Cela fait maintenant plusieurs heures que je suis installé derrière mon bureau, un stylo à la main, noircissant ces pages, afin de prévenir le monde qu’une menace plus grande que la plus grande guerre jamais envisagée est sur le point de survenir. Jamais dans l’histoire de l’humanité, plus grande abomination ne fut connue ou même entrevue. Jamais un tel péril n’avait obscurci l’avenir de tous les peuples de cette terre. Les océans eux mêmes commencent à bouillir et à rejeter sur les rivages des bêtes si immondes et tentaculaires que l’inconscient collectif en avait oublié l’existence. Des effluves nauséabondes sont chaque jour portées par le vent, apportant maladies et infections, la brume du soir devenue électrique, catalyse les peurs les plus abjectes et le brouillard se fait plus intense de jour en jour, cachant la lumière aux hommes, son ombre envahissant nos cœurs et nos vies...
Le grincement, qui devenait de plus en plus étourdissant en s’approchant d’ici, vient de s’arrêter près de la porte d’entrée. J’entends maintenant le pas lourd de créatures dans l’allée, s’approchant à grandes enjambées. Leurs messagers m’ont donc malheureusement retrouvé... Et les Dieux Extérieurs attendent d’eux qu’ils m’attirent, me capturent et m’emmènent dans quelque dimension parallèle inconnue afin qu’ils puissent enfin se repaitre de mon âme...
Mais cette histoire a commencé lorsqu’un autre messager tout vêtu de bleu et de jaune avec un étrange chapeau à visière, chevauchant une monture famélique en acier jaunâtre, laissa un paquet dans ma boite aux lettres par une matinée sombre et pluvieuse. L’adresse indiquée était mal orthographiée, le nom illisible et les caractères utilisés, inconnus de notre temps. Comment ce paquet avait-il bien pu se retrouver ici...personne ne le saura jamais, sans doute.
Il contenait une lettre d’avertissement, un livre ainsi qu’une étrange machine dans laquelle était insérée un disque argenté brillant de mille feux. La lettre était un mode d’emploi de cette obscure chose ronde auquel malheureusement je me conformais. Que n’aurais-je du jamais ouvrir ce maudit colis...
Voici en résumé cette missive que j’ai trop tardivement jetée dans un brasier salvateur mais dont ma mémoire reste imprimée à jamais, ainsi que quelques conclusions personnelles que j’en ai tiré au fil du temps...
The Great Old Ones est à la base un One Man Band, celui de Benjamin Guerry (Guitare, Chant). Ce projet, qui avait pour but de retracer au mieux les ambiances des écrits de H.P.Lovecraft par le biais d‘une musique à base de Black
Metal aux relents atmosphériques, prendra une autre tournure avec la rencontre du Chthonien Jeff Grimal (Guitare, Chant). C’est à partir de ce moment que l’idée de monter un vrai groupe capable de défendre cette musique sur scène a germé. Sont venus se greffer au line Up, un trio maléfique de premier ordre, c’est à dire
Leo Isnard (Batterie), Xavier Godart (Guitare) et
Sebastien Lalanne (Basse).
Décrire les ambiances des histoires de Lovecraft, qui plus est musicalement, n’est pas une tache aisée, car beaucoup de choses sont suggérées et non racontées. Pour retranscrire ce que pouvaient ressentir les personnages ou décrire les lieux, il a donc fallu s’imprégner de cet univers particulier, mis en place depuis prés d’un siècle par le Maitre et quelques uns de ses disciples. Les textes de cet opus se basent donc sur les structures des nouvelles auxquelles elles font allusion, suggérant plus que ne décrivant, respectant ainsi les écrits d’origine.
Le livre avait pour nom
Al Azif (Kitab
Al Azif de son nom complet). Après quelques recherches dans les plus grandes universités de l’Ouest, quelques bribes d’informations tirées d’ouvrages interdits, oubliés et cachés au plus profond des entrailles de ces institutions réputées, nous révèlent que ce titre est l’appellation arabe du
Necronomicon, le livre maudit écrit en 730 par Abdul al-Hazred dans la ville de Damas.
La lettre était aussi accompagnée d’une gravure. Celle ci, œuvre de Jeff Grimal était très sobre mais absolument en phase avec l’idée d’un océan et d’un monde souterrain inaccessibles à l’homme et de créatures tentaculaires comme le suggérait souvent H.P Lovecraft dans ses écrits.
Après avoir lu avec précision le mode d’emploi de l’objet sphérique et avoir appuyé sur une surprenante trappe ornée d’un signe cabalistique rappelant un triangle, une effrayante mélopée s’échappa de l’engin, emplissant la pièce de sons étranges et inconnus pour moi.
Le son était d’une excellente qualité. Le rond percé d’un autre rond plus petit avait été enregistré et mixé par Cyrille Gachet à Bordeaux (Years Of No Light), et masterisé par Alan Douches à
New York (Dillinger
Escape Plan). Surement d’autres adeptes de la secte priant pour le retour des Grands Anciens...
