Son succès est mérité, c'est indéniable. Cependant, comment un opus de l'envergure de « Nevermind » a pu à ce point faire couler et jeter à terre les autres représentants du Seattle Sound ? Avoir concurrencé
Pearl Jam et son unique «
Ten », écrasé
Soundgarden qui était alors à des années-lumière de la success-story enfantée par le grunge avec une discographie relativement méconnue et ce, jusqu'à la sortie du cultissime « Badmotorfinger » (leur troisième album quand même...) et dans le même temps, mis une sérieuse claque à
Alice in Chains pour des raisons diverses et variées (un style trop sombre ? trop complexe ? pas assez accessible et difficilement appréhendable ? trop heavy ?), n'est de toute façon, pas une mince à faire.
Nirvana aura donc réécris l'histoire du grunge, parfois même en trompant ses fans sur l'origine du mouvement (car le trio n'est évidemment pas le précurseur du genre :
Green River, les Melvins,
Malfunkshun ou encore
Soundgarden en sont des exemples bien plus véridiques). Ainsi soit-il, on ne prendra réellement conscience des dégâts causés qu'après le déclin du genre, tout en sachant que les drogues et l'alcool sont en fait l'une des premières causes de mortalité des icônes adulées du grunge, en commençant par le jeune et talentueux Andrew Wood : 1966-1990.
Maintenant, petit retour en arrière sur la carrière et notamment les débuts de
Alice in Chains. Il y a tout d'abord eu cet excellentissime et néanmoins culte «
Facelift », cuvée 1990, dans le prolongement du style heavy abordé par
Black Sabbath et
Soundgarden puis deux ans plus tard, ce petit joyau et plutôt incompris EP du nom de « Sap ». Mais de toutes les leçons grunge que le public avait pu recevoir de la scène très critiquée de Seattle, «
Dirt » est probablement l'une des plus grosses claques musicales de cette décennie : une oeuvre volontairement plus sombre, plus poignante et fouillée aussi, et donc irréprochable à bien des égards.
Outre les noms célèbres et imposants qui ont contribué à l'élévation du sludge metal, autre genre considéré comme sale et crasseux possédant également quelques atomes crochus et ressemblances avec le grunge (la musique des Melvins en est la synthèse parfaite) - ce second album des Américains a pourtant joué un rôle très important voire déterminant dans les années à venir.
Producteur des deux travaux précédents, Dave Jerden nous revient en 1992 pour soutenir le groupe sur l'ensemble de la tracklist, à l'exception de «
Would? » qui nous le verrons, est signé Rick Parashar (
Temple Of The Dog,
Pearl Jam et le « Sap » de AIC). Littéralement traduit par le mot saleté, le titre de cet opus en dit d'ailleurs très long sur les thèmes lyriques qui sont adoptés ici, traitant essentiellement des aléas de la vie réelle même si ceux-ci restent bien sombres, personnels et/ou intimes : la mortalité («
Them Bones »), les drogues (« Junkhead » et «
God Smack ») ou bien différents hommages bercés par une certaine profondeur artistique inimitable («
Rooster » en souvenir de la guerre du Vietnam effectuée par le père de
Jerry Cantrell et «
Would? » en mémoire du charismatique Andrew Wood) etc... On remarquera aussi que la pochette (assez préhistorique) est parfaitement en accord avec les sons sales, les nombreuses distorsions et effets de guitare boueux qui englobent les compositions. Par exemple, l'ambiance s'assombrit dès l'introduction «
Them Bones » où le concept reste un peu le même que «
We Die Young » issu de «
Facelift » : un titre court environnant les deux minutes à la fois très direct et particulièrement représentatif de l'album dans sa globalité. Les riffing sont denses, étouffés, la Gibson Les Paul de Cantrell envoie tout ce qu'elle a en sa possession tandis que Staley implore sa propre mort avec les « Aaah! » douloureux rythmant l'atmosphère malsaine du morceau.
Les quelques sons barrés de «
Rain When I
Die » qui apparaissent sur la première minute seraient-ils influencés par l'album-phare du grunge pre-
Nirvana, à savoir le « Louder Than Love » de
Soundgarden (sorte de heavy pur jus mêlé à des sonorités expérimentales) ? Là n'est pas le cœur du morceau évidemment, mais les plus infimes détails font bien sûr partie du plaisir d'écouter cet opus et de son sens artistique hors du commun. On entend le moteur (les guitares) qui rugissent, la ligne de basse souvent lourde qui accentue le côté massif de la compo' et ces sons psychédéliques qui ponctuent à merveille la progression du titre.
