J'aime et je hais Gris.
Je hais Gris, car c'est un duo magistralement déprimant. A chaque écoute de cette pièce magistrale de musique alambiquée et pourtant si dépouillée, je sombre dans un profond cafard. Leur art me ramène à ce que je suis, et à ce que nous sommes tous : un cancer pour l'humanité, une calamité, bref, un véritable fléau, une vague de peste organique totalement inutile et dénuée de but. J'aime Gris, car leur art est le seul à me faire ressentir autant d'émotions. Leur musique si douloureuse est pourtant finement taillée, et ce disque est un véritable rubis. Un rubis rouge sang, dans un écrin d'épines : touchez-le pour l'admirer, mais vous n'en sortirez pas sans des écorchures profondes et des saignements.
Car Gris attaque où ça fait mal : quand d'autres groupes se concentrent sur une misanthropie commerciale (avec des arguments très discutables), les deux membres du groupe canadien, Icare et
Neptune, la vivent à fond. Alex de
Benighted Leams disait : Il va sans dire qu'un concert de Black
Metal est celui d'une salle vide. Gris na jamais donné de concert. Par haine pour notre genre, par honte d'appartenir à la même espèce que nous, pauvres humains satisfaits de leur égoïsme, dévastant tout sur notre passage, à commencer par le plus beau don que nous aie fait la nature : les forêts, à la fois magnifiques et indispensables. Le disque commence.
Rappel douloureux de notre folie : la première pièce de cette œuvre, morceau éponyme, "il était une forêt" hantera votre âme pendant longtemps. Tendez vos poignets nus aux lames de rasoirs que sont ces riffs terrifiants, tendez votre cou à la corde qu'est ce clavier de voix fantomatiques et terrifiantes, puis tendez tout votre être vers des abîmes de douleurs sans nom que sont les voix écorchées d'Icare et
Neptune, porteuses de souffrances, les seules sonnant aussi justement malsaines et douloureuses. "Il était une forêt", ou la cupidité de l'homme, n'était plus qu'un douloureux passé... Insupportable et pourtant sublime torture auditive qu'est ce premier morceau, dépassant la barre des neuf minutes, qui plante le décor et annonce la couleur rouge sombre des morceaux à venir.
"Le gala des gens heureux" est un morceau magistral. Bien entendu, Icare et neptune se tiennent à distance de ces rires, de cette foule: cette joie qui éclate, jetée à même leurs visages, telle des flots de déjections, les dégoûtent. Rien que le son de nos rires, de nos applaudissements leurs donnent des céphalées abominables. Taisez vous... Taisez vous..., telle est la plainte désespérée de
Neptune face à cette débauche d'humanité, un sentiment fortement réprouvé par ce misanthrope pathologique. Un morceau simple, totalement dénué d'humanité, à la cadence fortement marquée par Icare, batteur marquant la cadence de cette décadente symphonie : chaque claquement de caisse claire nous tranche les veines, chaque gémissement de douleur nous sale les plaies... Et ces textes... Sublimement travaillés, lourds de sens, les deux québécois manient la langue de Molière en faisant preuve d'un pessimisme et d'une ironie remarquable, chose assez rare pour le signaler.
"Cicatrices", où comment une chanson aussi dépouillée peut vous faire autant de mal. Tue-moi, tue-moi, je t'en supplie, déchire ma chair nauséabonde et moisie, torture ma tête, impose-lui ta douleur, jusqu'à ce que la mort fasse sécher mes pleurs. Telle est la litanie débitée par ces deux voix cancéreuses et souffreteuses, martelée par la cadence lente et pourtant infernale de la batterie, soutenue par une guitare acoustique dépouillée, et par un clavier de foire, sobre et pourtant terriblement adapté aux textes : assez de ce cirque qu'est l'humanité, mourrons pour enfin trouver la paix, dans le repos éternel.
"Veux-tu Danser ?" résonne comme une invitation à un ballet macabre, celui de la mort : entrez donc dans la danse malsaine d'Icare et
Neptune, enivrez-vous de la souffrance qui vous rappelle votre misérable condition : vous n'êtes que l'ombre d'une ombre, se pavanant oisivement, et pourtant, portant la pire des infections : l'amour. Morceau quasiment entièrement acoustique, batterie mixée en retrait nous permettent d'apprécier les voix déchirées de ces deux canadiens, et de comprendre un peu plus les paroles, très travaillées. Et toujours ce clavier, omniprésent, qui nous fait monter les larmes aux yeux.
"Profonde Misanthropie", morceau dans la continuité du gala des gens heureux. Proprement insupportable et suffocant. Et pourtant, on reste béat, incapables d'arrêter cette chanson. Incapables de mettre un terme à cette torture de nos sens, à ce rabaissement de l'espèce humaine. Cicatrices, comme les vestiges de précédentes tentatives d'en finir avec la Vie, en trouvant un réconfort tant espéré dans les bras de la grande faucheuse. Comme toujours, la sobriété est de mise, bien plus efficace que la technicité à outrance. Morceau tout en mid tempo, il reste dans la tête, et les chuchotements des deux musiciens vous triturent les neurones pendant longtemps aprés la fin du disque.
Enfin, voici le morceau épitaphe de cet album, "La
Dryade". La douleur ne prend pas fin pour autant : entièrement instrumental, ce morceau est mélancolique au possible : piano, violon et ambiances font de cette pièce une excellente conclusion à ce pavé de souffrances, jeté en plein dans nos visages de parias. Toujours aussi lent, Gris nous achève : le calme après la tempête, et pourtant...
Alors oui, je mets 20/20. Cette note reste cependant très subjective. Pour ma part, je ne peux plus vivre sans ce CD, sans en écouter de temps en temps, afin de me rappeler ma triste condition, et surtout, me prouver à moi même que certes, la perfection musicale n'existe pas, mais que cet album de Gris la frise sur tous les points. Une totale réussite sur tous les plans. Jamais je n'aurais pensé qu'un album puisse me faire pleurer : hé bien, si, j'ai versé quelques larmes, tant leur douleur est sincère et tant leurs textes sont véridiques.
Six albums sont prévus avant le suicide de Gris. S'ils s'annoncent aussi réussis que ce "Il était une forêt" (ce qui na pas l'air d'être le cas, car à première vue, leur collaboration avec Sombres Forêts s'annonce mauvaise musicalement), nous pourrons alors être en droit d'affirmer que Gris fût le groupe le plus triste de l'histoire de la musique.
En attendant, voici une œuvre magistrale, menée de main de maître. Tout amateur de Black
Metal dépressif se doit d'y jeter une oreille, car à côté de Gris,
Shining et
Silencer font véritablement pâle figure.
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