Erei Cross

Quand un nouveau groupe voit le jour, que sa vocaliste est masquée, qu’on y évoque les sorcières et que derrière la composition se cache Adrien Grousset (Hacride, Carpenter Brut), il devient rapidement tentant d’en savoir plus auprès des principaux intéressés. C’est en duo que Adrien et Laetitia ont répondu à mes questions pour faire découvrir leur nouveau projet Erei Cross et leurs motivations. Instant découverte et extraits choisis.

 

[Par Eternalis]

 

 

 

Nous allons commencer par une petite présentation de Erei Cross pour ceux qui ne vous connaissent pas encore ou ceux qui ne connaitrait que toi Adrien via Hacride notamment ...

Adrien : Et bien je suis musicien depuis une vingtaine d’années avec principalement Hacride et dernièrement Carpenter Brut avec lequel j’ai beaucoup joué. J’ai aussi été musicien de session dans pas mal de groupes à côté de ça ...

Laetitia : Moi je suis une outsider (rires). On est potes depuis que je suis sur Poitiers vers 2004 en gros. En 2019, il m’a proposé de faire de la musique ensemble et j’en avais effectivement très envie depuis longtemps. J’ai une formation de 15 ans de piano, j’ai fait de la danse et j’aime énormément le spectacle. J’ai naïvement dit oui et le lendemain, il m’envoyait 6 morceaux déjà prêt (rires).

 

Ce n’est donc pas une collaboration covid née de la frustration de l’absence de concerts ..

Laetitia : Pas du tout non. On a fondé le projet en janvier 2019, ça aurait dû sortir début 2020 mais beaucoup de choses nous ont retardés. Il y a eu un décès dans ma famille, j’ai quitté la région et le covid est passé par là ...

Adrien : L’album est prêt depuis plus d’un an. Le clip a été repoussé aussi parce qu’on voulait absolument qu’une vidéo accompagne l’ep mais il était impossible de tourner quoique ce soit à ce moment-là.

Laetitia : C’est vrai que même si Adrien est connu, le projet sortait un peu de nulle part donc nous voulions une vidéo avec un fort impact. Le tournage devait se faire à Détroit mais je n’ai pas pu partir donc on a dû faire deux tournages distincts : un là-bas et un autre en France. Mais ça y est, on voit le bout et ça sort !

 

Erei Cross est l’anagramme du mot « Sorcières », écrit à l’envers. Est-ce que c’est la seule signification ? Est-ce qu’il y a autre chose et qu’est-ce que cela représente pour vous ?

Adrien : A la base, mis à part nos convictions et nos valeurs mutuelles, c’est venu d’une blague à propos de Laetitia. Célibataire, avec des chats, je lui disais qu’on Moyen-Age, ça ferait longtemps qu’on l’aurait mise au bucher (éclats de rires)

Laetitia : Dans ma famille, on m’appelait « astreig » [ndlr : doute sur l’orthographe] qui signifie « sorcière » en Corse. Je suis toujours en marge, un peu bizarre peut-être et je ne sais plus qui m’a dit, un soir de 31 décembre, « ça fait quoi sorcière à l’envers ? ». On avait un peu bu mais Erei Cross était né (rires). Il y avait cette idée de sorcière féministe, avec notamment la livre de Mona Chollet et la réappropriation de l’image de la sorcière.

Adrien : Ça permet d’avoir un leitmotiv, une thématique qui va englober le projet. Pas forcément la sorcellerie mais vraiment la sorcière en tant que telle, aussi bien dans son évocation médiévale que dans sa vision plus moderne suite aux mouvements féministes des années 70 aux Etats-Unis.

Il y a un côté cryptique de prime abord dans l’image du groupe, entre les photos du groupe très désincarnées, toi qui est toujours voilé, la pochette de l’album et ça confère un côté obscur à la thématique du groupe. Est-ce que c’est une volonté du groupe de ne pas être directement accessible ? Est-ce que c’était ancré dès le début ?

Adrien : C’était déjà très ancré dès le départ oui.

Laetitia : Je voulais être masquée par exemple. Je suis fan de Ghost et je suis très bercé par la culture des Drag Queen, j’appréhende la scène comme un spectacle et un lieu où je ne suis plus la même.

J’ai hésité au début de me masquer pendant les interviews mais on a voulu faire une scission entre celle qui chante et celle qui parle. D’ailleurs, des gens pensaient que nous faisions du black metal au début (rires)

 

Je dois avouer que de prime abord, j’ai trouvé votre style assez accessible et rock mais au fur et à mesure des écoutes, on distingue une plus grande complexité dans les structures, dans les riffs parfois assez tordus ou les structures pas si évidentes et on reconnait ton style Adrien mais pas aux premières écoutes ...

Adrien : On a eu pas mal de retours assez étranges. C’est plutôt bon donc pour notre ego c’est cool (rires). On a remarqué qu’il y a beaucoup de gens qui ne viennent pas du metal, voir même pas du rock. On voulait mélanger du rock, de la pop, du metal, des années 80 dans les voix, du 90 parce que c’est ma culture musicale et on a des retours de gens qui kiffent « Here I Am » alors que pour eux les Red Hot c’est du rock dur dur (rires). On a réussi à créer une espèce d’ambivalence, de complexité assez technique et lourde tout en étant très accessible. C’est là où je suis content car j’ai réussi à composer quelque chose de presque simple à écouter tout en gardant ma patte que j’ai depuis très longtemps quand j’écoutais Death ou Meshuggah. La voix de Laeti permet de lisser sensiblement la musique et j’ai la conviction qu’on a réussi à trouver un équilibre personnel.

 

Justement, dès l’introduction de « Here I Am », on peut penser pendant 20 secondes à Hacride et je trouve que la prod vous met de plein pied dans le metal alors que la musique ne l’est pas forcément. Un peu comme Carpenter Brut touche un public majoritairement metal alors qu’il n’en joue pas ... qu’est-ce que tu en penses ?

Adrien : on ne peut pas renier ses racines. Je viens à la base du grunge dans les années 90 et je suis allé forcément dans le metal, dans le prog et ça ressort de façon complètement naturelle car c’est simplement ma façon de faire.

 

Laetitia : ce que j’ai aimé tout de suite dans les morceaux ça a été la diversité des titres. Les gens seront surpris car on passe par de multiples émotions mais ça reste Adrien. Quand il m’a envoyé les morceaux, j’étais sur le cul mais je me suis surtout demandé dans quoi je m’étais engagé pour chanter là-dessus (rires).

 

"On a réussi à créer une espèce d’ambivalence, de complexité assez technique et lourde tout en étant très accessible. C’est là où je suis content car j’ai réussi à composer quelque chose de presque simple à écouter tout en gardant ma patte" (Adrien)

 

C’est effectivement ce qui m’a frappé sur cet ep. Les titres sont très hétérogènes, comme si vous aviez mis tout ce que vous avez pour cette première sortie. Est-ce que le premier album sera plus homogène ou est-ce qu’il y aura justement une volonté d’avoir quelque chose de très varié ?

Adrien : Ce premier ep est un premier pas vers le premier album puisqu’il y aura un second ep avant. Tout est déjà composé et viendra finaliser l’ensemble, ce qui donnera un album au final. Tout est très hétérogène mais il y aura un leitmotiv permanent, un fil rouge qui permettra de créer une bulle dans l’album tout au long des douze morceaux qu’il y aura. Tous les morceaux seront d’une certaine manière très différent comme tu viens de le dire mais tu pourras facilement retrouver qu’il y a une continuité et que c’est le même groupe qui joue tout le long.

 

D’un point de vue plus conceptuel, il y a un fort rapport à la femme dans le titre de l’album, du groupe ou les textes. Il y a une forme d’engagement social dans Erei Cross. Est-ce que c’est uniquement un concept uniquement artistique ou il y a vraiment un côté presque politisé ?

Laetitia : je dirais qu’il y a les deux ...

 

Adrien : pour répondre à ta question, ce n’est pas militant.

 

Laetitia : c’est naturel de parler de ça pour moi. Je considère qu’on soit un mec ou une meuf on s’en fout et ça ne doit jamais compter. J’ai peut-être, au fond de moi, un côté militant car je supporte certains mouvements même si je viens d’une famille qui ne l’est pas, qui est très macho. Je suis une espèce d’erreur en fait (rires).

