Catégorie ki-fait-rien-kom-les-autres, voici les normands Wormfood avec un second album ultra audacieux dans leur gibecière. Sur une base très sombre et brutale, le groupe nous dévoile peu à peu sa propre redéfinition du métal. Une musique extravagante, étrange et malsaine qui ravira les plus anticonformistes d’entre-vous en quète d’expériences contre nature (faites gaffe, ça peut irriter). Car avec "Jeux d’Enfants", Wormfood nous a composé là un de ces disques passionnants, foisonnants de détails qu’on redécouvre encore un peu plus à chaque nouvelle écoute. Loin du collage indigeste qui trahirait un amateurisme approximatif, Wormfood absorbe, digère et régurgite son trop plein d’influences avec une maestria rarement égalée. Voici une interview avec le guitariste/chanteur El Worm et son batteur Alexis Damien en janvier 2005.
>Pourrait-on débuter cette interview par un historique de
Wormfood svp ?
EW: Wormfood, fondé à Rouen en janvier 2001, était à
l’origine un duo : Romain Yacono (basse) et moi-même. Nous avons
monté le groupe peu de temps après le split de nos groupes de
black-metal Alien Christ/Bloodthirst et Outward Ceremony. La première
démo 5 titres est sortie en mai 2001. Peu de temps après, Alexis
Damien nous a rejoint à la batterie et nous avons ainsi sorti un premier
album autoproduit, nettement plus abouti que son prédécesseur,
en février 2003. L’accueil a été plutôt positif,
et nous avons récolté d’assez bonnes chroniques sur le net
et dans la presse. Nous avons ensuite engagé Tim Zecevic aux claviers,
ce qui nous a permis de faire un premier concert à Rouen, en compagnie
de Luen-Ta… Puis, nous nous sommes lancés, à quatre cette
fois-ci, dans la composition de "Jeux d’Enfants", et notre rencontre
avec Axel Wursthorn (Carnival in Coal) nous a conduit jusqu’au Walnut
Groove studio. Afin de pouvoir affronter la scène en toute tranquillité
et de retranscrire au mieux les compos, nous avons récemment fait appel
à Fred (Ataraxie, Funeralium), qui est vite devenu officiellement notre
second guitariste, et sera donc associé à la composition du prochain
album.
>Pourquoi ce nom d’ailleurs ?
EW: Nous cherchions une formule brève, facile à retenir, qui retranscrirait
au mieux notre conception de l’existence et de l’humanité
: worm food, ou "nourriture pour vers", était donc pour nous
la métaphore idéale de la destinée humaine.
>Musicalement, vous êtes impossible à classer. A l’écoute
de "Jeux d’Enfants" votre nouvel album, on pense au black-metal,
au thrash, au doom, au gothik… On va dire que Wormfood joue tout simplement
du métal sombre et brutal. Quelles sont vos influences et comment décririez-vous
votre musique avec des mots (si ça vous est possible) ?
EW: Tout d’abord, merci, car nous qualifier de groupe inclassable, c’est
le plus beau compliment que l’on puisse nous faire. Mes influences vont
de Type O Negative à Gainsbourg, en passant par Carnivore, Motörhead,
Notre Dame, Carnival in Coal, Totenmond, Laibach, Samael… Mais à
l’échelle des membres du groupe, les influences sont tellement
hétéroclites que la composition s’en ressent nécessairement.
Je crois que c’est ce qui nous permet d’éviter au maximum
de plagier les groupes que nous aimons. Pour définir notre musique, je
dirais que Wormfood est un groupe décalé et éclectique,
s’inspirant d’influences gothiques, doom et thrash, afin de proposer
des compos imprévisibles, malsaines et immersives. Si la musique se veut
tour à tour lourde et agressive, nous prenons un malin plaisir à
dérouter l’auditeur, notamment grâce à l’utilisation
de thèmes provocants et contemporains, d’arrangements classiques,
et d’atmosphères conçues sur le mode cinématographique,
avec une bonne dose d’humour grinçant. Le registre vocal, aussi
bien en français qu’en anglais, suit cette tendance, en naviguant
de façon théâtrale entre voix death, black, gothique, punk
ou carrément rock français. Le but avoué est d’avoir
un important recul critique sur le monde contemporain, et une réflexion
sur le métal lui-même.
AD: El Worm et moi avons des influences jazz et jazz-rock, que nous tenterons
de faire apparaître sérieusement sur le prochain. La difficulté
étant de ne pas faire apparaître un petit Django au milieu d\'un
blast, car Carnival in Coal l’a déjà fait avant nous merveilleusement
!
>Pouvez-vous nous parler de la genèse de "Jeux d’Enfants",
sa conception, son enregistrement ?
