1983 : mes yeux émerveillés de petit provincial découvrent avec ébahissement les bacs débordant de vinyles de la FNAC Montparnasse. À l'époque, c'était quelque chose. Quel crève-cœur ce fut de choisir, dans la mesure de mes moyens limités. J'en ramenai, entre autres, deux nouveautés de l'année : le «
Kill'em All » de
Metallica et le «
All for One » de
Raven. Sans le savoir, j'achetai le trait d'union entre deux moments clefs. Un symbole, une passation de pouvoir.
Deux albums d'exception, de deux groupes aux destins bien contrastés. Le premier bouscule tout, révolutionne le
Metal et inaugure une flamboyante carrière. Sur ce 3e album, le déjà vieux
Raven (1974) des frères Gallagher et de Rob
Hunter pousse dans ses derniers retranchements son
Hard originel : acidifiant comme jamais les canons mélodieux du Heavy britannique, les Anglais se revendiquent de l'« athletic Rock », un proto Speed-Thrash à l'exigence technique démonstrative.
Ça ne va pas marcher. L'athletic Rock de
Raven connaît un début en fanfare, mais n'enregistre qu'un éphémère succès qui culmine avec le «
Live at
Inferno » de 1984 (un des plus grands live du
Metal, soit dit en passant). Asphyxiés par la déferlante Thrash ? Hypnotisés par le mirage américain ? Le groupe renonce à ses outrances novatrices et rentre dans le rang avec le plus consensuel «
Stay Hard » de 1985 . Ce sera le début de la chute. «
All for One », qui devait s'appeler initialement « Athletic Rock », est un apogée, une glorieuse impasse de l'évolution qui marque au fer rouge tous ceux qui l'ont croisée.
L'album atteint les limites d'un exercice : garder des racines dans le
Hard et déployer ses plus hautes branches vers des altitudes plus brutales. Motörhead avait déjà bien secoué le cocotier,
Raven va plus loin. Le
Metal des Corbeaux n'entre que par effraction dans la NWOBHM, plus par commodité qu'autre chose, leur premier album ne sortant qu'en 1981. Évident sur «
Rock Until You Drop », le
Hard continue de structurer nettement le beaucoup plus énergique «
Wiped Out » de 1982 : mais le style de
Raven, batterie de furieux, voix et riffing très aigus, s'y affirment et lui donnent une consonance plus Heavy. «
All for One » est l'aboutissement de cette évolution stylistique, le disque de la maturité conquérante.
S'il n'est pas totalement « extrême », «
All for One » représente l'extrême du
Hard Rock. L'expression si particulière de
Raven est un creuset d'alchimiste assimilant nombre d'influences successives : Judas, Maiden, Accept. Les Teutons vont d'ailleurs jouer un rôle décisif dans l'élaboration de «
All for One » : le disque est produit par Udo
Dirkschneider et Michael Wagener, un trait de génie qui consacre formellement le progrès artistique du groupe et en fait un très grand album de
Metal.
La griffe de
Raven imprime à l'album une densité puissante ; la frappe débridée de Rob « Wacko »
Hunter coiffé de son casque de hockey, la voix perçante et agressive de Mark Gallagher, la rythmique aiguë, hypersaturée et les soli agressifs de son frère John homogénéisent de la plus belle manière une tracklist fort diversifiée.
Il n'y a guère que le magnifique Run
Silent, Run Deep qui ressortit vraiment de la NWOBHM. Mélodie prégnante, tension emphatique et romantique, un break maidenien tout de douceur, font de ce mid tempo un titre emblématique de la mouvance. Mais c'est aussi le seul où Mark Gallagher ne chante presque jamais en suraiguës.
Le reste du propos est plus rentre-dedans. Dans le genre, Take Control est un parfait opener : toute priestienne, sa rythmique pesamment balancée est comme un bulldozer qui prépare le chantier à venir en écrabouillant méthodiquement l'auditeur. Le suivant,
Mind Over Metal, cingle de ses stridences incandescentes les débris pantelants qu'a oublié l'engin chenillé. Miam, délicieux, tout ça, on en redemande ; mais on reste quand même dans le classicisme.
