qui disparaissait sur "One One One" pour simplement faire surgir le saxophone sur des breaks) et ouvrant une atmosphère extrêmement industrielle, le malaise que procure "International Blackjazz Society" est égal à la pourtant relative facilité d’accès de la musique. Paradoxal ? Un peu comme l’indus des années 90 qui semblait opaque et inaccessible mais par le même biais très pop/rock dans le fond et simple dans les structures.
Brouillant les pistes, le groupe ne renie clairement pas son passé et abandonne légèrement le metal au profit d’une musique plus libre, plus folle, déstructurée et inattendue. On ne trouvera pas de "Paint the Sky Black" ou "My
Dying Drive" mais des passages flirtant énormément avec la pure improvisation et offrant la sensation d’écouter une chose nouvelle à chaque écoute, comme si l’album était différent à chaque recommencement. C’est troublant car il s’avère très difficile de s’acclimater à certains passages, hérités du free jazz, enregistrés en live et sans réelle structure, évoquant les géniales dérives du groupe en live, dont on ne sait jamais réellement si elles sont calculées ou si le groupe est suffisamment fou pour constamment se suivre sans plan de jeu.
"Admittance", dès le début, permet de comprendre dans quoi nous plongeon. Tobias Andersen (l’ancien batteur de
Leprous) est impressionnant derrière ses futs et démontre qu’il était parfaitement taillé pour le poste (pour ceux qui avait des doutes). Introduction servant de rampe de lancement à "The Last Stand", joué au Hellfest en avant-première et premier clip de l’album. Une voix dissonante évoquant parfois Trent Reznor, une mélodie simple et accrocheuse mais une sonorité discordante, un refrain simple à retenir mais dont où une folie latente semble se tapir en silence. C’est donc un groupe que l’on reconnait mais qui est en constante mutation qui est face à nous. "
Burn it All" va, quant à lui, dans une direction nouvelle, plus pernicieuse et glauque.
Plus noir, avec toujours ces claviers industriels emplis de négativité, les guitares (qui ne sont plus maitres sur ce disque) ne surgissent que pour apporter un coup de grâce frénétique, notamment sur ce qui pourrait ressembler à un refrain frénétique n’étant pas sans rappeler la sauvagerie extrémiste d’un "The Madness and the Domage Done". Une frénésie similaire à ce que l’on retrouve sur "Thousand Years" qui possède un passage d’une lourdeur effrayante, broyant tout sur son passage et dont certaines sonorités dégueulasses rappellent sans équivoque le
Marilyn Manson de la grande époque couplé au chant autiste de Jorgen.
Plus asymétrique que jamais, la structure s’échappe constamment pour ne suivre aucun concept, aucune logique et s’immiscer sournoisement dans notre esprit. Le saxophone y est fou, hurlant, agressif et sauvage, propulsant aux alentours de la troisième minute un break de batterie monstrueux de feeling dont on devine qu’il a été presque gardé en l’état de sa première mouture.
Aimant jouer avec les codes et les mots, Jorgen livre le couple "House of
Warship" et "House of Control" pour deux compositions n’ayant en commun que leur titre et l’intérêt que notre esprit veut porter à ce qui n’a en réalité rien d’un couple. Le premier morceau est un pur moment d’improvisation (l’un de ceux où on semble écouter à chaque fois quelque chose de différent), où le saxophone est maitre, les parties de batterie effrayantes de technique et les guitares une masse industrielle de riffs et de sons grinçants. A l’inverse, "House of Control" est peut-être ce qui se rapprocherait le mieux (avec un tant soit peu d’imagination) d’une ballade. Mélodie clean à la guitare, chant beaucoup plus émotionnel et pur, envolée aboutissant sur un refrain admirable et prenant. Évidemment, le centre du titre (relativement long pour
Shining) n’échappe pas à sa schizophrénie et sa folie mais il est la preuve d’une volonté d’aller ailleurs, plus loin et montrer une facette nouvelle et cohérente du style blackjazz. "
Need" se chargera de terminer les hostilités par un retour des guitares saturées, des riffs tordus mais d’une ligne vocale plus identifiable que l’on pourra facilement reproduire en live.
"International Blackjazz Society" n’est pas disque facile à décrire, bien moins que "One One One" qui semble aujourd’hui bien fade en comparaison bien que son exécution en live soit un plaisir pur et bestial. Ce nouvel opus, plus proche de l’œuvre originale dans l’esprit, se vit avant de se raconter, car les avis et les impressions seront clairement différents pour chacun de ceux qui écouteront l’album. Certains y verront une bouillie expérimentale inaudible, d’autres une œuvre unique trop isolée dans notre monde de conformisme et d’autres encore pourront trouver, à juste titre, que Jorgen Munkeby surfe trop allègrement sur ce qu’il a lui-même créé. Néanmoins, qui peut aujourd’hui dire qu’il ressemble à
Shining ? Qui peut dire qu’il surprend autant et ballade l’auditeur avec autant de facilité ?
Bien peu au final. "International Blackjazz Society "demande du temps et ne s’écoute pas en boucle c’est un fait. Car si nous recherchons tous de briser les frontières et les conventions, après un tel déluge de sons étranges, de hurlements instrumentaux et de structures déstructurées, il est parfois bon d’écouter quelque chose de plus traditionnel pour reprendre son souffle. Et replonger à corps perdu dans ce labyrinthe aussi fascinant que dérangeant.
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