Continuer à avancer dans l’ombre, savoir que l’on est géniteur de toute une identité mais jamais reconnu en tant que tel. