The Amenta

Cauchemardesque, inhumain et fondamentalement misanthrope, The Amenta est une créature immonde qui, avec son nouveau rejeton maudit, « Flesh is Heir », s’apprête à recouvrir le monde d’encore un peu plus de crasse. Cinq ans après un « nOn » étouffant et expérimental, entrecoupé de multiples eps et épisodes lives, les australiens reviennent avec un troisième album toujours aussi foncièrement sale et extrême.
Timothy Pope (aka Chlordane), claviériste et compositeur de la formation, répond à mes nombreuses questions, sans aucune langue de bois, dans le langage qui le caractérise. Sans concession, avec une certaine prétention, et une confiance monumentale en son art.
Réponses d’un tortionnaire moderne.

[Par Eternalis]

interview The Amenta1 – Que s’est-il passé après « nOn » en 2008 ?
Timothy Pope (claviers) : Comme toujours après un processus de composition aussi épuisant qu’il ne le fut pour « nOn », nous avons pris du recul et avons décidé de ne pas sauter de nouveau dans l’écriture d’un autre album. Nous avons passé beaucoup de temps à tourner, en Europe trois fois, deux avec Deicide et une fois avec Obituary. Nous avons aussi tourné en Amérique du Nord avec Vader. Le Line-up a changé, comme toujours entre deux albums pour différentes raisons, et nous avons accueilli des nouveaux membres. Cain Cressall au chant, Dan Quinlan à la basse et Robin Stone derrière les futs nous ont rejoints. Nous avons beaucoup joué ensemble, sous cette forme, avant d’enregistrer ensemble. C’est sous cette forme que The Amenta est la plus forte, la plus terrible qu’elle n’ait jamais été.



Entre « nOn » et « Flesh is Heir », notre nouvel album, nous avons réalisé différents eps et une production multimedia. Nous voulions garder le contact et essayer plusieurs méthodes d’écriture et de création, dans l’espoir de trouver l’étincelle nécessaire à l’élaboration de « Flesh is Heir ».



2 – Votre musique est vraiment très sombre, violente et extrêmement malsaine, mais « nOn » avait reçu un accueil très positif de la presse et des fans, car elle est aussi expérimentale et innovante. Est-ce que cela vous avait surpris ?
Que les fans et la presse aiment l’album n’a pas été une surprise pour moi. Je savais que c’était un album monstrueux. Ce sont les gens qui n’ont pas compris l’album qui m’ont surpris. Nous jouons un metal très extrême et encore beaucoup de personnes trouvent notre musique trop impénétrable et sombre. Bordel, ils veulent de la musique extrême et lorsqu’on leur en donne une véritable, c’est trop sombre et crade pour eux ?



Nous avons toujours l’espoir que l’ensemble des personnes aujourd’hui puisse comprendre notre art, qui est à mon sens comme une vision terrifiante de l’art moderne, comme un testament de ce qui restera de nous. Chaque note que nous composons doit être innovante et unique. Si ce n’est pas le cas, ça devient redondant et nous supprimons immédiatement. Nous avons toujours l’envie de continuer à repousser les limites, que ce soit les notre et celles que l’auditeur peut supporter. Tout ceci est révéler dans chaque album que nous imprimons.



3 – Il y a eu différents ep et l’interlude visuel qu’est « V01D » entre « nOn » et « Flesh is Heir ». Etais-ce pour faire patienter les fans ?
Définitivement, l’une des raisons principales de ces courtes productions étaient de garder l’intérêt des fans intact mais aussi, et surtout, la raison primaire de tout ceci était d’exercer nos cerveaux malades à de nouvelles méthodes d’enregistrement et d’écriture, comme je disais. Tous ces eps et « V01D » ont permis à The Amenta d’expérimenter et d’essayer des choses très excitantes.

Avec « V01D », nous avons travaillé sur l’aspect mélodique de notre son et essayer d’accueillir des nuances plus épiques. C’était également le nouveau line up à ce moment-là. « ChokeHold » fut une expérimentation sur la spontanéité, la furie d’un instant capté à un moment précis. Nous avons écrit et enregistré ces titres en moins de six heures et je pense que cela nous a énormément apporté pour la suite, lors du processus d’écriture de « Flesh is Heir » notamment.

