Melbourne, capitale de l’état de Victoria, au sud-est du continent Australien, un jour perdu quelque part à la fin des années 1970. Perdu est bien le terme, comme le petit teigneux au crâne rasé qui se présente à nouveau devant le juge correctionnel du palais de justice de la ville. Perdu aux yeux de la société Australienne, de ses codes et de ses valeurs, d’une nation pour qui la notion de travail et d’effort coule au creux des veines de générations d’immigrés ayant élu asile sur cette terre parfois hostile mais aux multiples facettes. Mais pas à ses yeux. Il est un autre type de combattant, un dur à cuire qui se frotte à sa manière à la dureté de la vie. Suivant ses codes et ses coutumes. Ceux et celles de la rue. Le juge jette un regard interrogateur sur le prévenu, qu’il connait déjà. Il remarque à nouveau les innombrables tatouages qui ornent ses deux bras de lutteurs, émergeant des manches coupées d’un blouson en cuir. Il essaye de déceler une pointe de crainte et d’angoisse dans ce regard perçant. Il ne trouve que quelques cicatrices, vestiges de combat entre bandes rivales sans doute ou de cette habitude qu’il a, lors des concerts de musique de dégénérés qu’il donne avec son groupe, de se frapper à coup de micro. Il remarque aussi des dents aiguisées ou élimées, voire en partie cassées par quelques rencontres inopinées avec des phalanges de mauvais garçons comme lui.
- « Gary Stephen Anderson, alias ‘
Angry Ant’, né le 5 août 1947, vous êtes à nouveau convoqué devant moi pour répondre de voie de fait dans un bar de la ville lors d’une rixe dont vous êtes si souvent coutumier. Qu’avez-vous à dire pour votre défense ? D’ailleurs, je ne vous vois accompagné d’aucun avocat. Auriez-vous décidé de vous défendre seul ? »
Les poings serrés,
Angry Anderson fait face au juge. Il se sent suffisamment fort pour soutenir son regard, sans trace d’émotion mais contenant sa rage. Ses potes Peter, Mick, Geordie et Dallas sont tous là, témoins pour une fois silencieux des débats.
- « Votre Honneur, je ne souhaite pas être assisté d’un avocat afin de vous donner ma vision des faits et surtout le contexte de ma vie. Personne d’autre que moi ne peut apporter le sens profond aux mots et paroles que vous allez entendre.»
Assez coutumier de ce genre d’entrée en matière, le vieux juge ne se laisse pas déstabiliser pour autant et apostrophe le prévenu, un brin irrité et goguenard:
- « Comment allez vous donc procéder jeune homme ? »
- « Si vous le permettez, Monsieur le Juge, j’ai ici avec moi mes compagnons d’infortune, avec lesquels j’ai formé un rock’n roll band qui s’appelle
Rose Tattoo. Peut être en avez-vous entendu parler ? J’aimerais me défendre, si vous n’y voyiez pas d’inconvénient, en vous jouant les titres de notre second album qui assez bizarrement porte le nom de ce pourquoi je suis devant vous aujourd’hui,
Assault and Battery.»
