L’instant. Vivre le moment présent sans le penser, sans l’analyser ou le disséquer…simplement le vivre. Peut-être peut-on y voir ici le propre même de la sincérité, l’antithèse du calcul annihilant l’émotion simple mais pourtant tellement plus forte. Certains musiciens ont tenté d’appliquer cette formule, tout en y ajoutant une opiniâtre volonté de rejeter les conventions et de frapper un grand coup dans la fourmilière sclérosée de la musique.
Si nous parlerons ici des toulousains de
My Own Private Alaska, on pourra finalement établir des parallèles avec des artistes, volontairement différents, n’ayant eu au final d’autres envies que de ne pas faire comme les autres. Car que fit d’autre que ça un
Marilyn Manson qui, dans une musique pourtant pleine de sensibilité, y insuffla une aura décadente et malsaine, un
Meshuggah qui réinventa la musique en l’intellectualisant, l’alourdissant et en fondant littéralement un nouveau monde musical. Que fit
Neurosis si ce n’est de peindre des paysages musicaux intimistes et introvertis en minimalisant la musique pour la faire devenir entité vivante ? Des artistes qui dérangent, choquent, attisent haine ou adoration…mais des artistes avant tout…tout comme les trois membres de MOPA.
Présenté comme original ou avant-gardiste par la simple absence de guitare et de basse, le concept de
My Own Private Alaska va bien plus loin qu’un énième groupe de post-musique sans âme et cherchant à se conformer à une nouvelle forme d’anticonformisme (phénomène prenant de plus en plus d’ampleur).
Après un premier ep unanimement reconnu comme impressionnant dans l’underground, c’est avec Ross Robinson (
Korn, Slipknot, Wasp,
Deftones…) que le trio est allé enregistré son premier véritable album, de l’autre côté de l’océan, pour immortaliser une association se révélant artistiquement et humainement d’une intensité peu commune.
"
Amen" voit le jour. Onze compositions. Onze fragments d’âme et de souffrance d’un poète maudit, Milka, et de deux musiciens visiblement écorchés par la vie et l’existence, insufflant dans cet album un symbole de renaissance et une célébration d’une vie nouvelle. Néanmoins, c’est dans un recueil de tourments et de douleur que l’auditeur sera plongé.
Dès l’intro d’"Anchorage". Les notes de piano se font solennelles, lentes, graves et tendues. La batterie, unique objet de repère rythmique de la musique, tisse une toile complexe et en constant mouvement. Puis ce chant, cette voix, cette narration…Milka raconte sa vie mais nous parle, nous délivre son expérience, ses souffrances. Lorsqu’elle se fait écorchée, sa tessiture de voix, lentement mais surement, s’évertue à retourner et arracher les tripes de l’auditeur, prendre contrôle de ses émotions, et le perdre devant tant d’expressivité. Et si la mélodie de piano principale est d’une pureté proprement magnifique, c’est dans cette emphase lyrique quasi symphonique, déchirante et presque tragique, que MOPA se pose déjà en dépositaire d’une vision musicale aussi inédite qu’incroyablement forte émotionnellement.
Forte. Si la comparaison avec l’ep sera évidente, la différence d’interprétation l’est également. L’aspect crade et froid a disparu, conférant aujourd’hui un rendu plus complexe mais paradoxalement plus cru, plus autodestructeur quelque part. En multipliant les effets, travaillant la production, le fond sonore, les échos, MOPA apparait plus torturé que jamais, ayant compris que sincérité et complexité pouvait être complètement parallèle.
Il suffit d’écouter le terrifiant et apocalyptique "I Am An
Island" pour s’en rendre compte, véritable manifeste d’une volonté d’exclusion sociale, afin de trouver son propre
Alaska, son propre paradis perdu afin de quitter cette société rongée et détruite de l’intérieur par son propre créateur. Posé sur un texte absolument phénoménal de noirceur, Milka y apparait désespéré, fatigué, emprunt d’une complète incompréhension face à ce que l’on ose encore appeler l’humanité. Le piano, virevoltant, se fait chaotique et complètement schizophrénique, comme un dédale fou furieux dévalant l’esprit d’un auditeur auquel on tenterait d’ouvrir les yeux. A travers un break quasi bruitiste, violent à l’extrême psychologiquement, Milka se veut plus effroyable que jamais, libérant sa plus belle et terrible ode, autant d’espoir que de désespoir.
Mais si le malaise s’arrêtait à ce titre…
Que dire de ce "After You", reconnaissable entre mille par son rythme de batterie saccadé, agissant comme un exutoire envers la rancœur d’une relation féminine détruite et étant devenu symbole de douleur pour son principal acteur. Les hurlements du toulousain sont incroyables de sincérité et de vérité tant l’on pourrait croire que ces cris sont notre « moi » intérieur, comme s’ils étaient la matérialisation de nos propres faiblesses. Idem concernant un "
Die for Me", plus noir et décadent, presque vomitif, parfois contemplatif (cette pureté pianistique accentué par ces vocaux lointains…) mais se terminant dans un déchainement proprement hallucinant de haine et de colère.
Et si le "Where Did You
Sleep Last
Night ?" fera frissonner les fans de
Nirvana, c’est encore nos relations humaines ratés qui nous remonteront en plein visage.
MOPA s’attaquera à l’armée sur la sublime "Broken Army", peut-être l’un des titres les plus viscéral et bouleversant de l’album, aux lignes vocales dantesques, entre hurlements et déchainements de dégout impressionnants (ce « Like a
Liar » collant des frissons partout…). La partie de piano se fait très baroque sur ce titre, pleine de variation, parfois décadente, prétentieuse, comme pour marquer le caractère ostentatoire du sujet. Pour un
Amen éponyme presque déséquilibré, très live, emplie de furie et de crainte, il y aura également ce "Page of a Dictionnary" parfois difficile à écouter tant il est physiquement indomptable et d’une intensité émotionnelle inouïe.
Définitivement, "
Amen" est bien plus qu’un album, "
Amen" est bien plus que de la musique, "
Amen" est la matérialisation d’une partie de nos souffrances. Comme une boite dans laquelle on enfermerait nos démons pour tenter de les fuir, de les canaliser ou les oublier, MOPA les ouvre au grand jour et nous les fait revivre à une puissance dont nous avions à peine conscience. MOPA nous rappelle les difficultés passés, il nous touche et nous détruit, avec comme seule finalité l’évidence même : celle d’avoir enfin fait le point afin de trouver ce fameux
Alaska intérieur. "
Amen" ; ou le simple chemin d’une rédemption banalement humaine.
Sinon j'aime bien t'as chronique ^^
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