Dans l'esprit de certaines personnes, la musique s'arrête à l'efficacité et à l'accessibilité seule des compositions, de sorte d'atteindre une satisfaction personnelle assurée. Bien dommage, surtout qu'avec ce «
Dirt », on est bien loin de l'industrie musicale dite classique et de ces hits parfois grotesques. Sans exagérer, cette oeuvre remet en cause le sens même de la musique car dans les moments les plus pesants, douloureux ou oppressants des ambiances présentées, le talent musical de
Alice in Chains se confond avec les déroulés, les ébauches et donc les vies déchirées de chaque membre. En effet, les démons de Staley semblent s'emparer de son corps et de son esprit sur le plus difficile d'accès et impressionnant « Sickman » (une technique vocale très particulière à laquelle on peut ajouter «
God Smack » et ses vibratos tremblants). Des percussions tribales en introduction, vite balayées par des riffs lancinants et tortueux, et ces phrasés malfaisants, ces cris aigus possédant une folie contaminante, presque semblables à de vives attaques ou à un corps-à-corps sanglant. Même combat avec le titre caché « Iron Gland », référence explicite à «
Iron Man » de
Black Sabbath. Et que n'en déplaise à certains, la distraction délirante animée par un Tom Araya ne cessant de ricaner au diable sur les quarante secondes de scénario-catastrophe s'intègre pourtant très bien au paysage sombre de nos Américains. Encore un gros riff massif qui fait parler de lui...
C'est pesant, gras, torturé, parfois glacial et morbide sur l'arrière-plan de «
Angry Chair » et surtout, l'émotion est bel et bien présente. A ce titre-là, Cantrell continue d'être et de rester l'un des éléments pionniers du combo sur l'écriture d'une grande partie de l'opus (même si Layne Staley s'impose de plus en plus). Il faut à tout prix citer le fameux et intense «
Rooster » qui en devient maladif à force d'écoutes à répétition (« they come to snuff the
Rooster »). Progression lente, hommage poignant, engagement anti-war déchiré... Même en restant objectif, il faut reconnaître que
Alice in Chains a réussi à aller bien au-delà du heavy-grunge de son «
Facelift ». Pourtant, dieu sait si nous avons pu pleuré sur le « Love,
Hate, Love ». Mais non, ça sue encore, ça groove discrètement, ça taille sec sur les riffs de l'outro : mélancolique, tragique, psyché, pénétrant : il y a tout sur «
Would? ».
Libérez-vous une matinée pour vivre ce chef-d'oeuvre intemporel et venez apprécier l'hymne à la mort imploré par ce «
Dirt ». Cap au-delà du réel, avec un second album aux frontières de la perfection, à l'émotion dégoulinante et à la violence inouïe. Comparé à cette saleté, que dis-je encore, cette crasse assumée de grunge/sludge metal,
Nirvana peut faire profil bas avec son « Nevermind »...
Je ne pense pas que Nirvana ai trompé ses fans sur l'origine du mouvement grunge étant donné que Kurt Cobain a toujours dit qu'il était fan des Melvins et de Soundgarden
Il est certain que Dirt est un album majeur du mouvement grunge, que l'on constate vite à la simple écoute. Je ne le considère pas comme le meilleur album grunge, lui préférant largement le mémorable Superunknown de Soundgarden qui a une place très particulière dans mon coeur, mais le découvrir est tout sauf vide d'intérêt. Les premières chansons sont de véritables gemmes en termes d'énergie et de gros riffs, ça fout un punch de dingue dès le début (bordel le riff de Dam That River !!). Une énergie qui baisse dès l'arrivé de Sickman qui introduit le côté plus obscur et agonissant d'Alice In Chains, et c'est peut-être la seule critique que je vais me permettre de dire sur cet album: il aurait dû y avoir à mon goût plus de chansons de la trempe d'un Them Bones avant de baisser le tempo.
Il n'en convient que Dirt est un album qui marque au fer rouge sa présence dans la scène grunge, par l'expérience original et complètement différente des autres formations; les chansons Dirt, Angry Chair et Would? étant les plus notables de cette expérience proprement Alice in Chains. Sinon superbe chronique !
Album decouvert il y a peu, je lui trouve 1 sonorité "metal". C est 1 reprise faite par P. ANSELMO au chant qui m avait donné envie de decouvrir le groupe et cet album en particulier.
Vous devez être membre pour pouvoir ajouter un commentaire