
Icare : Salut Bornyhake ! Avant tout, pourrais-tu présenter Borgne à ceux qui ne connaîtraient pas encore le groupe ?
Bornyhake : Borgne est à l'origine un projet solo de black metal industriel, mécanique et froid, formé en 1998 en Suisse. Actuellement, c'est un projet qui se produit également en live avec trois autres musiciens.
Icare : Borgne existe depuis maintenant plus de vingt-cinq ans durant lesquels la musique a beaucoup évolué, passant d’un true black cru et minimaliste à quelque chose de plus impalpable et spatial. Comment expliques-tu cette évolution ? Est-ce quelque chose de conscient et travaillé ou plus un processus naturel au cours des années ? De ton côté, ta vision de l’idéal black metal, musicalement comme conceptuellement, a-t’elle changé depuis toutes ces années ?
Bornyhake : J'ai évidemment grandi et évolué au fil des années. J'ai également élargi mes connaissances techniques, car j'enregistre et mixe moi-même mes albums. Je pense que le fait d'avoir progressivement cessé de me soucier des codes et de simplement faire la musique que je ressens au plus profond de moi a contribué à l'évolution de ma musique au fil du temps. Ma vision du black metal n'a pas vraiment changé, mais disons que j'ai arrêté de me limiter et de vouloir coller à un style strictement codifié comme celui du black metal. Je pense que les personnes qui découvrent aujourd'hui le monde du black metal ont une vision beaucoup plus large et avec bien plus de recul que ce que la scène était dans les années 90.
Icare : A ce propos, quelles sont les œuvres majeures qui t’ont incité à te mettre à la musique en général et au black metal en particulier, et comment les perçois-tu aujourd’hui avec le recul ? Ont-elles toujours une influence aussi importante que lors de tes premiers balbutiements musicaux ?
Bornyhake : J'ai toujours été attiré par la musique. Depuis tout petit, j'ai commencé à jouer du piano et, à ce moment-là, j'ai découvert la musique classique, que j'écoute toujours. Vers mes 10 ans, j'ai découvert des groupes comme Kiss, Queen, Nirvana, Led Zeppelin, rapidement suivis de Slayer, Cannibal Corpse, Mayhem, Emperor et Abigor. Ce sont des groupes et des albums que j'écoute encore aujourd'hui, mais j'écoute désormais beaucoup de choses très différentes. Je ne pense pas que ces groupes exercent une influence particulière sur ma manière de faire de la musique aujourd'hui, mais ils y ont bien sûr contribué dans le passé.

Icare : La musique de Borgne se caractérise par de longues pistes synthétiques et noires à la beauté glaciale qui évoquent la désolation d’univers lointains et hostiles. Sur Renaître de ses Fanges, plusieurs titres dépassent les 8 minutes, et je me rappelle de l’excellent A Voice in the Land of Stars et ses plus de 17 minutes sur Y. Quelles limites musicales te fixes-tu avec Borgne ? Pourrais-tu envisager un album d’une piste unique, à l’instar d’Abruptum, We All Die Laughing ou du dernier Darkspace par exemple ?
Bornyhake : Absolument ! Les albums de Borgne sont, depuis longtemps, composés en un seul bloc. Par la suite, je procède à des coupures pour en faire des morceaux, mais il faut toujours considérer les morceaux de Borgne comme des chapitres d'un album. Il est très difficile pour moi d'isoler un morceau, car les albums, à mes yeux, ne représentent qu'une seule et unique trame qui, en général, ne s'arrête pas avant la fin de l'album. Il faut voir cela comme un film ou un livre avec des chapitres.
Icare : L’atmosphère est très importante dans la musique de Borgne, qui tisse des univers angoissants lorgnant volontiers vers l’ambiant. Quel est le rôle de Lady Kaos dans l’élaboration des nouveaux titres et comment les claviers et autres samples viennent -il se greffer au cours de la musique durant le processus de composition ?
Bornyhake : Pour moi, l'atmosphère est très importante. Il y a en permanence des petits sons, des bruits, des sifflements, des fréquences qui viennent polluer mon esprit musical. Comme je compose de manière mentale, ces bruits font donc partie de la musique. Je ne suis pas le seul à faire ça, mais cela fait clairement partie de l'identité de Borgne. Même dans les passages les plus mélodiques de Borgne, il y a toujours quelque chose en arrière-plan qui vient casser cette beauté et créer une sensation négative. Lady Kaos ne participe pas à l'élaboration des parties ambiantes. Elle joue du clavier sur quelques morceaux une fois que le squelette est enregistré, sans trop d'indications de ma part, et cela fonctionne très bien.
Icare : Justement, quel univers essayes-tu de créer et quelles émotions souhaites-tu véhiculer à l’auditeur à travers Borgne ?
Bornyhake : Il faut bien comprendre que je ne cherche pas à créer un univers particulier à travers la musique de Borgne. C'est la pure expression de mes émotions traduites en musique. En résumé, il y aura donc tout ce que je ressens dans cette musique, tout ce qui doit sortir de ma tête ! L'inspiration surgit généralement dans ma tête sans que je cherche à composer quoi que ce soit, toujours dans des moments où la vie me semble bien compliquée, quand je me sens dans l'impasse, sans perspectives et vraiment perdu. Je supporte difficilement ce qui m'entoure et ressens une anxiété permanente. J'ai vécu toute ma vie avec une boule au ventre qui commence au réveil et ne disparaît que lorsque j’arrive à dormir. Je me sens en permanence en décalage avec tout, tout le temps. Je ne comprends pas bien les codes sociaux et je ne me sens que très rarement à ma place. Je pense que tout cela est le carburant pour Borgne. C'est ma perception de la vie qui provoque ces émotions et qui sont expulsées dans ma musique.

