Si l'univers metal symphonique à chant féminin n'a eu de cesse d'aspirer moult formations en son sein depuis plus de deux décennies déjà, ces dernières ayant, pour bon nombre d'entre elles, essuyé quelques revers, est-ce à dire que les jeunes recrues aient à redouter de tenter l'expérience ici plus qu'ailleurs ? Rien n'est moins sûr. En effet, si les projections des uns et des autres tendraient à une certaine uniformité atmosphérique et à quelque linéarité harmonique, les expérimentations ainsi accumulées ne se renouvellent pas nécessairement à l'identique. Ce qu'atteste précisément ce jeune sextet italien sorti de terre en 2015, soucieux de proposer une œuvre aussi singulière qu'émouvante, propice à une adhésion croissante d'aficionados de metal mélodico-symphonique gothique à chant non lyrique. Aussi, à la différence de pléthore de ses homologues, le valeureux combo a davantage misé sur une orchestration à la rythmique souple, aérée, témoignant d'une empreinte symphonique mesurée, sur le charme de ses arpèges veloutés et sur une dynamique instrumentale fleurant bon l'authenticité au détriment d'une profusion d'effets synthétiques, parfois envahissants, et d'effluves lyriques, devenues légion dans ce registre. Ces nuances formelles accolées à quelques touche pop metal et prog, appelées de leurs vœux par la verte sarabande, feront-elles la différence ?
Une année riche d'un travail acharné à la fois en studio et sur les plateaux de tournage a été investie (nos acolytes ayant déjà réalisé trois clips), préalablement à la sortie de «
In the Shadows of Things », initial album full length où cohabitent sereinement et s'enchaînent judicieusement mais parfois trop lentement 8 pistes d'une durée sensiblement similaire, pour un voyage énergisant, parfois épique, et romantique de 43 dévorantes minutes. Cet introductif effort laisse entrevoir une production d'ensemble plutôt soignée mais non aseptisée, séduisant par sa qualité d'enregistrement quasi professionnelle autant que par sa profondeur de champ acoustique, autorisant, de fait, une immersion profonde et durable en eaux tumultueuses. Essai à l'inspiration féconde que l'on doit à la frontwoman Nicoletta Rosellini (
Kalidia), aux guitaristes
Shaman et Flaming
Jack, au claviériste Tio Frank, au bassiste Monk Key et au batteur Arcanus. Pour l'occasion, l'équipe transalpine s'est dotée de la pénétrante empreinte vocale de Magdalena Lee (
Tears Of Magdalena) et du puissant et troublant timbre du grunter Emiliano Pasquinelli (Tuchulcha). De séduisants prémisses nous intimant d'aller porter un regard circonstancié sur le bébé...
Dans l'ensemble, l'opus jouit d'une aura perceptible sur plusieurs passages, octroyant une pugnacité percussive mesurée tout en vitaminant, en les rendant accessibles, la plupart de ses espaces d'expression. Est-ce à dire que l'on aurait affaire à une usine à tubes dès le premier jet ? Ainsi, non sans rappeler
Ravenscry, avec un zeste de
We Are The Fallen, le tubesque « Last
Siren » nous embarque tout de go dans de réjouissantes contrées à l'atmosphère légère et au doux parfum de mélisse, à l'image de saisissants chemins mélodiques, enjolivés par les captatrices volutes calées dans les médiums de la sirène. Sur une rythmique enjouée, sous-tendue par de graciles gammes au piano, couplets bien ciselés et refrains hypnotiques glissent avec un naturel déconcertant dans nos pavillons alanguis, se chargeant de nous aspirer dans un tourbillon de saveurs exquises dont on ne pourra que difficilement s'extraire sans chercher, consciemment ou non, à remettre le couvert. Dans cette mouvance, c'est sur des charbons ardents que l'on pose le pied à l'aune de «
Alexandria », frénétique offrande pop metal mélodique entonnée par Magdalena Lee qui, par son envoûtant et angélique timbre de voix, aspirera bien des âmes, y compris les plus rétives. En outre, on n'échappera pas à la truculence du refrain, doté d'un suave et capiteux parfum d'Orient.