Au vu de la nomenclature du rond plat, on aurait pu penser qu’il aurait du être très court puisqu’il ne comportait que 6 intitulés aux noms maudits. Ce qui s’avéra loin d’être le cas puisque la durée totale de
Al Azif (nom gravé sur l’objet en question et se rapportant au livre), dépassait les 52 mn au sablier du temps. La durée relativement longues des chapitres permettant à
The Great Old Ones (les auteurs avoués de ce projet sonore et lugubre) de jouer sur l’alternance des sonorités, des rythmes et des ambiances crées pour glacer les sangs et annihiler la raison des pauvres mortels que nous sommes.
Pour la partie qui est nommée Black
Metal, les blasts (tambours battus sous LSD) sont omniprésents sur la plupart des chapitres. Mais le tambouriniste a aussi su varier les rythmes pour contribuer à la diversité des ambiances, comme sur la fin de
The Truth ou l’un des breaks hypnotiques de My Love for The Stars (Cthulhu Fhtagn) juste accompagné d’une guitare sobre mais bien sentie.
La qualité du mixage fait d’ailleurs que chaque instrument de musique ici présent ressort parfaitement à l’écoute. La basse (au son gravissime représentant ici la mort et la désolation) que l’on a l’habitude de ne jamais reconnaitre ailleurs généralement, fait ici de remarquables interventions (le passage typé Jazzy de
Rue d’Auseil ou My Love for The Stars et son assise rythmique, répétitive et envoutante).
La musique de
The Great Old Ones peut aussi devenir pesante et lourde (l’intro de
Jonas, celle de
Al Azif,
The Truth). Pour
The Truth ou l’intro de
Jonas justement, on pourrait associer certains passages à un autre Dieu déchu,
Gojira, pour ce qui est de la façon d’appréhender des rythmes enivrant et pesant des guitares.
Celles-ci, d’ailleurs au nombre exceptionnel de trois, fournissent un support de qualité aux morceaux par la diversité des sonorités proposées. L’ossature générale ainsi posée, fait de ce
Al Azif, un objet à part dans ce monde.
Les soli ne sont pas une composante essentielle ici et sont quasiment absents, remplacés par des mélodies, souvent tristes, recevant tout le poids des malheurs du monde (
Rue D’Auseil)
La mélancolie n’est pas non plus exclue de cet univers riche en émotions (
Visions of R’Lyeh).
L’intro de
Jonas me rappela curieusement l’expérience macabre vécue lors de la traversée de l’océan qui m’emmena malgré moi vers la cité engloutie de
R'lyeh après l’escale d’
Innsmouth ou périrent une grande partie de l’équipage...
Le chant (que nous qualifierons ainsi puisque les sons se rapprochent beaucoup de ce qui peut sortir de la gorge d’un être humain), alterné par les deux âmes égarées dévolues à cet effet, est un peu sous mixé sur certaines parties du premier chapitre et on a peine à comprendre le message colporté ainsi. Mais dans l’ensemble, le chant est lui aussi une composante à part entière de la musique et de l’univers de
The Great Old Ones.
Beaucoup d’émotions différentes ressortent pourtant de ces voix d’outre tombe. Elles alternent le Black pur sur une grande partie des titres mais peuvent se faire plaintives, écorchées voire maléfiques (le passage narré de
Jonas).
Ma connaissance des langues anciennes et disparues étant très faible, j’aurais aimé entendre ce que les textes de ce
Al Azif auraient bien pu donner dans la langue de Molière qui est encore, et pour quelques instants, la mienne.
Les introductions relativement longues permettent de poser l’ambiance générale de chaque morceau tout comme les nombreux passages instrumentaux qui jalonnent la rondelle métallique. Les interventions non saturées des guitares, relativement nombreuses, contribuent elles aussi à la diversité de la musique ici proposée (
Jonas,
Rue D’Auseil, My Love for the Stars). Musique que l’on pourrait qualifier de progressive dans le sens premier du terme au vu de l’importance donnée à ces changements de rythmes fréquents.
L’œuvre d’Howard Phillips Lovecraft continue de fasciner presque un siècle après ses débuts dans les grimoires des hommes. Elle reste une source d’inspiration inépuisable puisque reprise au fil du temps, argumentée et agrémentée dans de nombreux récits. Elle a aussi inspiré un nombre incalculable de musiciens avec des fortunes diverses.
The Great Old Ones a réussi avec ce premier méfait à en appréhender l’univers complexe et à le retranscrire d’une des meilleures façons qui soit.
Il est quasiment impossible d’assimiler ce
Al Azif en une seule écoute et il en faudra de nombreuses pour le cerner complétement. Les paroles des titres, concises au vu de la durée de ceux-ci, s’avèrent elles aussi un élément essentiel à la compréhension du tout que représente cet opus. Elles laissent le doute s’insinuer dans l’esprit de l’auditeur et c’est à lui d’imaginer la fin de l’histoire, heureuse ou malheureuse.
Mais l’envoutement de cette musique cesse lorsque tout à coup, la porte venant de voler en éclats, une horde d’abominations envahissent la pièce en hurlant "Ia! Ia! Cthulhu fhtagn!".
Mon dieu, sauvez nos âmes...
Le groupe ouvre les hostilités du Hellfest 2013. J'ai voulu me renseigner. Je tombe sur ta chronique en écoutant l'album.... Coup de coeur. Azathoth for ever !
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