Le printemps bat son plein, le ciel est bleu, les oiseaux gazouillent…
Si cette ambiance bucolique propice au zouk love ou au reggaeton vous horripile et que vous recherchez désespérément à vous plonger dans les affres de la solitude, la dépression et la misanthropie, vous pouvez toujours compter sur Brouillard qui nous injectait en février dernier notre dose de grisaille bisannuelle. Entretien avec Marie qui revient avec nous sur sa vision de la musique, son processus d’écriture, ses coups de cœur musicaux et qui accepte de nous dévoiler quelques clés afin de mieux avancer ou se perdre dans les ténèbres opaques de VI…

1. Le dernier album de Brouillard est sorti le 15 février sur ton propre label Transcendance Productions. Peux-tu nous présenter ce sixième opus en quelques mots ? D’après toi, qu’est-ce qui le distingue des albums précédents ?
C’est le cinquième album BORDEL ! Le digital ça compte pas ! hmmm je pense qu’on reste dans la même lignée de Black atmosphérique aux longues compos répétitives et au son un peu opaque, rempli d’émotion et de perdition. Ce qui le distingue, c’est surement dans la production, il est un peu plus abouti et qualitatif vu que je progresse en mixage (pas en guitare par contre) et que l’ami Déhà lui a donné un mastering digne de ce nom. Ça tape un peu plus, la batterie sonne surement un chouilla moins mécanique et déshumanisée… Sinon la majeure différence est surement dans l’approche conceptuelle. Il y a eu un petit chamboulement personnel qui a créé comme une rupture avec le concept habituel des précédents Brouillard. Qu’on s’entende, je suis toujours aussi perdue dans la vie et ce sur à peu près chaque aspect de celle-ci. La différence c’est que j’embrasse enfin cette perdition comme nécessaire et bénéfique. Tu veux un exemple concret ? ça fait 4 ans que j’ai un travail, et ça fait 4 ans que j’ai mal au ventre de manière chronique, c’est infernal, je peux plus bouffer, plus sortir, plus vivre. Là où un CDI incarne pour certains la sécurité, les emprunts, les projets… pour moi c’est une corde au cou qui m’étouffe et m’enchaîne à un endroit. Avoir des horaires, un programme, prévoir des vacances à l’avance, tout ça pour moi c’est un enfermement mental, et je suis très claustrophobe haha. Je parle pas mal de ce besoin de liberté (à tout point de vue), ça peut sembler cliché « la liberté » mais c’est vraiment de ça qu’il s’agit. Savoir de quoi demain sera fait c’est terrifiant, faire la même chose au même endroit avec les mêmes personnes plus de deux ans de suite j’y arrive pas, j’ai une soif constante d’apprendre et de découvrir qui nourrissent ma créativité vitale, alors stagner c’est crever. Bien sûr il y a certains piliers comme l’amour du Black Metal, de la nature, certaines personnes, mais pour le reste… Et donc ce brouillard, métaphoriquement l’incertitude, le flou, la perdition, m’apparaissent finalement comme une nécessité, un luxe, l’épanouissement…
2. Peux-tu nous parler du processus de création puis d’enregistrement de ce nouvel album ? A l’écoute de ta musique, j’imagine aisément que ton art vient cristalliser des tranches de vie, des espoirs et des déceptions, tout un panel de sentiments intenses qui te traversent à un moment précis de ton existence…
Au-delà de l’aspect purement musical, qu’est-ce que VI incarne pour toi ?
Oui bien sûr chaque album est une tranche de vie, d’ailleurs tu n’as pas idée du nombre de compo géniales qui ne verront jamais le jour parce que… bah je suis plus dans l’émotion du moment.
V ( :D ) incarne cette rupture que je veux me faire la violence de marquer, oui car entre la prise de conscience et le passage à l’acte il y a tout un besoin de courage, de laisser des choses derrière, car bien sûr dans tout changement il y a des renoncements. Alors peut-être que cet album est là pour me donner cette force, ce « je l’ai dit alors maintenant je dois le faire » pour m’empêcher de reculer, de retourner dans des schémas que je ne veux plus m’imposer. On pourrait voir un album comme une page importante de journal intime, un pacte qu’on fait avec soi-même, et pour le coup devant témoin, pour s’obliger à aller au bout de la démarche.
3. Sur ce nouvel opus, tu sembles sortir du Brouillard qui t’enveloppait d’une lointaine aura de mystère et te livrer plus, exhiber sans honte les failles, les blessures, et les faiblesses qui font de toi un être humain, notamment via ces textes, clairement audibles, qui dévoilent ta fragilité sans fausse pudeur …
Dans quelle mesure la création d’un nouvel album est-elle cathartique pour toi ?
Dans la mesure 10/10 héhé, t’as pas idée ! Je pourrais te parler de Vertige pendant des plombes, sur la psychanalyse totalement involontaire que cet album m’a infligée par exemple. Mais au-delà de ça. Je me rends compte que composer (créer de manière générale) est un vrai besoin pour maintenir un équilibre mental relatif. Je bloque involontairement mes émotions dans la vie courante, (d’où mon mal de bide, le ventre étant le siège des émotions) et il n’y a qu’en créant que j’arrive à ouvrir une soupape par laquelle laisser un peu passer la merde accumulée, et ça peut être assez violent. Par contre je ne connais pas de sentiment plus euphorisant, jouissif, gratifiant, que terminer une compo, une partie de chant, trouver un riff génial, écrire un beau texte, etc… Je ne sais pas l’expliquer et je serais curieuse de connaître les mécanismes qui interviennent ici, mais créer, c’est exister.
C’est vrai que c’est marrant ce paradoxe, c’est l’album où je me réfugie enfin dans la Brouillard plutôt que de le fuir, et en même temps celui où je m’y mets le plus à nu ouais… En même temps c’est tout le propos : bas les masques, fini de faire semblant, de suivre le mouvement (ok bon j’ai jamais vraiment fait ça). Je sais pas, je crois que je me suis déjà tellement dévoilée dans Vertige que « j’ai plus rien à perdre ». Puis bon, je déteste l’idée de me déshabiller de la sorte mais je ne suis pas capable de faire les choses à moitié lorsqu’il s’agit de black metal, pas de tricherie, on y va à fond. Tu sais avec du recul, si tout était à refaire, je continuerai à me mettre à poil mais je serais restée anonyme. Je suis vraiment pas à l’aise avec toute cette partie exhib, mais bon, ça m’apporte tellement, et puis cerise sur le gâteau il semble que ça apporte aussi à d’autres, de partager certaines choses, émotions, considérations, alors ça en vaut la peine.

4. En ce qui me concerne, VI est de loin l’album le plus personnel de Brouillard, justement en grande partie grâce à l’expression de ces sentiments exacerbés qui semblent te submerger, et à une expression musicale qui évolue, s’éloignant toujours un peu plus du spectre de Darkspace dont tu étais très proche à tes débuts.
Es-tu d’accord avec cette analyse ?
Comment vois-tu l’évolution stylistique de Brouillard avec le temps ?
Tout à fait d’accord pour Darkspace qui s’éloigne, peut-être parce que j’ai créé Sphère pour exprimer à fond ce côté-là, ça avait été un beau bordel au début d’ailleurs pour bien distinguer les deux, musicalement et conceptuellement, mais finalement tout s’est éclairci. Effectivement ce Brouillard est bien plus personnel et introspectif, ce n’était pas vraiment ce que je voulais à la base, mais bon, on dirait que tout me pète à la tronche en ce moment alors, comme dit plus haut, je ne cherche pas à forcer ou tricher, je prends ce qui sort. Et pour les mêmes raisons, l’évolution je suis incapable de la prédire, un retour aux sources, un renouveau, une continuité, tout dépendra du moment, je ne fixe rien et laisse toujours la spontanéité décider.