Dans cette même logique, mais sur un mode rythmique plus en retenue, d'autres pistes tirent également leur épingle du jeu. Ainsi, dans la veine atmosphérique d'
Autumn, accolée à une touche mélodique d'
Amberian Dawn (seconde mouture), l'engageant mid tempo « Chance in the Storm » nous assène une pluie de riffs effilés et oscillatoires étreignant une lipidique et saillante rythmique. Accélérations et ralentissements alternent sereinement dans ce vaste champ de turbulences que l'on se plaît à traverser, à la fois pour ressentir la force des éléments telluriques, les fines variations et se faire chouchouter le tympan par les puissantes et soyeuses inflexions de la déesse. Une piste de plus à placer parmi les hits en puissance délivrés par nos acolytes. Pour sa part, plaisant mid tempo aux faux de ballade, «
Carthage » dissémine ses riffs épais et électrisants au fil d'un cheminement harmonique sécurisé, au cours duquel la maîtresse de cérémonie n'a tari d'aplomb ni d'inspiration pour nous délivrer de magmatiques inflexions sans pour autant y perdre en luminescence. On regrettera ici, comme souvent, une coupure trop tardive de la piste, nous imposant, de fait, de longs intervalles dénués de toute sonorité.
Lorsqu'il touche au progressif, le collectif italien le fait avec élégance et, là encore, parvient à déclencher en nous une émotion subreptice. Dans ce sillage, quelques sensibles arpèges infiltrent « Heavy
Wings of
Destiny », titre symphonique gothique progressif à la touche dark, combinant l'atmosphère éthérée de
Lacuna Coil, les harmoniques d'
Evanescence et l'univers gothique de
Tristania. Cette magnétique tourmente prend prestement l'ascendant parallèlement à une lente et pénétrante empreinte growleuse signée Emiliano Pasquinelli qui, conjuguée aux chatoyantes patines de Nicoletta, au timbre proche de Marjan Welman (
Autumn), fait mouche. Sur un refrain qu'on entonnerait à tue-tête, harmonisant une instrumentation progressivement enfiévrée à un fringant corps oratoire calé sur le schéma de la belle et la bête, la magie opère. Titre metal gothique progressif aux riffs gras, à mi-chemin entre
Lacuna Coil et
Autumn, « Walk Like Heroes », par contraste, laisse s'écouler de célestes impulsions d'une interprète bien habitée. Ce faisant, cette offensive et émoustillante offrande n'ayant de cesse de distribuer ses frappes sèches sait aussi desserrer sa rythmique pour nous octroyer de savoureuses plages propices à la zénitude. Une affaire rondement menée, une fois encore. Enfin, fausse ballade atmosphérique lacunacoilesque, «
Eternal River
Flow » ne cache pas longtemps son jeu, nous plongeant in fine dans un délectable et bouillonnant chaudron, où abondent blasts vénéneux et riffs crochetés, même si quelques avenants ralentissements calment par moments la tempête. En dépit de moult changements rythmiques et de tonalité, eu égard à une profusion d'accords subtilement coordonnés, on ne lâche pas une seule seconde cet acte aux multiples rebondissements.
Ainsi, nos compères semblent détenir les clés pour nous rallier sans retenue à leur cause. Souvent, on est sous le charme du message musical, pris par la tourmente, et l'on se laisse porter par leurs jouissives vibes jusqu'au terme du parcours. Aussi, l'inspiré combo transalpin aurait-il fait carton plein dès le premier essai ?
Pas tout à fait. En effet, l'up tempo « Dance of Time », déambulant sur de soyeuses et ondulantes nappes synthétiques, distille une énergie certes communicative mais également un riffing répétitif et sans relief. De plus, la sente mélodique souffre d'approximations que ne parviennent pas à relever les fines modulations de la belle. Peut-être le bémol de l'opus.
Cela étant, sans avoir eu recours ni à une charmeuse empreinte lyrique ni à une émouvante ballade, ni à une opulente et imparable fresque, le groupe a relevé le défi de nous retenir plus que de raison. Ayant étoffé sa palette vocale, diversifié ses atmosphères et élargi son champ rythmique, avec une pointe d'originalité, tout en ayant soigné sa logistique et témoigné d'une technicité convaincante et non ostentatoire, le sextet transalpin s'affiche dores et déjà comme un redoutable concurrent face à ses homologues générationnels. Certes, un montage plus affiné des pistes devrait permettre d'éviter l'écueil de trop nombreux silences en fin de morceaux qui, dans ce cas, se feraient plus pesants que reposants. Mais le jeune combo italien a encore le temps de peaufiner sa logistique pour nous octroyer un propos à l'architecture plus avertie. Pour l'heure, on conseillera aux amateurs de leurs sources d'influence de goûter à cette œuvre pimpante et subtile, regorgeant de recoins inexplorés. Nul doute que le temps de l'imprégnation passé, nombre de passages en boucle s'ensuivront. Car, pour un premier jet, le collectif rital frappe fort, très fort...
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