Icare : Maintenant, question plus pragmatique, comment décrirais-tu ce nouvel album pour donner envie à nos lecteurs de le découvrir ? D’après toi, en quoi Renaître de ses Fanges se distingue-t’il des autres opus de Borgne ?
Bornyhake : Je dirais que si tu es à la recherche d'une musique torturée, reflet de quelqu'un qui ne va pas bien dans sa tête, il faut essayer. Si tu connais déjà Borgne, cet album est la suite des précédents et marque une sorte de renaissance dans les cycles de Borgne.
Icare : Dans tes textes, on sent une vraie souffrance, une lutte continue contre tes démons intérieurs et les fantômes envahissants du passé. Faut-il y voir une mise en scène métaphorique et générale qui peut concerner tout un chacun, ou plus l’expression cathartique d’un parcours personnel chaotique ? Comment te sens-tu aujourd’hui ? La musique en général et l’art de Borgne en particulier ont-ils un effet thérapeutique en t’aidant à exorciser tes maux ?
Bornyhake : Comme je l'ai décrit juste au-dessus, Borgne est effectivement le reflet de ce que je ressens. Je ne suis pas du genre à me plaindre dans mon quotidien. J'ai appris à vivre avec ce qui m'entoure, mais à force de supporter le décalage entre mon intérieur et mon extérieur, j'explose et je suis rempli de tensions assez extrêmes. Mon parcours a été chaotique depuis mes premiers souvenirs, et la musique a toujours été mon équilibre, mon défouloir et ma guérison autant que ma destruction.
Icare : A ce propos, je voulais te féliciter pour ton chant, froid et haineux, mais très articulé, rendant justement les textes particulièrement audibles, ce qui est plutôt rare dans le style. Le fait d’avoir des paroles intelligibles est-il important pour toi ? Comment travailles-tu ton chant et comment vient-il se greffer sur la musique ? D’ailleurs, écris-tu les textes avant la musique ou viennent-ils après, nourris par l’écoute des pièces instrumentales déjà composées et de l’ambiance qui s’en dégage ?
Bornyhake : Je n'ai pas cherché à articuler plus que ça, mais je pense que la voix est mise en avant sans être bourrée d'effets, ce qui la rend très audible. Elle a une place importante, bien sûr, car elle met les mots et le contexte sur la musique. Pour Borgne, les textes sont généralement écrits juste après la musique. Je ne travaille pas du tout mon chant ; en général, j'enregistre en 'one shot' sans vraiment le travailler, comme le reste d'ailleurs. Je ne fais jamais de préproductions ou de démos avant un album, car j'ai une idée très claire de ce que l'album doit être.

Icare : Borgne est d’ores et déjà programmé à l’affiche du Rituel Noir début mai à Querrien ainsi qu’à L’Abyss Festival le 27 juin à Hauteville. Avez-vous d’autres dates de prévues ? A quoi ressemble un concert de Borgne, et comment parvenez-vous à retranscrire sur scène votre univers si froid et désespéré ?
Bornyhake : Nous n'avons que ces deux dates pour le moment, avec quelques plans en prévision plus tard dans l'année. Borgne en concert, c'est puissant, haineux et froid. Nous ne laissons pas trop de place aux passages mélodiques et ambiants. Nous mettons en avant ce que nous avons de plus intense en général. Il est naturel pour nous de retranscrire cela de cette manière.
Icare : Je te laisse conclure, merci pour ta disponibilité !
Bornyhake : Merci à toi pour cette interview. Salutations à ceux qui me connaissent !

Interview réalisée par Icare et mise en ligne par opeth59






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