Wormfood (FRA)

C'est ce matin que je dois rencontrer un bien étrange personnage, Emmanuel Lévy, aussi appelé ''El Worm''. Le rendez-vous m'a été donné à la Machine du Moulin Rouge. Lorsque j'arrive sur les lieux, dans le sulfureux quartier de Pigalle, j'y rencontre Jehan, patron du label Apathia Records ; c'est lui que doit me présenter et me conduire jusqu'à El Worm. Nous traversons le vaste couloir menant à la scène, mais alors que je m'attends à être dirigé vers la salle de spectacle vide, Jehan m'indique plutôt l'escalier descendant à la Chaufferie. C'est une longue pièce à l'architecture tarabiscotée, entre tuyauterie pendante, piliers massifs en pierre et une véritable machinerie en contrebas, entourée de champignons géants en plastique. Des seaux ont été placés au sol en attendant de colmater une fuite, et des flashs bleutés aux reflets moirés illuminent les murs à intervalle régulier. Évidemment, j'aurais dû y penser plus tôt. N'est-ce pas l'endroit le plus adéquat pour discuter d'histoires fantastiques et macabres ? Emmanuel me rejoint tandis que je contemple l'endroit ; ce qui suit est le compte-rendu de l'entretien qui m'a été accordé. Amis lecteurs, je vous laisse seuls en compagnie d'El Worm …

interview Wormfood (FRA)1. Cela fait quinze ans cette année que Wormfood existe, qu'est-ce que tu vois en regardant vers le passé ?
Je suis bien sûr content que le groupe existe encore, mais je suis surtout étonné que quinze ans après, quelque chose qui a commencé à deux en 2001 ait pris cette ampleur. Il y a eu une progression à travers les années, il y a eu des difficultés, des moments de chaos, des moments où le groupe était au bord de l'explosion et puis on revient cette année avec ce nouvel album. C'est assez inespéré, donc je suis heureux que cette aventure continue dans le temps, continue à grandir et à évoluer.

2. Vous revenez donc avec un nouvel album, L'Envers, peux-tu le présenter ?
L'Envers c'est le premier album de Wormfood composé, enregistré et mixé avec son nouveau line-up, qui est le line-up parisien, puisque celui d'origine à Rouen a explosé en 2009. Il y a eu une année de battement après cette explosion, où l'avenir du groupe était un peu incertain. Et puis certains acteurs de la scène metal et de la presse notamment m'ont persuadé de ramener le projet, puisqu'il y avait ce disque à l'époque, Posthume, qui était un peu dans les limbes. On ne savait pas trop s'il allait sortir, si on le sortait seulement en format numérique, si on pressait un CD, etc. Il est sorti quand même, et il a donc fallu remonter un line-up avec des gens de qualité pour le défendre sur scène, dont j'ai le premier représentant ici, Renaud. C'est la première personne vers qui je me suis orienté quand j'ai voulu remonter le projet et de fil en aiguille avec Renaud ce sont d'autres personnes qui se sont suivies et nous sommes arrivés à un line-up complet six mois après.

3. Comment est-ce que tu es allé chercher les autres musiciens ?
Il y a eu Renaud en premier, d'ailleurs tu peux raconter si tu veux !



Renaud : J'avais étudié dans une école de musique actuelle avec Thomas, et c'est lui qui deux ans avant que je rentre dans Wormfood m'avait prêté l'album France, en cours, et j'avais adoré. Plus tard j'ai déposé une candidature pour Wormfood par Myspace, on s'était croisé en concert et le contact était bien passé. J'ai proposé du coup à Thomas, et une fois qu'il est rentré dans le groupe il a fallu chercher un bassiste et on a tout les deux pensé à un autre camarade de classe qui est Vincent Liard.



Emmanuel : Et puis on rajoute à ça Pierre Le Pape qui est arrivé par un autre biais. À chaque fois Renaud m'a présenté des gens, à chaque fois j'ai pris le temps de présenter le projet, de faire une audition entre guillemets, mais plutôt un entretien. J'accorde beaucoup d'importance à l'aspect humain et j'avais vraiment besoin de trouver des gens avec qui créer une véritable complicité. Concernant Pierre, on avait fini par mettre une annonce pour chercher un claviériste, car ça a toujours été difficile de trouver une personne au clavier dans Wormfood. C'est quand même un aspect assez particulier du groupe, d'ailleurs il n'y avait pas de claviériste sur l'album Posthume. On voulait revenir dans une direction un peu plus orchestrale, comme on l'avait fait à l'époque sur France. Donc Pierre est arrivé comme ça par une petite annonce.

