Puisqu’il s’agit de dire les vérités, aussi brutales soient-elles, allons-y.
En toute logique, j’aurais dû sauter au plafond, pleurer de joie et frémir hystériquement en apprenant qu’il me revenait l’honneur de chroniquer en avant-première le nouveau
Brutal Truth. Et là, on parle de subjectivité, de passion, d’émotivité exacerbée allant puiser dans la nostalgie des temps adolescents. Oui, il y a quinze ans de cela, le seul nom de
Brutal Truth pouvait me mettre en transe, j’allais jusqu’à tanner mes potes pour se lancer dans la reprise de Choice Of A New Generation, alors même que nous ne savions guère aligner plus de deux notes...Bref, un groupe culte, sans doute pour toute une génération. Culte ?
Assurément. En faisant abstraction du monument
Terrorizer,
Brutal Truth fut sans aucun doute le papa de toute la scène grindcore US à venir, celle qui fait encore aujourd’hui les beaux jours de ce style. Entre le légendaire
Extreme Conditions, donnant le droit aux New-Yorkais de siéger aux côtés de la référence
Napalm Death, et un
Need to Control posant les bases d’un grindcore moderne, puissant et travaillé, en deux albums
Brutal Truth s’est assuré une place à part dans ce petit monde brutal. Culte, définitivement.
On pourra juger ce préambule un peu inutile, mais vous aurez remarqué au passage l’emploi initial du conditionnel. Tout cela pour avertir le lecteur que la chronique qui suit ne s’est pas nourrie de cette nostalgie. Au-delà de l’intégrité relative que tout chroniqueur doit chercher à atteindre, il y a des éléments factuels dans le parcours de
Brutal Truth qui ont contribué à doucher cet enthousiasme. Un nouveau
Brutal Truth ? Certes, mais comment passer sous silence le parcours qui suivit
Need to Control ? Un seul album, qui bien loin de conforter le groupe sur son trône, a laissé un goût d’inachevé d’autant plus qu’il s’était fait attendre trois longues années. Et que dire aussi de la jurisprudence
Terrorizer, avec son come-back de 2006, qui sans vraiment écorner sa propre légende, généra plus d’amertume et de malaise qu’autre chose. Enfin, on nous évitera le couplet du come-back surprise, puisque
Brutal Truth a maintenu une activité suffisante ces deux dernières années (entre splits et tournées) pour que son public se soit déjà plongé dans l’attente contrariée d’un nouvel album devenu de fait incontournable.
Voilà, j’en ai fini avec cette introduction certes lourde, mais à mon avis nécessaire.
On rentre donc dans le vif du sujet, et pour le coup, on ne croit pas si bien dire. Les premiers morceaux de
Evolution Through Revolution ont le mérite de la clarté du message délivré : non, les New-Yorkais ne se sont pas calmés avec l’âge. On peut même dire qu’ils sont de ces petits vieux qui ajoutent à leur colère éternelle une bonne dose d’acariâtreté. En effet, si l’entrée en matière du disque mettra copieusement en bouche les grinders les plus endurcis, elle risque de dissuader tous les autres, y compris ceux qui de temps à autre ne dédaignent pas un petit death grind à la
Napalm Death ou
Misery Index...D’une brutalité implacable, le grindcore de
Brutal Truth ne fait pas dans le compromis. Riffs acérés, batterie épileptique, hurlements de damné, les New-Yorkais préfèrent utiliser toutes les ficelles générant de la souffrance, en évitant copieusement tout ce qui pourrait constituer une pause « musicale », que ce soit en terme de mélodie ou de tempo.
Pour les plus résistants qui auront survécu au pilonnage intensif (paroxystique sur
Turmoil),
Brutal Truth découvre un visage un peu plus varié à partir du génial
Fist In Mouth : le riff hardcore déhanché en fin de morceau fait office de signal... Dès lors, toute la panoplie y passe : les morceaux lents, faits de feeling et de groove, dans lesquels le jeu du vieux Dan Lilker fait merveille (Get A Therapist, Detached), la petite bombe crust déflagrante (
War Is Good), le death/grind rageur et puissant s’inspirant du vieux répertoire (
Evolution Through Revolution, Powder
Burn, Global Good Boy ou le bien nommé Grind Fidelity), le « You
Suffer But
Why »-like (Branded)...même le vieux travers de
Brutal Truth pour les instrumentales antimusicales réapparaît, heureusement avec modération (Semi-Automatic Carnation). Bref, une démonstration de savoir-faire épatante, alignée au milieu d’une palanquée de missiles génocidaires.
Pourtant, le disque n’a vraiment rien d’un medley synthétisant le parcours du groupe jusque-là. Surtout pas. Non contents d’être acariâtres et en colère, les New-Yorkais sont tout sauf nostalgiques. Si à l’évidence
Evolution Through Revolution est plus complet et plus inspiré que son prédécesseur, il reste avant tout dans sa droite lignée, gardant cette inspiration moderne et progressiste. A noter dans le même registre que l’atmosphère du disque est d’une remarquable homogénéité. L’univers apocalyptique, noir et révolté est d’une grande cohérence tout au long du disque, et avec cette brutalité constante, les quelques variations que j’ai citées plus haut s’avèrent plus que salvatrices pour éviter l’indigestion et la migraine.