Raven est souvent associé au Speed naissant : avec le rugissant Seek and
Destroy, on a le Fast as a Shark britannique, et l'illustration de l'impact sur le trio du «
Restless and
Wild » d'Accept. On reste sur une allure finalement plus modérée, mais l'intention y est.
Hung, Drawn and
Quartered était le sadique supplice que les cruels Anglois réservaient aux traîtres à la couronne. S'étonnera-t-on que ce titre soit celui qui lorgne le plus sur un bébé en train de naître et appelé à un grand avenir, le Thrash ? C'est un peu la fusion des contraires (toujours l'alchimie
Raven) ; la constance mélodique le rattache au Heavy de la NWOBHM, mais le genre est écartelé. Mark hurle comme un possédé, le titre est syncopé à l'extrême, les soli fusent plus sauvagement que jamais. Rarement, mais parfois, il m'arrive de regretter de n'être pas né Américain : j'aurais pu assister au «
Kill'em
All for One Tour » de 1983, où
Metallica assurait la première partie de
Raven (eh oui, dans ce sens).
Hung, Drawn and
Quartered illustre la parfaite complémentarité des deux formations.
Un groupe aussi scénique que
Raven ne peut pas se passer d'hymne à entonner en concert.
Break the Chains, Take it away, Athletic Rock en sont. Mais l'éponyme
All for One les enfonce tous. Si les paroles délirantes prennent beaucoup de liberté avec les trois mousquetaires d'Alexandre Dumas, le public français leur pardonnera, rien que pour les quelques mesures de l'anachronique et jubilatoire Marseillaise emportées l'air de rien par le solo de John. Un titre enthousiasmant au possible.
Le
Hard Rock, enfin.
Sledgehammer Rock, c'est juste du Motörhead cuisiné à la sauce
Raven. Mais si l'on écoute avec attention, on en trouve dans presque chaque morceau. Étonnant groupe, si fidèle à ses origines qu'il fait du neuf avec du vieux sans jamais trahir ou affaiblir l'un ou l'autre. L'acier d'«
All for One » est décidément d'une trempe exceptionnelle.
2017,
Paris, la machine du moulin rouge. C'est au bout de 34 ans que je vois pour la première fois
Raven sur scène. En première partie de, tiens donc,
Dirkschneider. Petite boule d'angoisse, vais-je être déçu ?
Non. L’exubérant « Wacko » a depuis longtemps raccroché les baguettes, mais Mike
Heller fait excellemment le job. Quant aux frères Gallagher, la seule chose qu'ils ont perdue est leur allure d'asperge filiforme, la bière anglaise donnant pas mal de rondeurs. Mark est toujours impressionnant dans des aiguës qu'il assume sans forcer, et s'il perd déjà un litre de sueur au bout de la première minute, le presque obèse John assure comme une bête. Les frangins occupent la scène avec telle frénésie, une telle générosité, qu'on a du mal à imaginer qu'ils aient pu faire mieux en leurs vertes années.
Je suis explosé par la furia de
Hung, Drawn and
Quartered ; je m'égosille extatiquement sur les paroles de
All for One. Pur bonheur, trop court (quel scandale que
Raven fasse des premières parties en 2017). Paraphrasons et détournons Brassens : le temps ne fait rien à l'affaire, quand on est bon, on est bon.
Hail Raven ! Solid as a rock with the swords in the air !
C’est la même chose pour moi ARIOCH91, mais c’est vrai qu’il est grand ce disque et quelle puissance et furie développée pour ce style de métal et surtout à cette époque. De ce point il écrasait la concurrence, sans l’ombre d’un doute.
Enfin reçu en lp. Une tuerie ce disque, quel bonheur. Mon préféré. Comment ça a pu partir en couilles ainsi à partir du suivant, inexplicable...
Même ressenti que toi l’ami Samolice, cet album est une tuerie loin devant le reste de leur disco que ce soit avant ou après !
Belle claque à sa sortie, je l'ai écouté un nombre incalculable de fois. Des titres variés, l'album culmine avec le titre éponyme. Ce skud mériterait une plus grande notoriété... c'est trop injuste...
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