4. Peux-tu expliquer le titre de l'album L'Envers ?
Comme toujours il y a plusieurs sens. Il y avait peut-être à la base un jeu de mot avec ''l'an vers'', comme l'année du vers pour Wormfood et pour le retour de la formation. Il y a un jeu avec la sonorité qui est très proche du mot enfer, et aussi la notion d'inversion, d'envers du décor, de tout ce qui est sombre, de ce qui va à l'opposé de cette époque, car c'est un disque qui aborde des sujets différents, des univers anciens, des personnages un peu poussiéreux qu'on est allés chercher au XVII ou au XVIIIème siècle. Il y avait toutes ces notions là qui se mélangeaient et c'est comme ça que le titre s'est imposé. Ça a été vite adopté en réalité. C'est une idée qui a dû me venir sous la douche, comme toutes les bonnes idées ; parfois ça peut arriver aux toilettes également.



Renaud : On ne veut pas tout savoir, garde un peu de mystère ! (rires)



Sans plaisanterie, ça s'est imposé comme ça, très rapidement. Tu remarqueras aussi qu'on a fait pour tous nos albums à l'exception de Jeux d'Enfants des titres en un seul mot pour le côté percutant.

5. Comment s'est déroulée la composition des morceaux ?
Sur cet album ça a été vraiment très bien segmenté et organisé. Les morceaux sont composés avant les paroles, je fais toujours comme ça, c'est ma méthode et je crois qu'elle ne changera jamais. Je ne suis pas capable de faire l'inverse, ça ne m'est pas naturel. Je compose la base à la guitare, et Renaud qui était avec nous tout à l'heure et qui a un très bon niveau technique et théorique fait des transcriptions. On a ensuite un échange avec les autres musiciens sur ce qui peut être amélioré ou modifié et on avance ensemble. Et à la fin une fois qu'on a une maquette complète instrumentale c'est là que le sujet s'impose et que je commence à développer des paroles.

Ça a été un processus un peu solitaire, puisque finalement on a pas passé beaucoup de temps tous ensemble, mais je pense que c'est un gain de temps. Je ne crois pas du tout à la composition en groupe où tout le monde apporte des idées, ça fait un puzzle, ça n'en finit pas, et je ne veux plus du tout travailler comme ça. J'aime bien
avoir une base et qu'on travaille sur ce socle ensuite tous ensemble. Ça reste quand même un processus démocratique (rires). C'est surtout pour être efficaces et avoir une cohérence ensemble, parce que je crois qu'il y a une cohérence dans cet album et qu'il est assez homogène dans l'identité des morceaux.

6. Est-ce qu'il y a un thème commun aux morceaux, différentes saynètes ?
C'est une succession d'histoire, c'est vraiment un voyage. Le cadre général c'est ce qu'on a développé sur l'artwork du disque, cet espèce de palais de Versailles, mais qui serait un palais de cauchemar, mental, avec des personnages qui sont des obsessions, des spectres. C'est dans cette unité de lieu, cet espèce de palais de Versailles avec un roi cauchemar qui régenterait tout ces personnages et qui régnerait sur cet amas de vent et de poussière que vont se dérouler toutes ces histoires. J'essaye aussi d'écrire tant que faire se peut sur des sujets qui me touchent. Donc chaque morceau est relié à quelque chose de bien précis dans mon existence, même si je n'impose pas d'interprétation ou ni crûment mon vécu. J'essaye de faire des choses ouvertes dans lesquelles les auditeurs peuvent se reconnaître.

7. D'où te viennent tes inspirations ?
Elles sont nombreuses. On me le redit souvent et c'est vrai, il y a toujours en arrière-plan l'influence de Type O Negative, qui a été un groupe très important pour moi dans ma jeune adolescence. C'est un groupe qui m'a réellement percuté, qui a orienté mes goûts musicaux, et comme c'était déjà un groupe très spécial en soi, ça m'a orienté vers quelque chose de spécial. Il y a bien sûr l'influence des gens de Carnival in Coal avec qui on a pu travailler après ; c'est amusant, la vie est assez cohérente. Et puis Axel Wursthorn le fondateur de Carnival in Coal est le producteur des albums de Wormfood depuis une dizaine d'années. Il y a aussi Paul Bento de Carnivore et de Type O Negative, qui fait du sitar sur cet album comme sur le précédent. Il y a cette vague gothique bien sûr, je pourrais encore parler de Christian Death ou de The Mission, ou des choses des années 90 comme Pantera.