Cette fois-ci, l’homme de loi se trouve désarçonné par autant d’audace. Les quelques secondes de réflexion qu’il s’octroie paraissent des minutes pour le gang de tatoués, signe distinctif imposé par Peter Wells à l’origine du groupe. Émoustillé intellectuellement et curieux d’entendre ce que le rock moderne est devenu, lui qui fût fan des bluesmen Américains, pionniers du rock’n roll, il lance :
- « Il se fait tard et un peu de musique ne saurait dissiper le reste des débats. Comme vous êtes le dernier dossier de la journée, allez-y. Nous vous écoutons. »
- « Merci votre Honneur. Cela ne prendra pas plus de 40 minutes de votre précieux temps. Les quatre premiers titres vont vous donner des éléments de contexte que je commenterai si j’en trouve le courage, juste après. »
Les « tatts » se lèvent comme un seul homme et rejoignent le coin de la salle d’audience où se dressent un kit rudimentaire de batterie et empoignent leurs guitares respectives. Armé d’un micro dont le fil est jacké sur un des amplis qu’il va partager avec les autre membres du groupe,
Angry donne le signal à Mick qui arrache le riff gras et énervé d’«
Assault & Battery ». Beuglant l’injustice d’une Loi à deux vitesses, une pour les riches et une pour les pauvres, il prend le rythme du titre en charge par son chant vindicatif bien aidé par un Geordie Leach qui martyrise sa basse et en sort un son de marteau pilon. Les guitares crachent une mélodie de résistant, incrédule et révolté face à cette loi de la jungle qu’il synthétise d’un « It’s now a case of kill or be killed » qui fait mouche. Le groupe enchaine sans vergogne sur un «
Out of This Place » annoncé d’un cri bestial de l’enragé vocaliste. Ce mid tempo boogie-blues ultra lourd aborde le thème de l’impuissance à se sortir de l’impasse dans laquelle bien des jeunes se retrouvent.
Pas d’avenir, si ce n’est le quotidien violent de la rue, les nuits froides. Comment s’en sortir, lorsque la volonté individuelle ne suffit plus. «Like an animal being hunted, I got nothin’ more to lose ». L’ami Peter Wells illumine la salle d’un solo de slide de derrière le bush du coin qui fait trembler le prétoire tout entier et les chœurs derrière les appels à l’aide d’
Angry Anderson donnent le frisson aux derniers badauds encore présents dans la salle. « Let It Go » calme le jeu et fait retomber l’ambiance. La slide de Peter Wells est omni présente et glisse sur ce morceau où mauvaise rencontre de fille abusée malgré elle et destin d’une jeunesse désabusée par l’absence de travail riment avec les clichés d’une vie facile et l’envie de tenter sa chance. Retour du rock sur-vitaminé avec « All the Lessons » et son riff d’introduction en forme de deux tons de voiture de police. Sur un titre sec et nerveux,
Angry assène sa vérité, «
Fight violence with violence, it’s the only way to win ». Tout ce qu’il retient de sa vie dès lors est de brûler les sacro-saintes règles, gamin puis adolescent sans repères ni interdits. La basse pulse derrière la frappe de «
Digger » Royal, les guitares font feu de tout bois. Fin d’un premier acte.
- « Vous avez le don de dépoussiérer ces vieux murs jeunes gens. Je reste dubitatif devant autant de hargne et de souffrance qui n’appellent pourtant pas à la violence mais juste à la révolte. Me trompe-je ? »
Angry reprend son souffle et retient ses mots. Après un court instant où il garde la tête baissée, il avoue :
- « Je n’ai pas eu une jeunesse facile, comme celle de ceux qui eurent des parents aimants et attentionnés aux études de leurs enfants. Mon paternel était profondément instable et dérangé et il a fallu vivre avec ce manque d’affection permanent et la violence gangrenant le tissu familial. La colère est vite née en moi. »
Retenant ses larmes, il ajoute :
- « La violence m’a atteint mentalement et physiquement. Je fus la victime sans défense de l’inavouable à l’âge de 5 ans, par un ami de la famille. J’ai alors nourri au fil des années ce creuset de rage qui couve au fond de moi. Premier tatouage à 16 ans, comme une carapace supplémentaire me protégeant d’un monde extérieur sans foi ni loi.»
Moment de profonde émotion. De longues secondes s’égrainent au cours desquelles chacun se remémorent les paroles de ces premiers titres. D’un regard complice et complaisant, le juge invite les boys à continuer. Le groupe reprend avec le rapide « Manzil Madness » au rythme post punk comme pour évacuer la soudaine tension des derniers instants. Springfield avenue et ses bars où l’on jouait et buvait comme au Manzil Madness, port d’attache d’âmes en peine et de banlieusards en goguette pour le week-end. Nouveau rock au tempo nerveux et crasseux avec «
Magnum Maid » et sa basse trépignant comme un garnement face à son hochet préféré.