Quant à « Teeth », il permet d’introduire une composition du nouvel album et nous a permis d’expérimenter la densité de notre spectre sonore. Nous nous sommes focalisés sur l’ambiance et les basses et là encore, nous avons beaucoup appris.



A la fin, nous avons conservé de ces expériences le plus enrichissant pour la nature interne du groupe et cela a défini ce qu’est devenu l’album. Notre musique est toujours constellée d’expérimentations. Nous pensons aussi que ces eps ont été utiles pour que les gens s’imprègnent également de ces expériences pour appréhender au mieux le futur album. En montrant le résultat de ces expérimentations, sans les cacher, nous sommes honnêtes envers eux. Ce sont des éléments de réponses sur ce qu’est The Amenta, et ce qu’il sera demain.





4 – Ce nouvel album est très personnel et apocalyptique. Moins violent je pense, mais plus glauque et horrible. Qu’en penses-tu ?
Je pense que c’est un album très organique. Notre dernier album était très stérile à ce niveau-là, car entièrement digital et froid. Les thèmes que nous avions exploités demandaient un tel son, clinique et rigide.

Tu as raison, cet album est plus personnel et unique car les thèmes qu’il traite sont basés sur nous. D’où la sensation de son organique. L’autre côté des choses est que nous cherchons à avoir une réaction épidermique vis-à-vis de la dernière chose que nous avons enregistrée, pour faire quelque chose de complètement différent. Quand nous écrivons l’album, si une idée est similaire à quelque chose que nous avons déjà enregistré avant, elle devient ennuyeuse pour nous. Notre seul idée est de poursuivre le processus jusqu’au bout pour qu’il devienne frais et novateur. C’est ce qui nous inspire.



Donc, quand nous écrivions « Flesh is Heir », si des riffs ou des parties sonnaient de manière digitale comme sur « nOn », nous les rejetions en bloc pour les transformer en
interview The Amenta éléments que nous désirions. Et si les sons étaient l’extrême contraire de tout ça, c’est-à-dire organiques, ouverts et chauds, alors nous laissions aller l’inspiration pour en faire un morceau.

Je pense que l’album est aussi violent et sale que « nOn » et « Occasus » mais surtout bien plus centré sur nous-même. C’est une guerre psychologique entre les deux pôles de nos esprits. Toute cette violence trouve sa source dans notre esprit, rien de plus.





5 – Les visuels et images promotionnelles montrent également votre rejet de la normalité et de la conformité…
Nous, les artistes, devrions toujours rejeter la normalité et la conformité. Si tu veux être normal, tu as ta vie et c’est déjà bien. L’art est quelque chose de bien plus grand et excitant que la réalité. La conformité est juste emmerdant. Si quelqu’un fait ou dit la même chose que tous les autres, où est l’intérêt de le regarder ou l’écouter ? Les choses dont nous avons besoin sont uniques, sinon, nous perdons notre temps.

C’est pourquoi nous sommes en recherche de ces éléments novateurs. Ce n’est pas pour que l’on se penche sur nous ou pour attirer les médias, mais pour être en corrélation avec nos pensées profondes. Nous ne supportons pas de stagner, c’est épuisant. Donc nous repoussons constamment les limites pour garder cette forme d’excitation qui permet d’avancer.



6 – La production est également moins industrielle et plus death je dirais, plus organique et vivante. Tu es donc d’accord avec ça ?
Complètement. C’est très organique. Je ne pense pas réellement que le mot « industriel » puisse coller avec notre groupe. Sincèrement, je déteste ce terme. C’est beaucoup trop confus et sans signification de nos jours. Nous utilisons l’électronique, d’accord, mais c’est aussi le cas d’un artiste de hip hop. Faisons-nous donc tous les deux de la musique industrielle ?

Quand je pense aux groupes considérés comme « industriels », je ne vois que très peu de parallèles avec nous. Nous sommes beaucoup plus psychédéliques et extrêmes que les autres, avec une distorsion très importante des sons. A la rigueur, je peux reconnaitre certaines facettes de l’industriel des débuts, mais aujourd’hui, c’est avant tout des dance beats et je n’ai pas de temps à perdre à écouter cette merde.