5. Je trouve d’ailleurs que la frontière se fait de plus en plus ténue entre Brouillard et Vertige, notamment via l’inclusion de ces parties parlées vibrantes d’émotions et de ce style de black aussi majestueux et épique que mélancolique.
Te fixes-tu des limites musicales strictes dans le cadre de tes différents projets musicaux ou te contentes-tu de suivre l’inspiration/l’urgence du moment ?
Comment fais-tu pour distinguer ce qui a sa place dans Brouillard et ce qui, d’après toi, doit plutôt coller à Vertige ou, auparavant, J’Ai Si Froid ?
J’ai failli répondre, dans la question précédente, que cet album de Brouillard aurait pratiquement pu être une suite à Vertige, effectivement ! Alors je ne fixe rien mais ça pourrait devenir compliqué de bien distinguer les deux, parfois. Musicalement je pense que le son joue beaucoup, un riff pourrait tout à fait s’adapter à l’un ou l’autre de mes projets mais l’ambiance autour joue énormément. Mais généralement, une fois que je suis lancée sur une idée, un concept, un projet précis (en fonction de mon inspiration de ce moment), tout tourne autour de ça et je fonce dans ma bulle, je veux dire que je ne bosse pas sur deux projets distincts en même temps par exemple. Je peux noter une idée ou une mélodie pour plus tard mais j’ai besoin d’être à fond immergée dans l’atmosphère du groupe jour et nuit pendant le temps où j’écris et enregistre. Sinon je pense que Brouillard a toujours été tourné vers la perdition, l’inconnu, de manière générale alors que Vertige est plutôt une invitation à se (re)trouver dans l’introspection, la contemplation.
6. Outre le black metal, ceux qui te suivent savent que tu es une amatrice de dark ambiant, et notamment de Vinterriket que tu admires beaucoup.
Y a t’il d’autres styles que tu écoutes en dehors des sphères metal/ambiant et dont l’on pourrait peut-être retrouver l’influence, de manière plus ou moins directe, dans ta musique?
De Dark Ambient ? Ah non, pas vraiment, hormis pour le coup Vinterriket, oui là, d’accord, mais ça doit être une exception ! Franchement, c’est le Black Metal qui me fait vibrer au-delà de tout le reste, je ne rencontre pas le dixième des émotions qu’il me procure dans un autre genre sauf peut-être dans la musique classique (pas tout), et rien qu’à travers toutes les déclinaisons du genre j’y trouve largement mon compte, donc en gros je n’écoute que ça. Et les personnes qui disent « c’est trop nul de se cantonner à un genre il faut être ouvert » et bien je les invite cordialement à aller se faire foutre et appliquer cette ouverture d’esprit à eux-mêmes en laissant les autres faire ce qu’ils veulent pour une fois, bon sang. Je déteste à peu près tous les autres genres de metal, à commencer par cette grande famille de beaufs que sont les metalleux, par contre il parait que j’ai un côté Doom dans Brouillard, mais ça ne peut pas venir d’une influence parce que je déteste le Doom, je trouve ça terriblement chiant (du coup j’essaye de faire du Doom pas chiant en ce moment, je suis assez contente du résultat, hâte de partager ça !).
7. Tes textes sont soignés, profonds, riches et personnels, bien loin des clichés inhérents au genre, et tu sembles avoir une manière bien à toi d’écrire (Les Grands Précipices me rappelle beaucoup le spoken words d’un Fauve dans la manière de déclamer ton texte ainsi que la montée en puissance d’émotions brutes qui vient gonfler ta voix au fur et mesure du texte). La poésie t’inspire t’elle dans ton expression artistique ? Si oui, quels sont les poètes que tu apprécies le plus ?