Pas très politiquement correct de hisser son flingue au rang de sauveur de la nation dans l’enceinte d’un tribunal, encore que les années de colonisation de l’Australie ont vu pléthore de far-easters se comporter en cow-boys sans état d’âme. Un rock jouissif et chantonné par le divin chauve qui invite à se trémousser comme un kangourou ayant abusé de champignons hallucinogènes et en cadence avec les guitares dégoulinant de slide.
Angry donne à nouveau le signal de départ du blues sur-gras « Chinese Dunkirk », séance d’exorcisme sur l’inceste entre frère et sœur, signe de la torture mentale que le chanteur endure depuis sa plus tendre enfance et qu’il cherche à arracher de ses entrailles à vif. Magnifique moment de communion humaine où les guitares et la section basse/batterie alternent le lourd et pesant et l’aérien au feeling pathogène. Enfin, la petite perle « Sidewalk Sally » fait son apparition, titre rock par excellence, porté par la basse bulldog de Geordie et l’insidieuse slide de Peter que son pote Mick affute d’un riffing acéré et concis. Quand
Rose Tattoo aborde le thème de l’amour, il est bien souvent tarifé et salace, « on her hands and knees ». Et toujours aucune issue quel que soit le problème abordé, comme une boule de flipper coincée dans les bumpers.
- « Jeunes gens, le temps s’écoule et passe presque trop vite. Néanmoins, comme toute bonne plaidoirie, il va falloir conclure » lance le juge dont les traits apaisés mais impassibles tranchent avec la débauche d’énergie des cinq musiciens, « ce qui me donnera l’occasion, ensuite, de vous donner le verdict de la Cour. »
Un riff schizophrénique de Mick déchire le silence et
Rose Tattoo se déchaine sur un «
Suicide City », rock endiablé et diabolisant le système que rejettent certains jeunes Australiens en quête de liberté. L’ambiance remonte d’un cran et les échines encore présentes sont prises de tremblements électriques. Les boys tiennent en ce boogie sur-dosé une arme non létale pour dompter les foules. Pour finir, le point d’orgue de la défense du prévenu Anderson consistera en un splendide et optimiste «
Rock 'n' Roll Is King », le remède que les Tatts s’administrent à haut volume pour mettre tout le monde d’accord. « Dance and sing, let it ring » clame
Angry comme pour se justifier de s’isoler d’une société qui ne lui aura rien apporté. Une chanson intemporelle dont la simplicité et la mélodie vont imprégner pour longtemps les murs de la salle du tribunal.
Comme de bons élèves, qu’ils ne furent pas vraiment dans leur jeunesse respective, chacun des quatre amis reprend sa place initiale, au milieu des derniers badauds dont les yeux pétillent d’étincelles après le gig improbable qui se déroula devant eux.
Angry s’approche de la barre, quémandant de son regard livide un verdict qu’il pense devoir à nouveau l’envoyer pour quelques semaines derrière les barreaux. Le vieux juge prend le temps de peser chacun des mots qu’il va prononcer et fixe enfin les yeux du prévenu.
- « Gary Stephen Anderson, alias ‘
Angry Ant’, né le 5 août 1947, je sais désormais qui a reçu les coups et qui porte les blessures, les plus graves et les plus profondes. Vous avez tenté le diable avec vos amis et donnez une leçon des choses de la vie au vieux juge que je suis. En conséquence, vous êtes libre jeune homme, libre de continuer à jouer, chanter et apporter la joie au travers de votre musique. Qu’elles que soient vos peines. L’audience est levée. »
Le marteau du juge tel Mjolnir s’abat et pour une fois, dans le cœur du jeune rocker, un répit de souffrance s’installe.
So long
Angry. RIP Pete, Mick et Dallas.
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