Je pense aussi que le death metal est très limité pour parler de The Amenta. De plus, nous avons toujours eu plus de black metal que de death dans notre ADN, mais les gens peuvent souvent confondre les styles à cause du timbre très particulier de nos chanteurs. Il faut donc écouter comme la musique sonne, et de ce point de vue, je considère The Amenta comme un groupe d’Extreme Metal, rien de plus. Nous pouvons sonner occasionnellement death, parfois black, peut-être même trip hop, industriel ou quoique ce soit d’autre…nous ne nous imposons aucune limites et, en soi, cela devient improbable de nous définir dans un seul genre. Nous essayons juste d’exprimer nos émotions à travers notre art et, cette fois, ce fut plus organique et vivant. Il en sera autrement la prochaine fois.



7 – Les riffs de « Teeth » m’évoquent Gojira…connais-tu ce groupe français ? On peut aussi parfois sentir l’influence de Behemoth…quelles sont vos influences justement ?
Il y a quelque chose d’amusant avec Gojira. Lors de notre première interview européenne, on nous avait dit « Vous êtes spéciaux, attendez-vous à être comparé avec ce groupe qui monte, Gojira ». On s’était dit que le type devait être malade de nous comparer avec Gojira mais, depuis ce temps, ce n’est pas la première fois que j’entends ça. Je sais que c’est un grand groupe, très professionnel et techniquement très fort, mais nous n’avons absolument jamais été influencés par leur son. C’est étrange.



Nous ne croyons pas dans les influences. Nous cherchons délibérément à être libérés de toutes formes d’influences. L’inspiration, cependant, est une autre question. Elle peut venir de différentes choses, et évidemment, à un moment ou un autre, des artistes utilisent des sons similaires mais ce n’est pas pour autant que l’un a influencé l’autre. Influence est un mot négatif car il implique que tu ne prends pas toi-même tes décisions artistiques. L’art est ce qui te permet de créer ton propre langage, et l’influence serait comme utilisé les mots d’un autre. Lorsqu’un artiste va créer, ce sera avec son propre langage, et lorsque nous le ferons, ce sera avec les notre. Même si nous avons dit la même chose, les mots ne seront pas les mêmes donc chacun sera unique. Tu comprends ?



Nous sommes inspirés par des centaines d’artistes. Ils peuvent être musiciens, réalisateurs de film ou écrivains. Ces artistes peuvent m’inspirer mais ne pas le faire pour le reste du groupe, tout comme l’inverse est vrai. Chacun dispose de quelque chose d’unique en lui pour faire venir l’inspiration.



8 – Peux-tu me parler des textes de « Flesh is Heir » ? Ils évoquent l’annihilation de l’être humain et sa souffrance, non ?
C’est en partie ça. Les textes de « Flesh is Heir » sont à propos de la guerre entre les deux pôles de l’esprit humain. La première, nommée l’Anéantissement, est la partie qui désire l’annihilation de l’être humain par la douleur tandis que la seconde, Le Réalisme, a besoin d’adopter le comportement humain pour évoluer. C’est un p
interview The Amentauzzle cérébral entre la douleur et ce qui définit son besoin. Tous les êtres humains ont ces deux facettes et ils sont constamment en guerre. Doivent-ils se laisser détruire ou tenter de comprendre et maitriser l’existence ?

Les textes examinent les différents chemins qui mènent à ces choix. Nous écrivons à propos des drogues, de la violence, du sexe et de la souffrance. Chacun des éléments de l’Anéantissement.



9 – Comment réussissez-vous à rester violent et créatif sans répéter les mêmes idées ?


Encore une fois, le secret est l’expérimentation. Quand tu penses que tu as tout dis, tu ne fais en fait que commencer à trouver de nouvelles idées qui germeront dans les mois à venir. Il faut détruire les règles pour ça. Pour cet album, nous nous sommes nous-mêmes fixés la règle du « Pas de Blast Beats ». Finalement, nous n’avons pas respecter cette règle mais initialement, l’idée était de nous forcer à ne pas penser par la voie facile du blast et de l’utilisation effrénée de la double pédale. C’est la même chose pour les paroles. J’adore certains écrivains mais je me suis forcé à faire l’inverse de leurs travaux, pour inventer des jeux de mots et des néologismes très différents de mes automatismes de pensées initiaux. L’astuce est de toujours être en mouvement. Dès que tu arrêtes, que tu entres dans un certain confort, tu ne pourras que couler. Bien sûr, 90% des idées que l’on obtient comme ça sont de la merde absolue, mais les 10% restant seront le corps de l’album. C’est un travail lent mais indispensable à mon sens.

