“La Musique est la langue des émotions”
Emmanuel Kant
L’émotion brute. Cet
Eden si souvent recherché, si souvent vanté, si rarement atteint.
Elle est, dans la musique, le vecteur de la transcendance qui fera passer la technique au second plan, le style comme un détail, la créativité comme illusoire. L’émotion brute qui vous entaille, qui vous déchire en petits morceaux et vous laisse touché, atteint mais heureux de toucher du doigt un firm
Ament qui, s’il peut être douloureux, nous fait avant tout ressentir une chose qui parfois nous échappe : la vie. L’émotion brute nous fait sentir vivant.
My Own Private Alaska ne vit que pour ça depuis ses débuts. Une fois la surprise irrévérencieuse de ne pas faire les choses comme les autres, d’avoir créé ce patronyme étrange ou l’étiquette intrigante de “pianocore”, on ne retient finalement que cette sensation de se faire arracher les tripes mais d’être paradoxalement heureux de ressentir pareille souffrance. "
Amen" fut une révélation après le premier ep, produit par le géant Ross Robinson et d’une maestria impressionnante.
Un opus acoustique plus tard, 120 dates à travers moults pays … puis le silence. Terrible, fataliste mais propre à conférer pour
Amen une aura presque culte. Comme cet ilot de terre maudit et de nuit éternelle qu’est
Alaska, l’album restait un oasis unique dans un monde musical qui se noie bien trop souvent dans les artifices et les surproductions à la technique stérile.
Lorsque Tristan et Mila fêtent les 10 ans de l’album, la COVID s’en même mais un ep voit tout de même le jour. C’était il y a trois ans et le second full lenght est désormais entre nos mains. Comme une réponse aux tourments du monde, il prend le contrepied déjà par son nom évocateur de lumière : "
All the Lights On".
Produit par Galak, second claviériste du groupe (remplacé désormais par Laure pour des problèmes de santé), cet opus se veut plus intimiste dans sa confection, plus roots.
Une première question se posait : allait-on être surpris ? Est-ce que le risque de redite allait être évité ? Est-ce que la formule du groupe n’allait pas s'essouffler ?
Une seule réponse : On s’en fout. Littéralement. Car l’émotion de l’album embrase littéralement les compositions, transcende chaque note de Tristan, chaque cri, chaque mot susurré, chanté ou hurlé de Milka. On s’éloigne très vite des considérations techniques pour simplement se laisser emporter dans une tempête émotionnelle dévastatrice, belle et sauvage, redoutablement humaine et violente.
A l’instar de Anchorage qui évoquait l’
Alaska, l’album s’ouvre sur "From Gold to Stones" qui traite des chercheurs d’or qui sont partis là-bas et ont brisé leurs espoirs en ne trouvant que de la pierre. Comment ne pas penser aux espoirs brisés d’une génération factice qui, le jour où elle ouvre les yeux, se rend compte de la supercherie ? Comment ne pas faire le parallèle avec ces artistes dont on promet l’or et qui ne trouve que de la pierre et se retrouve jetés aux oubliettes. La montée en puissance au piano est intense, le titre se voulant presque symphonique dans son approche finale, avec les hurlements dantesques d’un Milka criant “Give Me my Gold” dans des arrangements vocaux totalement fous.
Toujours personnels mais probablement moins portés sur l’échec ou la décadence du monde, les textes conservent une véritable force, les mots trouvant dans cette musique décharnée un écho parfois inédit. "Ka Ora" se veut une expérience en soi, très rythmique côté percussions, au refrain qui va monter crescendo sur un second acte incroyable. Les lignes vocales se font plus narratives, parfois parlés, avant un pont en suspension (quelle tension) et un final là encore qui impressionne par l’intensité de Milka, par les lignes de piano possédées où la poésie pure se mêle à une gravité qui prend aux tripes.
Je pourrais écrire sur chaque titre tant ils racontent une histoire, laissent songeurs, faisant autant tirer les larmes que réfléchir. "We’ll All
Die (but You’ll
Die First)" prend une direction inédite avec l’intégration d’éléments électroniques et d’une batterie prenant parfois presque l’intégralité du spectre sonore. La véhémence du propos laisse pantois, Milka s’y faisant plus brutal que jamais, tel un ange destructeur et hallucinatoire. Le piano y est chaotique, déstructuré avant un break où il apparaît comme une dernière lueur avant la fin. “Choose” … scande t-il …
Je pourrais tout autant évoquer la profonde mélancolie de "
Burn,
And Light the Way" aux nappes de claviers basse et à l’ambiance mortifère. Ou encore à ce "Touch
Again" qui rappelle "
Amen" dans bien des aspects. "
Question Mark" semble un questionnement intérieur, une réflexion sur notre propension à s’inventer des Dieux pour justifier son inhumanité. On y trouve les parties les plus chantés de l’album, tout comme du spoken words sur de longues nappes de claviers et des passages syncopés qui prendront clairement une dimension plus intense encore en live. Quant au titre éponyme, il est un message d’espoir corrompu. Un hommage à celui qui est toujours là, même dans les moments les plus noirs. Un témoignage touchant, à la mélodie virtuose, sublimé par ce refrain d’écorché vif repris à de multiples reprises.
"
All the Lights On". Je ne sais plus quoi dire. Simplement merci de m’avoir, une fois encore, touché en plein cœur.
My Own Private Alaska brise les barrières de l’objectivité pour simplement nous raconter une histoire et faire remonter nos propres démons. Dans sa douleur, il nous fait sentir plus vivant que jamais à travers les frissons qu’il provoque. Alors pour ça, pour cette adrénaline, pour ces émotions … il convient de dire merci. De ne plus penser. De ne plus analyser. De simplement ressentir. Et vivre, rien qu’un peu. Encore un peu … Merci.
Merci,
je ne connaissais pas et je découvre, stupéfait, médusé, boulversé.
Un groupe, une musique et un album qui me reconcillient avec l'avenir, même s'il ne semble pas se présenter pas sous son meillieur jour..
La créativité humaine est inépuisable, et apte a renouveller le réel, encore et encore.
C'est ce qui peut donner à éspérer et c'est déjà ça.
Evidement rien a retrancher ou à ajouter à ta chronique.
Moi aussi je ne trouve rien d'autre à dire, à part merci.
Cher ami,
Ce n'est pas sans émotion que j'écris ces quelques lignes. Ta chronique me rappelle mes débuts ici même, alors que ma mentor me disait : "ne fais pas du titre à titre".
Mais il y a bien des cas où les choses sont tellements fortes, que l'intensité se croise à tous les morceaux, que nous ne pouvons pas faire autrement. Ce sont ces fois où l'on se rend bien compte que la musique est un état d'esprit, qu'elle nous tire ces émotions qui n'attendaient qu'elle.
Merci pour ces lignes (et cette note incroyable) qui oblige tout un chacun à emprunter la voix MOPA.
J'avais commencé à rédiger une chronique, mais tu m'as devancé et c'est très bien comme ça. Toujours très fort et émotionnel, j'admire décidément comment ce groupe arrive à transcender avec, sur le papier, une musique si simple et presque minimaliste.
Oui, les compos sont intelligentes, les textes imagés et profonds, les lignes de piano très belles, l'ensemble à la fois sensible et puissant et oui, on ne le répètera jamais assez, Milka est un chaneur incroyable (en live, quels frissons !), mais il y a décidément quelque chose qu'on ne s'explique pas et qui nous fait vibrer, une sorte d'alchimie primale qui envoie effectivement valser toutes les conventions ainsi que les froides analyses technico musicales comme celle que j'étais laborieusement en train de rédiger.
Merci donc pour ton texte inspiré et pour l'hommage à cet excellent groupe qui le mérite !
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