Formé en 1996 à Helsinki,
Ajattara n'a sérieusement démarré ses activités musicales qu'à partir du début du nouveau millénaire.
Une période qui correspondait à la volonté de son leader Ruoja (Pasi Koskinen) de revenir à une musique plus extrême par rapport l'orientation mélodique et rock progressivement prise par
Amorphis, son groupe d'origine, rejoignant
Shape Of Despair (funeral doom), fondant
To Separate The Flesh From The Bones (death/grind) et lançant donc
Ajattara sérieusement sur les rails avec un premier album "
Itse" (2001) œuvrant dans un black/dark ravageur, combinant riffs et tempos écrasants, basse rampante et subtiles incursions de synthés inquiétants et sournois.
Bien loin des velléités dépressives de bon nombre de groupes qualifiés de black/dark, servant des compositions indigentes sur une production qui bande mou,
Ajattara, bien que restant essentiellement calé sur du low/mid-tempo, fait primer la vigueur et développe un son bien charnu.
Pour situer un peu plus précisément, le groupe finlandais reprend les affaires là où ses compatriotes de
Thy Serpent les ont laissées avec "Christcrusher" (1998), dans une veine plus lourde et percutante cependant.
Plus roots aussi, avec l'usage exclusif de la langue finnoise qui, proférée par un chant d'une âpreté rare, rehausse l'aspect primitif du style que
Ajattara s'est immédiatement trouvé.
Un groupe parfaitement intègre (même les informations du livret ne sont mises à disposition qu'en finnois), qui sait où il va, qui sait ce qu'il veut et qui peut être vu comme une sorte de AC/DC du metal extrême, alignant brûlot sur brûlot, avec des compositions qui ne font pas dans la tergiversation ni dans les circonvolutions stériles. Concises, directes et basées sur trois-quatre riffs au grand maximum, elles naissent le plus simplement du monde via une formule efficace et resservie à chaque nouvel album dans un rythme de réalisation soutenu (pas moins de six albums en huit ans, ce qui est très rare de nos jours).
Conceptuellement parlant, la formation tire son nom de la mythologie finlandaise où l'
Ajattara (plus communément Ajattar) représente un esprit féminin diabolique se manifestant sous la forme d'un serpent ou d'un dragon, répandant la maladie et la peste.
Sauf que sur "
Apäre", quatrième album de la formation sorti en 2006, la vision toute personnelle de l'Ajattar que projette le sextet finlandais se drape d'un apparat éminemment charnel et la maladie relève bien plus de la fièvre libidineuse que de la lèpre déliquescente.
Une vision retranscrite dans un artwork orné d'une meute de diablesses en proie à un appétit sexuel insatiable, armées de chaînes et autres boules de geisha, leurs sécrétions buccales et vaginales dessinant moult volutes vaporeuses et toiles d'arachnides vénéneuses autour de leurs corps dénudés et entrelacés. Une fièvre dévorante exsudant de chacune des compositions de "
Apäre" qui sont comme chacune de ces créatures tentatrices, voraces, vous sautant tour à tour goulument à la gorge, vampirisant votre être, annihilant le moindre résidu de résistance, ne faisant subsister que la seule et ultime volonté d'atteindre le graal de la satisfaction sexuelle et de la jouissance pure.
Les percussions de plomb, les riffs de granit sont comme autant de coups de reins frénétiques, imprimant le rythme d'une croupe robuste, conçue pour chevaucher les étalons les plus puissants, les étreignant jusqu'à l'étouffement, débordant sur un black aussi affûté et meurtrier que des griffes de tigresses enragées, guidées par d'irrépressibles pulsions sanguinaires, déchirant, fouillant la chair.
Un magma de plaisir et de douleur mêlés, retranscrit à merveille par "Hurmasta" et "Hirsipuulintu", les morceaux les plus furieux de "
Apäre". Un instinct animal se manifestant par d'incessantes éructations de voix éraillées, ne révélant qu'une très infime parcelle d'humanité au travers de discrètes interventions en chant clair ("Tahtomattaan Syntynyt").
Ces créatures diaboliques sont certes dangereuses, mais ne sont pas que des machines avides de sexe sans préliminaire, elles savent aussi jouer de leur langue et de leurs doigts de manière un tant soit peu sensuelle. Une aura de séduction apportée par des leads mélodiques disséminées tout au long de l'album, des lignes de synthés aux arabesques ensorcelantes et virevoltantes ("Säälin Koira", "Lautuma", "Eksyneet") et des notes de piano intrigantes ("
Itse").
Amis de la poésie, rassurez-vous, elles n'en font pas pour autant dans la dentelle, car ces quelques échappées de finesse restent fermement enchâssées dans un canevas de brutalité rugueuse. De même, les intros atmosphériques ("Hurmasta", "Eksyneet", "Hirsipuulintu", "
Itse"), réduites à l'extrême, n'offrent que très peu de répit. A peine le temps de revêtir la protection phallusienne avant un nouvel assaut, pour peu que l'on n'ait pas les mains tremblotantes … de frayeur devant tant de fougue bestiale … ou de désir devant tant de pouvoir érotique ?… Certainement un peu des deux.
On croit terminer sur une bienvenue touche de sérénité avec l'instrumental ambiant "Syntyni" clôturant "
Apäre", mais il n'en est rien, le morceau prenant très vite une tournure très confuse et torturée. Un salmigondis de nombreux thèmes apparus au cours de l'album, comme une orgie fantasmagorique, l'ultime assaut de la horde, puis vous délaissant soudainement sur un final totalement inattendu … un réveil brusque … tout ceci n'était donc qu'un (mauvais ?) rêve ?! ... Sacrebleu ! … Et même s'il n'a duré qu'à peine 30 petites minutes, c'était amplement suffisant pour en ressortir autant secoué que les palmiers de Louisiane lors du passage du chaud et humide ouragan Katrina.
Ébouriffant et troublant, "
Apäre" reste fidèle au style
Ajattara, pas forcément abordable de par la rugosité du propos malgré son apparente simplicité et son caractère immédiat. Toujours très dark, cet album se distingue néanmoins par son atmosphère charnelle, amplement due, il est vrai, à son artwork extrêmement suggestif, auquel le contenu musical se prête cependant à merveille, accompagnant l'offensive coup-de-poing d'une meute de dix furies prêtes à vous pomper le jus jusqu'à la dernière goutte, à vous laisser sur le carreau, vidé de toute substance, le cœur palpitant, le souffle court et la cervelle imprégnée d'un tumulte d'images obsédantes.Sans concession !
Un ami m'a toutefois dit que les concerts d'Ajattara sont décevants...
Chronique bien rédigée en tout cas.
Tu m'as fait peur dans certains passages ... A l'image de ce qu'est l'album tu me diras !
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