Et puis à côté de ça il y a eu toute cette vague de chanson française, par exemple Bashung, Stéphane Eicher, Gainsbourg qui est une grande influence pour moi. Il y a aussi des auteurs : les romantiques, les décadents, Huysmans, Villiers de l'Isle-Adam. Tout ça créé une esthétique générale, et c'est régurgité sous cette forme-là. Il y a aussi le fait que dans mon existence je cumule cette activité musicale avec une activité d'acteur. Étant acteur, faisant de la voix off et du doublage parfois, j'ai ce besoin de jouer des personnages. On a essayé de le retranscrire dans le disque pour que ce soit pas seulement un disque, qu'on puisse le savourer comme on regarderait un film, comme on lirait un roman un peu étrange : que ce soit une aventure. J'ai cet amour pour la littérature et pour l'écriture, que j'ai envie de restituer, et je pense qu'on peut le restituer dans un projet metal.

8. Est-ce que tu fais des recherches historiques ?
Les personnages finalement sont reliés à la réalité, puisqu'ils sont une partie de mes influences, de mes cauchemars qui prennent corps. J'essaye toujours d'avoir un fond documenté, cohérent, qu'il n'y ait pas de hasard. Je ne veux pas faire du Versailles de carton-pâte. J'essaye d'éviter les clichés, je ne sais pas si j'y arrive, mais je veux que ce soit cohérent. L'artwork a vraiment été conçut sur quelque chose du XVIIème siècle, avec un livret qui a un aspect très cinématographique, notre graphiste Hicham en a fait comme une couverture de film.

9. Après France tu es passé à un chant quasiment uniquement en français …
Sur France je commençais déjà à glisser du français deci-delà ; sur Posthume je chante intégralement en français, et sur celui-là quasiment, à part sur un morceau où ça s'impose puisqu'il parle de Brooklyn, de ma relation avec Paul Bento et des aventures de voyage que j'ai pu connaître en allant aux États-Unis. C'était un peu comme un pèlerinage à New York sur les traces de Type O Negative, de Carnivore, Life of Agony et tous ces groupes. C'est un morceau qui sert d'intermède, une façon de prendre une petite respiration psychédélique au milieu de l'album. Je voulais aussi offrir un long espace d'expression à Paul Bento, car j'aime beaucoup la fusion entre le metal et les sonorités indiennes, le sitar et le tempura. Puis Axel Wursthorn joue de l'orgue Hammond derrière, qui donne cette touche seventies un peu psychédélique. Comme le disque est très sombre, que ce sont des morceaux très longs avec une ambiance pesante ça faisait du bien de donner au milieu cette petite respiration.

10. J'ai l'impression que le vocabulaire est plus posé par rapport aux albums précédents, moins vulgaire et moins provocateur …
Oui peut-être … Mon crédo c'est de dire des choses peut-être dérangeantes mais avec toujours beaucoup d'élégance et avec un choix dans les mots. France, ce n'est pas une erreur de jeunesse, je l'assume, c'est le disque qui nous a fait connaître et qui a eu du retentissement. Le morceau le Vieux Pédophile me poursuit depuis, c'est un morceau dérangeant, mais à l'époque on n'a pas mesuré la portée de ce qu'on lâchait avec Vieux Pédophile, c'est parti vraiment d'une mauvaise blague et d'un certain sens de l'humour noir. C'est devenu Vieux Pédophile, qui es
t un truc bien emmerdant, avec quoi je vais devoir me débrouiller toute ma vie, parce qu'il y aura toujours quelqu'un pour me le rappeler. C'est un morceau qui a une ambiance particulière, qui est provocant bien sûr, mais c'est pas ce dont je suis le plus fier dans ma carrière musicale, même si j'en assume la paternité. À l'époque j'étais quand même pas trop con, même si j'étais plus jeune qu'aujourd'hui, maintenant je suis un vieux con, et j'avais fait en sorte d'écrire un texte qui ne pouvait en aucune manière passer pour une apologie de la pédophilie. C'est ce que je ne voulais absolument pas, ça aurait été navrant, il y a même eu un avertissement dans le livret. C'est un sujet assez grave, et peut-être qu'on a été un peu léger. On était à l'époque dans cette espèce d'éjaculation artistique, de vouloir tout dire, tout faire, toutes nos blagues. C'était une époque très stimulante, on avait signé notre premier contrat avec une maison de disque, on était jeunes et on était fous ! Aujourd'hui on est sur quelque chose de plus posé, on peut dire des choses dérangeantes, mais j'essaye d'être cohérent, de dire des choses qui soit plus élégantes, plus raffinées, et qui puissent susciter une réflexion. Je recherche plus actuellement une complicité avec l'auditeur. À l'époque de France on se cherchait encore, aujourd'hui on a essayé de poser la formule, d'aller vers un compromis entre l'aspect théâtral de France et le côté mature, sombre et francophone de Posthume. On a essayé finalement d'être à la croisée des deux, de faire quelque chose d'adulte, mais qui ait ce côté grotesque, théâtral et baroque.