Pour aller toujours plus loin dans cette idée de cohérence, le disque est avant tout efficace dans sa volonté d’agresser l’auditeur. Et à ce titre, on se doit de souligner la qualité de la production et du mixage.
Brutal Truth retrouve son goût historique pour la toute puissance, et il est bluffant de constater combien l’équilibre entre tous les instruments a été soigné. Ce point permet notamment d’apprécier la technicité des musiciens, car si les compositions restent plutôt directes,
Brutal Truth excelle dans l’art de superposer des jeux antinomiques entre basse, guitare et batterie, histoire de semer un peu plus le chaos sonore, sans jamais se perdre.
Bien sûr, les plus nostalgiques regretteront sans doute le groove imparable qui jalonnait nombre de vieux morceaux, ou encore le classicisme de certaines vieilles constructions qui empruntaient au death/grind de papy... mais pour ma part, le seul regret qui va piocher dans le passé réside dans l’uniformisation du chant de Kevin Sharp. Le virage était déjà pris sur
Sounds of the Animal Kingdom, mais l’alternance classique entre growls infrasonores et hurlements déchirés faisait vraiment partie de la marque de fabrique du groupe. Et même en refermant la parenthèse nostalgie, je reste tout de même sur ma faim niveau vocaux.
Bilan des courses :
Evolution Through Revolution n’est peut être pas le disque grindcore de l’année 2009 (qui semble d’ailleurs se présenter comme un sacré millésime).
Brutal Truth ne prétendra pas non plus à recouvrer un leadership dont il n’a jamais vraiment voulu.
Là n’est pas le sujet.
Evolution Through Revolution est avant tout un redoutable album, et par son biais,
Brutal Truth pond à nouveau, quinze ans après
Need to Control, une sorte de maître-étalon du « true » grindcore américain - si j’ose employer ce terme douteux- dans sa version moderne, résolument tournée vers l’avenir. Une forme d’incarnation des règles de l’art actuelles en la matière, refusant tout compromis, ne vivant qu’à travers les fondements éternels du mouvement : l’ultra-violence sonore au service d’une revendication sociale plus que jamais exacerbée. Et l’évolution récente de notre monde donnant raison au discours historique des New-Yorkais, il n’est guère étonnant de constater que plus que jamais,
Brutal Truth reste une référence.
De la sorte, en refusant tout compromis, tout penchant marketing ou toute fibre nostalgique,
Brutal Truth montre une intégrité sans faille au travers de sa nouvelle oeuvre. Les grinders purs et durs peuvent jubiler, les autres passer leur chemin.
The Grinding Cult is alive.
Et pourtant, bien qu'en groupe référence du style, ses derniers albums Sounds of Animal et Evolution through Revolution peinent à s’imposer sur ma platine, me lassant quelque peu au fil de leur avancée. Franchement, je ne trouve pas d’élément transcendantal, capable de transformer une écoute sans histoire en une avalanche de passages intenses & de riffs meurtriers. Je ne retrouve en effet ni le death / grind massif & déboulonnant du culte Extreme Conditions, ni le grind entêtant & surpuissant de Need to Control.
Sans posséder un recul suffisant, je trouve toutefois Evolution Through Revolution un brin meilleur que son prédécesseur, qui partait un peu dans tous les sens. Evolution est plus compact, plus homogène, sans trahir l’identité actuelle de Brutal Truth.
A titre de comparaison, j’ai préféré le bon Poisoned Apple de Venomous Concept, emmené par l’infatigable Shane Embury (aux côtés des 'sieurs D.Lilker & K.Sharp de Brutal Truth). Cet album possède la folie hardcore et l’entrain nécessaires, relançant la machine au lieu de perdre ou d’ennuyer rapidement le grinder. Water Cooler est par exemple le morceau fun et fracassant par excellence, rappelant la bonne époque de Disrupt et d’Extreme Noise Terror.
Fabien.
Par contre, ETR se bonifie vraiment avec les écoutes, et malgré son parti pris très moderne, qui lui enlève justement tout côté vintage et lui confère parfois des allures expérimentales, ce Brutal Truth recèle quand même de bons moments et de détails appréciables qui se découvrent au fil du temps.
Je pense sincèrement que l'aspect "hostile" des premières écoutes est assumé et a été recherché dans l'écriture d'un album qui traduit bien la volonté de BT de ne pas regarder en arrière.
S’inscrivant directement dans la lignée de Sounds of the Animal Kingdom, je trouve aujourd'hui Evolution Through Revolution bien meilleur que son prédécesseur, car plus compact et homogène, mais aussi bien plus maîtrisé (contrôlé), tout en conservant brillamment l’essence grindcore de Brutal Truth et son attitude plus que jamais contestataire.
Fabien.
J'étais resté bloqué sur le premier album, je découvre celui ci, et mon approche de la musique c'étant "enrichie" avec le temps, je savoure pleinement cette offrande qui mélange parfaitement oppression et catchy...
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