10 – Les textes sont justement très importants dans The Amenta. Penses-tu que, aujourd’hui, les gens peuvent acheter un album pour les textes ? Qu’ils les lisent même ?
Probablement que non. Je pense même que la plupart des auditeurs qui achètent un album pour les paroles doivent être déçu, car ce n’est souvent que de la poudre aux yeux. Les textes sont importants pour nous, ils résisteront à l’épreuve du temps mais je peux comprendre que cela n’intéresse pas tout le monde. Ça me fait chier de savoir que certains ne comprennent pas ce que je dis mais je ne peux pas les forcer à comprendre nos textes.

Avec l’âge, j’ai compris que je n’avais pas à dicter la manière dont les fans devaient nous connaitre. Si nous sommes connus et aimés comme un groupe « brutal », et bien c’est déjà très bien. Si on nous aime pour l’ensemble de l’œuvre, je pense que l’on parvient à degré plus élevé de lecture. En tant qu’artiste, ce que j’espère avant tout soit que l’un des aspects de notre art attire le public, son attention et qu’il se penche ensuite sur l’ensemble de notre création.



11 – Comment se passe votre relation avec Listenable Records ?
Listenable font un boulot énorme pour nous. Ils nous supportent vraiment et subviennent à nos besoins alors que le marché est très difficile actuellement. Ils ont une grande expérience avec des groupes de tueurs comme Immolation ou Gojira donc c’est un honneur d’être chez eux. Nous travaillons directement avec Laurent [ndlr : Merle, le boss de Listenable], et on se comprend très bien. Nous ne voudrions de meilleur partenaire avec nous et espérons travailler toujours avec eux dans le futur.

12 – Vous êtes assez rare en Europe. Revenez-vous en tournée dans les prochains mois ?
Nous espérons revenir bientôt, normalement au milieu de l’année. Venir avec du matériel et une équipe d’Australie est très compliqué, couteux et la logistique est complexe. Nous sommes actuellement en discussion mais rien n’est encore fait. Nous espérons que tout sera officialisé d’ici peu.

13 – The Amenta est très négatif sur la société actuelle de désinformation, contre l’endoctrinement, l’avilissement des masses…est-ce que les choses empirent avec le temps ?
Je suis clairement de plus en plus critique avec le temps, et définitivement plus cynique vis-à-vis de mon âge plus avancé. Quand j’étais jeune, j’avais une vision idéaliste du passé et je me disais que tout était mauvais car c’était mieux avant.

Mais aujourd’hui, j’ai réalisé que pas du tout, que l’on nous baise aujourd’hui mais qu’on le faisait aussi hier et surement depuis toujours. C’est la base de l’Anéantissement. C’est beaucoup plus simple d’être endoctriné et de faire ce que l’on nous dit de faire sans se poser de questions, ni avoir de responsabilités dans les décisions qui sont prises. Les gens sont paresseux et si vous leur donné la chance de ne rien faire, d’être uniformisé par la masse, neuf fois sur dix, ils le feront. Ils ont peur, et c’est cette peur qui est la base de tout.



14 – Merci beaucoup pour cette interview très enrichissante. Je te laisse les mots de la fin…ce passage est pour The Amenta…
Merci beaucoup pour l’interview et l’intérêt que tu portes au groupe. Pour toute chose, je recommande à tes lecteurs « Flesh is Heir ». Je sais que je vais paraitre arrogant mais je crois que ce sera l’album de l’année. C’est vraiment honnête de ma part, je le pense au plus profond de moi-même. Vous devez juste vous poser la question : Est-ce que je veux du challenge dans la musique que j’écoute ? Ou simplement écouter ce que l’on me dit d’écouter, en gardant les mêmes repères ?

Après, c’est votre choix.


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interview réalisée par Eternalis

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Anath - 08 Avril 2013: Un poil arrogant oui :p , très bonne interview au passage ! :D
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