Merci ! Je suis un peu désolée de répondre encore non à ta question, mais non. Je ne lis quasiment jamais, et encore moins de poésie… Visiblement ça ne m’empêche pas d’en écrire (sans prétention) et d’adorer m’appliquer à trouver des double sens, des métaphores et des figures de style, par exemple l’alexandrin revient régulièrement dans mes écrits sans que je ne le cherche spécialement (je crois qu’il y en a un dans le bonus du dernier Brouillard justement), j’adore aussi glisser tout un tas de petits sens cachés ou autres easter eggs que personne ne trouvera ou ne comprendra jamais, c’est pas grave, du moment que cela fait sens pour moi !

8. L’année s’est achevée il y a trois mois, ce qui laisse peut-être un peu plus de recul pour faire un bilan musical objectif. Peux-tu nous parler rapidement de tes sorties préférées de 2022 ?
Sans préférenciarisme de merde HORDOUS est ma grosse claque, je ne le cite pas parce que je l’ai produit, j’ai vraiment trouvé cet album incroyable. Et puis j’ai découvert Maquahuitl, du black mexiconazi aux riffs épiques et entêtant qui tourne en boucle chez moi, une pépite ! A part ça ? Un nombre incalculable de sorties dont 99% ont une prod aussi moderne et aseptisée que leurs compositions et ne m’ont pas touchée du tout… Après, j’écoute pas énormément de musique donc je suis clairement pas la mieux placée pour faire un bilan assez complet !
9. Pour évoluer, il est important de savoir regarder de temps en temps dans le rétroviseur, mais il faut aussi savoir se concentrer sur l’avenir !
Est-ce que tu pourrais nous faire saliver un peu et nous parler de quelques grosses sorties prévues sur Transcendance pour cette nouvelle année ?
Vous aurez ENFIN le troisième Transcending Rites qui est prêt depuis si longtemps et qui est pour nous deux l’apothéose du groupe, transcendant as fuck ! Le deuxième album de Drache qui est honnêtement bien au-delà du premier, sur lequel j’ai encore participé au chant et que je suis hyper fière de sortir à nouveau. Et je bosse sur un nouveau Sphère que j’aimerais bien sortir avant la fin de l’année, voilà pour les grosses lignes ! Mais avant tout ça, une petite pépite crasseuse aux saveurs de légions noires qui va arriver très prochainement et dont je suis complètement tombée amoureuse !
10. D’ailleurs que peut-on te souhaiter pour la suite, 2023 comme les années à venir ?
Pour toutes les raisons suscitées, de pouvoir me consacrer uniquement au label, à la musique, et à l’artisanat autour, c’est-à-dire de continuer à avoir suffisamment de soutien de mes formidables auditeurs (et des nouveaux !) pour me permettre de vivre de ce qui m’éclate. Je dis ça en mesurant bien le poids de mes mots. J’ai conscience que c’est un privilège énorme que de pouvoir faire à son compte ce qu’on aime vraiment, créer, et être libre.
De trouver les balls de faire du live. Et puis de belles rencontres avec qui s’investir dans des projets stimulants, je suis terriblement seule et c’est pesant.
11. Cette interview touche à sa fin, et je te laisse le soin de l’achever à ta manière…
J’ai pas été rapide à répondre et j’en suis désolée. Mais je pense que mes réponses ne sont pas trop périmées, aussi je te remercie pour ton intérêt et pour ta patience. Et puis un merci sincère à tous ceux qui soutiennent les petites structures et les petits musiciens, au plaisir, j’ai encore plein de merde à tartiner sur des galettes !






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Chouette interview, merci !
Bien sentie, cette interview ! Une mise en lumière bien méritée pour cette artiste authentiquement talentueuse (ou talentueusement authentique, ça marche aussi), et ce label bourré de pépites (depuis que j’ai repéré le filon, je commande les yeux fermés). Touchons du bois pour que ça dure !
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