EW: Après la sortie de notre album éponyme, nous avons vite compris,
à la lecture des chroniques, ce qui pouvait faire notre force, et ce
qu’il fallait changer. L’arrivée de Tim, qui est de formation
classique, a également ouvert des perspectives tout à fait nouvelles
en termes d’arrangements. Nous sommes donc partis sur la base de travail
qu’il nous fallait assumer au maximum notre "folie" de même
que notre identité francophone, et nous autoriser toutes les expérimentations
qui nous tenaient à cœur, en se foutant royalement de ce que les
gens allaient en penser.
>A ma connaissance vous n’avez pas encore signé avec
un label. Est-ce une démarche que vous entreprenez ?
EW: Bien sûr, nous démarchons actuellement cet album, en France
et en Europe. Et je peux d’ores et déjà te dire que nous
serons, quoi qu’il arrive, bientôt sur un label, puisque nous avons
eu des propositions. En revanche, je ne peux pas encore te dire lequel ; c’est
une étape importante, et nous prenons le temps nécessaire pour
nous décider… Nous ferons une annonce sur notre site dès
que nous serons passés "de l’autre côté du miroir".
>Pour celles et ceux qui auraient la chance de connaître vos
précédentes réalisations, ce qui n\'est pas mon cas, pensez-vous
que le groupe ait évolué / progressé dans un domaine quelconque
sur ce nouvel opus ?
EW: Je crois sincèrement que nous avons progressé, ne serait-ce
que par ce que nous avons pris le temps qu’il fallait pour réaliser
ce nouveau disque, et que nous avons peaufiné jusqu’au dernier
moment. Les deux précédentes productions ont permis de poser des
bases, de déterminer quelles méthodes nous étaient propres,
de nous faire connaître aussi. Je ne renie pas ce que nous avons fait
autrefois, mais je pense que nous nous cherchions encore et que nous n’osions
pas assez de choses, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Cela
étant dit, le disque que j’attends le plus, maintenant, c’est
le prochain, qui sera, je l’espère, un "album de maturité"…
AD: De par l\'entente, l\'amour qui règne au sein de notre communauté,
la tolérance et la patience nous ont aidé à nous rapprocher
encore plus et à ne pas jouer perso. C\'est ce qui fait qu’El Worm
a presque joué les parties de batterie à ma place en fait ! (mdr),
et qu\'il m\'écoutait dans le studio lorsque je lui disais de refaire sa
dernière prise ! D\'autre part, Timmy qui est arrivé après
le disque éponyme, a pris le temps de se poser et nous lui laissons une
grande marge de manoeuvre, comme ce choeur féminin, à la manière
de Benjamin Britten, qui figure sur "Vieux Pédophile" et "Love
at last". Il apporte une touche classique qui fait désormais partie
du style de Wormfood. Nous avons de plus donné une teneur très
brute aux guitares, des riffs efficaces sans fioritures. Le chant est quant
à lui plus profond et théâtral. Nous progressons comme tout
le monde, et espérons aller encore plus loin sur le prochain disque,
en empruntant une voix plus noire, sombre et moite.
>Comment se déroule habituellement le processus de composition
au sein du groupe ?
AD: Nous avons nos petites habitudes désormais, comme un vieux couple.
Nous jouons dans un local personnel sans contraintes, à faible volume
pour mieux nous entendre, avec une batterie électronique. Nous partons
en général d\'un riff de guitare, que le groupe développe
et rend personnel. Nous remuons les structures, reculons, essayons, jusqu\'à
obtenir une sauce qui nous est chère : une structure chaotique tournant
autours d\'un thème précis. Un thème de paroles est alors
envisagé, ce qui influe sur la créativité de tous les instruments.
Par exemple sur "Bum Fight", l\'idée de l\'accordéon nous
a paru adéquate grâce au thème des clochards.
>Vous êtes potes avec Carnival In Coal, je crois. On remarque
d’ailleurs chez vous également cet esprit iconoclaste qui leur
est cher. Vous sentez-vous proches d’eux artistiquement ?
EW: Oui et non (réponse typiquement normande). Nous n’oeuvrons
pas dans le même style musical. Mais sur le fond, je crois que nous partageons
effectivement une même volonté de mettre à mal les schémas
traditionnels du genre, et des goûts musicaux qui dépassent le
cadre du métal. Quoiqu’il en soit, nous sommes très proches
(je n’en dirais pas plus, car ça relève de la vie privée,
ils seraient gênés si je dévoilais au grand jour ce qui
se passe physiquement entre nous)... Je fais d’ailleurs quelques furtives
apparitions sur leur prochain album, "Collection Prestige" (chez Earache/Elitist),
qui s’annonce absolument prodigieux. Dommage qu’ils aient tout gâché
en m’invitant.
AD: Nous avons eu la chance d\'entendre le nouveau Carnival in Coal, et je peux
peux vous dire que ça tue. On se sent effectivement proches, sommes très
admiratifs, car ils sont complètement cinglés. Musicalement, ils
ne se fixent pas de limites de styles, et ça, c\'est un peu notre démarche
et notre vision de la musique. En revanche, on ne peut comparer nos pedigrés,
car autant CiC est frénétique, décalé, et très
black, au
>De quoi traitent vos textes ?
