La catastrophe annoncée s’est produite. Quelques années plus tôt, c’est-à-dire en 2011, on découvrait un «
Cruachan », quelque peu transformé, altéré même au goût de certains. On tirait un trait définitif sur les splendides airs traditionnels sublimés par la douce voix de Karen Gilligan. Le nouveau «
Cruachan » allait être foncièrement
Metal. Déjà que c’est sur son versant folk que le groupe tirait son épingle du jeu, on se mit à craindre le pire. Rappelons en supplément que son premier forfait, le plus extrême de la discographie à ce jour, n’est pas retenu comme étant le plus glorieux. Le temps a certes passé depuis, mais on a eu toute aise de retenir ses points forts, mais aussi ses points de faiblesse, inchangés depuis. «
Blood of the Black Robe » apparait ainsi comme une déception pour la majorité des amateurs de la formation irlandaise. Les beuglements pseudo-black de Keith commencent à lasser à la longue. Il manque bien quelque chose, un substrat de légèreté pour compenser cette brutalité inorganisée. Ce manque persistera sur le volume qui tient lieu de suite, «
Blood for the Blood God », trois années plus tard. Dans ce duo de «
Blood… » jamais «
Cruachan » n’aura autant saigné dans sa carrière, au point où on se dit désormais que l’être blessé est rendu à deux doigts de vaciller. C’est la chute promise.
Comme pour nous signifier que le groupe est désormais dérouté, le premier morceau, l’instrumental «
Crom Cruach », illustre une candeur, une douceur plus proche de la mer méditerranée que de la mer d’Irlande. La mandoline présente s’accorde plutôt dans des mélodies égéennes que celtiques. C’est un comble, qui néanmoins fait office de tendre moment. Presque un avertissement face à ce qui va suivre. Ce qui suit est ni plus ni moins que le titre éponyme, et on retrouve alors véritablement «
Cruachan », mais en bien mauvaise posture. La branle y est maladroite, les battements sont chaotiques, désarticulés, et le chant énervé parvient promptement et rapidement à nous achever.
Seul un violon bien frêle nous fait alors espérer. Un espoir bien mince au vue de l’ensemble répétitif et si peu avenant, bien que l’on reconnaisse la griffe du groupe. Le violon figure en soutien désargenté, désemparé, à travers un «
Prophecy » donnant des coups fougueux et à l’expression guerrière. Mais les riffs abrupts et la vigueur ne remplacent que difficilement la subtilité. Et il faut avouer que ça nous manque. Quand cette même formule est sujette à un retrait de la vigueur, ça nous donne un pâteux et amorphe « Beren and Luthien ». Peut-être là le morceau le plus grossier et perturbant de la galette, hormis une profondeur atmosphérique et quelques chœurs plus savoureux.
Ce n’est pas le «
Cruachan » que l’on aime, ce n’est pas celui que l’on a idolâtré. Sur ce « Beren and Luthien », on va ressurgir à la période de «
Tuatha Na Gael » et à son black folklorique branlant et immature. Les deux «
Perversion,
Corruption and Sanctify », partie 1 et 2, reproduisent ce déchainement de black metal graveleux, que l’on ne s’était pas empressé de retrouver à nouveau. Le jeu est marqué par les hésitations, par quelques blast beats de misère sur des casseroles. Même les instruments folk paraissent comme tétanisés, incapables de peser et de mettre les titres en relief. Cette paralysie s’observe également sur «
Born for
War », mais là, le chant et la batterie se révèlent performants, efficaces pour stimuler cette piste qui a tout d’un hymne soumis à une solide impulsion guerrière. Ce sont de puissants riffs qui font battre fortement la rythmique de l’ouvrage, tel un marteau enfonçant une roche calcaire. De tels battements sont légions sur « The Marching Song of Fiach McHugh », sous une forme tribale cette fois, et étrangement la musique s’en trouve bouleversée. C’est le retour tant attendu au grand et chaleureux «
Cruachan » qui se produit, avec ses magnifiques airs traditionnels celtiques, ces chants clairs, masculin et féminin. Une verte prairie au milieu des champs de cailloux.
Cependant, il ne faut pas en retenir les déconvenues comme étant des généralités. Il y aura d’autres petits ilots herbeux, quelques passages heureux. On croit trouver notre bonheur avec « The
Arrival of the
Fir Bolg », qui nous rappelle l’ère du début des années 2000. Les égarements de guitares et le son affaissé et redondant des flutes finiront d’user de notre patience, et nous invitent à rechercher ailleurs. On trouvera asile dans l’instrumental « Gal Bolga » qui rappellerait fortement du « Stille Volke » dans son orientation à la fois traditionnelle et médiévale, avant que la guitare électrique ne s’exprime pour noyer cet instant apaisant sous ses impulsions nerveuses et électriques. Il en serait de même pour « The Sea Queen of Connaugh », enjolivé premièrement par une splendide entame médiévale, avant d’être rattrapé par des soubresauts virulents, mais un peu mieux maitrisés par rapport à d’autres titres de l’album, qui ont grandement participé au sentiment de décadence qui se dégage désormais chez «
Cruachan ». Comme un appel venu du lointain, mais déformé par l’écho, le groupe adapte en bonus une version actualisée de son titre «
Pagan », avec le nouveau line-up officiant actuellement. Ce qui nous fait encore plus regretter leur période faste, celle où Karen faisait partie intégrante du combo. Ils font œuvre d’une brutalité sans réel but, incontrôlée, insignifiante, sans réel accroche. Tout se perd, tout est perdu.
On a connu une grande formation de folk metal, l’une des meilleures à une certaine époque. Elle s’ébat aujourd’hui misérablement, ayant perdu son inspiration et une partie de son âme. Le malicieux lutin irlandais a perdu son chaudron plein d’or. Il crie, il court, il jure tel Harpagon à la fin de la célèbre pièce de Molière. Il n’est pas à court d’énergie, mais est privé de l’essentiel, de sa magie, de ses douces et vertueuses mélodies. Le chant de Keith est un épouvantail qui nous presse de revoir revenir Karen aux avant-postes. La batterie de Mauro Frison met à l’épreuve les plus résistants au son des jeux de kermesse et de chamboule-tout. Assez ! Assez de ce concept prévu en trois volumes, cette série des «
Blood… » qui pourrait atteindre définitivement l’intégrité et l’amour que l’on porte à «
Cruachan ». Il faut arrêter cette effusion de sang.
11/20
deux titres, mais de là à tomber si bas... Comme tu le dis Cruachan fut surement un des meilleurs groupe de "folk metal". C'est d'autant plus triste...
Vous devez être membre pour pouvoir ajouter un commentaire