11. Et aujourd'hui tu ne veux plus chanter qu'en français ?
Il ne faut jamais dire jamais, d'ailleurs je chante en anglais dans Erdh. (Il me tend le CD) C'est plus électronique, je ne m'occupe pas de la musique, et c'est Apathia qui sort ça aussi. Ce disque-là date un petit peu maintenant.

12. Wormfood est un groupe très rare sur scène, qui ne fait pas beaucoup de concerts …
(Il joue un air très sérieux : ) Oui bien sûr, c'est totalement calculé, on veut faire le moins de concerts possibles, on est très secrets … La réalité est toute autre, il est extrêmement difficile de trouver des dates pour un projet comme Wormfood, on a eu une carrière très chaotique. J'ai vraiment envie de revenir sur scène, on répète vraiment, on travaille et on réfléchit sur ce qu'on pourrait donner visuellement, à hauteur de nos moyens. Quinze ans en arrière j'imaginais qu'en sortant un disque il y avait un monsieur qui apparaissait avec un gros cigare et une liasse de billets qui disait ''écoutez les gars, j'aime beaucoup ce que vous faîtes, je vais vous faire tourner dans le monde entier''. En fait non, c'est pas du tout comme ça que ça marche, il n'y a pas de regret ni d'aigreur quand je dis ça, c'est qu'effectivement on ne peut pas jouer autant qu'on le voudrait ni faire une triomphale tournée avec des éclairages dans tous les sens parce que ça coûte très cher et ça demande beaucoup d'organisation. C'est aussi très compliqué à concilier avec la vie professionnelle et personnelle. J'espère de tout cœur qu'on va réussir à faire des shows de qualité, qui vont retranscrire cette ambiance. Pour l'instant on n'a pas encore booké de date du tout, donc c'est complètement l'inconnu, mais c'est stimulant d'évoluer dans l'inconnu.

13. Quand était votre dernier concert ?
C'était à Troyes, et avant on avait joué au Divan du Monde à Paris en première partie de Waltari. Je crois que c'était en 2012. J'ai beaucoup le trac, mais j'aime bien défendre mes morceaux sur scène. C'est pas évident de jouer du Wormfood sur scène, comme on est dans un style très particulier, il faut qu'il y ait un public qui ait envie d'entendre ça. Les gens ne savent pas forcément très bien comment nous catégoriser, le côté théâtral est étrange, et c'est pas un projet évident à monter sur scène.

14. Une dernière question, le nouvel album sort chez Apathia Records, comment ça se passe avec eux ?
Ça se passe très bien, et j'espère que ça va continuer à bien se passer. Ils sont investis, pas seulement financièrement, mais dans leur temps et avec passion sur ce disque, parce qu'ils croient en ce projet qui est quand même un peu fou. Ils ont fait en sorte qu'on ait un bel objet, qui sort du lot, avec un côté collector, un beau livret, en format allongé … tu vois je le vends bien ! Je suis très content de cette collaboration, ce sont des gens très intègres, passionnés et disponibles. Le monde est merveilleux. Il n'y a plus beaucoup de labels en France, donc c'est très courageux de leur part de faire ça aujourd'hui et de miser sur un drôle de cheval galeux comme nous (rires).

15. Je te laisse le mot de la fin …
J'invite évidemment les lecteurs de Spirit of Metal à se pencher sur notre cas, à venir voyager en écoutant ce disque en espérant que ce soit une expérience différente de ce qu'ils ont l'habitude d'entendre. J'espère que ça va leur donner envie de nous écouter, nous voir en live si on arrive à se produire comme il faut, et surtout venir nous rencontrer. C'est le meilleur moment quand tu récoltes ce que les gens ont perçu des chansons, c'est une immense joie et une immense fierté quand quelqu'un nous dit qu'un morceau l'a touché pour telle ou telle raison.





[YOUTUBE]http://www.youtube.com/watch?v=Wg_0VTFdLXI[/YOUTUBE]
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interview réalisée par LeLoupArctique

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