EW: Dans l’ordre : d’une bonne plaisanterie avec un tramway, de
combats de rue entre clochards, d’une momie de chat égyptienne
ramenée à la vie, de la mise à mort d’un sodomite,
d’homosexualité et de libertinage au XVIIe siècle, d’un
homme-tronc, d’un père incestueux, d’un poète maudit
vicieux qui joue sur son pseudo-spleen pour culbuter les jeunes filles…
A la relecture, je me dis qu’on a vraiment un sérieux problème
psychologique ! Plus sérieusement, nous avons souhaité présenter
un recueil d’histoires sous forme musicale, dans lequel je prête
ma voix à différents personnages, le plus souvent en français.
L’interprétation des rôles me paraît donc importante
dans cette démarche, même si ce n’est pas toujours agréable
pour moi de me glisser dans la peau d’un vieux salopard qui viole ses
enfants... J’essaye également de rédiger des textes riches,
avec plusieurs niveaux de lecture et d’interprétation. J’étais
d’ailleurs très inquiet de la réception de certains titres
plutôt extrêmes dans les thèmes abordés ("Vieux
Pédophile", "TEGBM"), mais sur le terrain, je m’aperçois
que le public comprend très bien le sens de nos provocations et où
nous voulons en venir.
>J’imagine que restituer telle quelle la teneur de votre album
ne doit pas être une mince affaire sur scène ? Vos projets live
actuels ?
EW: Nous avons organisé un concert à Rouen pour la sortie de "Jeux
d’Enfants", en décembre (avec The Outburst et C-Rom), et ça
s’est extrêmement bien passé, avec un public qui s’était
déplacé en masse, et qui a réagi de façon très
enthousiaste. Evidemment, nous adaptons nos morceaux à l’exercice
live, et si l’aspect théâtral est préservé
sur scène, le rendu musical est nettement plus brutal… Mais ça
répond aussi aux attentes des gens qui viennent nous voir, et qui ont
envie de s’en prendre plein les oreilles. Pour l’avenir, nous avons
une date prévue à Liège avec Horresco Referens (28 mai,
Phoenix Club), et nous avons postulé pour la Rotonde et le Fury Fest.
Il est fort probable qu’on rejoue à Rouen d’ici-là,
ainsi qu’à Paris et Amiens… On met tout cela en place à
l’heure actuelle.
>Vous véhiculez une image macabre presque théâtrale.
Quel message cherchez-vous à faire passer ?
EW: On essaie d’avoir du recul par rapport au monde qui nous entoure,
et au genre musical dans lequel nous évoluons. Je serais tenté
de te dire que je pense que l’humanité est lamentable, la chair
faible, et la vie sans espoir, mais si je le pensais réellement, est-ce
que je me donnerais le mal de produire de la musique pour la faire écouter
à d’autres individus ? Faire une musique sombre, c’est une
approche possible des choses, et nous avons choisi cette voie là pour
parler des thèmes qui nous tiennent à cœur. Je crois que
nous sommes cyniques parce que nos convictions profondes sont mises à
mal par la réalité quotidienne. Ce n’est pas pour autant
une renonciation à ces idéaux, juste l’expression du dégoût.
>La pochette de l’album est hallucinante, elle tranche avec
ce qu’on voit habituellement en métal. L’allusion à
la pédophilie y est évidente.Qui s’en est chargé
?
EW: On cherchait à faire un disque qui ne passe pas inaperçu au
milieu des autres productions métal, et qui reflète notre humour
noir. Le concept était donc de faire un extérieur "tendre"
et un intérieur parfaitement dégueulasse. C’est à
Tim que nous devons la splendide fresque colorée à l’extérieur
du cd. Ce n’est pas une première fois pour lui, car il a déjà
collaboré en tant que dessinateur à plusieurs publications. Le
reste de l’artwork a été fait par mes soins (avec le concours
de Pascal Kovac, l’infographiste du Walnut Groove), d’après
les photographies de Youri Gralak (www.manieres.fr.st), un artiste rouennais
avec lequel nous avons l’habitude de travailler.
AD: On y retrouve aussi quelques analyses biologiques subies à mon retour
d’Afrique l’été dernier.
>Je vous laisse le mot de la fin si vous voulez ajouter quelque
chose…
EW: Merci beaucoup pour cette interview. Je tiens à saluer tous ceux
qui nous ont aidé depuis les débuts du groupe, et mine de rien,
ça fait un paquet de monde maintenant. N’hésitez pas à
nous rendre visite sur notre siteweb et venir à notre rencontre lors
des concerts.
AD: Nous remercions chaleureusement les personnes s’étant déplacées
à nos concerts, celles qui ont acheté l’album, et tous ceux
qui nous ont encouragé par leurs messages. Nous nous sommes donnés
pour ce disque, et la chaleur du public renforce notre soif d’en faire
un nouveau. N’hésitez pas à nous contacter pour faire des
concerts, des interviews, des chroniques !
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