Adrien : Ce n’est pas militant dans le sens politique. On ne cherche pas à mettre le féminisme au cœur de la musique parce qu’il y a une nana qui chante ni à plaire à un certain public pour ça. On est raccord tous les deux là-dessus, ça nous touche mais on ne cherche pas à plaire à une communauté avec ça. On cherchait plutôt une ligne directrice, un leitmotiv artistique et on l’a aujourd’hui trouvé là-dedans. On parlait tout à l’heure de Ghost, c’est la même chose où tout est lié à Satan, à la religion et à l’évolution du pape, du cardinal.  

 

Votre clip est vraiment magnifique. Est-ce que vous pouvez en parler ?

Adrien : ce sont des amis de Poitiers qui ont fait des clips pour Hacride et d’autres pointures. L’idée c’était de faire un clip avec tout ce que l’on vient de te dire mais avec la difficulté d’intégrer Leati dans le clip sans que ce soit uniquement la chanteuse. Je ne voyais aucun intérêt d’apparaitre dans le cli [ndlr : Leatitia explose de rire]. Je veux bien venir avec ma gratte mais ça ne contribue à rien et on a souvent fait ça. Au départ, Leatitia devait aller à Détroit mais le covid nous a rattrapés donc il y a eu une équipe là-bas et une autre sur Paris.

 

Quels sont les plans dans un futur très proche maintenant que l’on entrevoie le bout du tunnel ?

Laetitia : c’est vrai, j’étais en terrasse ce matin pour le petit dej (rires).

 

Adrien : On va y aller cool. On ne sait pas ce qui peut se passer pendant l’été. On en a profité pour mettre en place notre set live, donc on est prêt et on répète très régulièrement. On a fait appel à Matthieu Guérineau de Microfilm à la batterie donc on va attendre de voir si les salles de concert ne sont pas timides. Il risque d’y avoir un embouteillage. Je pense à Gojira qui vient de sortir un album et ils seront forcément prioritaires, ce que je comprends totalement mais j’espère qu’il y aura de la place pour les projets émergents.

 

" Pour l’instant, j’ai envie de développer Erei Cross en tant que musicien mais à un moment j’y reviendrais, c’est évident. [à Hacride] " (Adrien)

 

Est-ce que Erei Cross est aussi un besoin pour toi de revenir à un projet de composition après avoir beaucoup tourné avec Carpenter Brut où tu n’es qu’un musicien de session ?

Adrien : Tu as complètement raison. J’avais besoin de quelque chose de complètement nouveau. Je n’avais même pas envie de revenir à Hacride et la pause de Carpenter nous a fait du bien car on a fait des dates partout pendant trois ans et c’était non-stop d’une intensité folle. Il fallait qu’il y ait quelque chose de nouveau, qui me permette de m’épanouir, en dehors des pressions de label ou de tournée. Sortir un nouveau projet est salvateur, c’est une nouvelle respiration.

 

Je voulais te parler de « Back to Where You’ve Never Been » qui est un album très technique, probablement le meilleur d’Hacride, qui avait tout pour faire de vous un vrai pilier du metal français, inspiré et inspirant. Malheureusement, j’ai l’impression qu’il n’a pas eu l’écho souhaité et sept ans plus tard, quel bilan fais-tu de cette période ?

Adrien : C’est très difficile de faire un retour en arrière. En soi, ça s’est passé super, on a fait une tournée de plus de 100 dates, on a été partout en Europe ... [il hésite] en fait c’est toute l’histoire d’Hacride cet album. Le groupe est respecté dans les medias, dans l’Europe mais nous n’avons jamais eu l’impulsion pour être le nouveau ... le nouveau « j’en sais rien » (rires).

 

Le fameux facteur chance qui parfois fait décoller une carrière ...

Adrien : Je suis assez d’accord avec toi. Tout le monde était avec nous. Après il ne faut pas cracher dans la soupe car beaucoup n’ont pas eu la chance de tourner comme nous. Cependant, je pense que nous sommes restés un statut, un espoir et rien d’autres. Carpenter nous a fait du bien, on a fait autre chose.

Tu en parles donc uniquement au passé ? C’est irrémédiable comme décision ?

Adrien : Ce n’est pas fermé. Je ne dis pas qu’on refera des tournées marathon comme avant mais rien n’est figé. Je sais que j’ai encore des choses à dire, le groupe n’est pas enterré mais dans une parenthèse. Pour l’instant, j’ai envie de développer Erei Cross en tant que musicien mais à un moment j’y reviendrais, c’est évident.

Qu’est-ce que vous écoutez aujourd’hui comme musique ?

Adrien : j’écoute beaucoup le nouveau Gojira que je trouve vraiment très bien. J’ai également beaucoup écouté dernièrement Billie Eilish qui a une prod de folie pure. Il y a vraiment de l’innovation en termes de perspective sonore et de distorsion et j’ai énormément bloqué dessus.

 

" C’est impossible de faire le tour d’un instrument, d’un domaine artistique. Par définition, c’est infini, je pense plus qu’on peut se lasser et en avoir l’impression. Et ce qui sera nouveau paraitra plus excitant. " (Laetitia)

 

C’est excellent que tu parles de Billie Eilish puisque Steven Wilson en a beaucoup parlé pendant la promo de « The Futures Bites », en disant également que c’était une artiste qui avait fait quelque chose de fabuleux plus en termes de prod et de son que de musique ...

Adrien : Oui j’ai entendu tout ça. Je suis partiellement d’accord avec lui parce qu’il a aussi dit qu’il avait fait le tour de la guitare et je trouve ça compliqué. J’en fais depuis presque 30 ans, je suis prof, je suis diplômé, j’ai beaucoup exploré et je pense pas avoir fait le tour.

 

Laetitia : C’est impossible de faire le tour d’un instrument, d’un domaine artistique. Par définition, c’est infini, je pense plus qu’on peut se lasser et en avoir l’impression. Et ce qui sera nouveau paraitra plus excitant.

 

Adrien : Là où il a raison en revanche c’est ce qu’a proposé Billie Eilish en termes de prod. C’est totalement nouveau. Souvent tu as une proposition artistique en musique et la prod sert à sublimer l’ensemble. Là, la musicalité vient de la prod et il y a quelque chose de très intéressant. Il faut écouter ça au casque ...

 

Laetitia : Au casque c’est assez fou. Il y a des sons 3D, c’est vraiment pensé pour une spatialisation du son et c’est très rare. La dernière fois que j’ai ressenti ça c’était sur un jeu de fou, qui est basé sur des voix qu’on entend ...

 

Senua’s Sacrifice !

Laetitia : Oui ! Tu connais ! Il n’est pas très connu pourtant ! C’est quelque chose qui m’inspire beaucoup, le mouvement des voix. Sur de bonnes enceintes, j’ai pris une énorme baffe car le son devient palpable, lisible et on a la sensation d’être dedans. C’est absolument génial !

 

Qu’est-ce que ça fait de voir que Gojira a été numéro 1 en France pour les ventes physiques ?

Laetitia : il était temps !

 

Adrien : Et n°1 aux Etats-Unis ! Déjà un grand bravo, je suis très content pour eux parce qu’on se connait, on a partagé des dates parce qu’ils le méritent, ils ont cravaché à fond. Se dire qu’un groupe de metal, en plus français, est premier aux States c’est dingue. John Lennon disait dans les années 70 « Le Rock français c’est comme le vin anglais ». Du coup, maintenant j’attends de boire du vin anglais (rires).

 

Pour terminer, est-ce que l’objectif est de tourner avant de sortir le 2e ep ?

Adrien : ça va dépendre des salles comme on disait. Je préfèrerais oui pour ne pas trop tarder mais rien n’est certain. Le but est de sortir le deuxième ep pour en faire un disque complet, qui sortira ensuite en format physique si tout va bien. On est totalement prêt, on espère que le public sera au rendez-vous. On jouera à 3, avec le batteur, des samples et des transitions entre les titres. On ne tient plus en place !

 

 

[Par Eternalis, interview le 20/05/2021]

interview réalisée par Eternalis

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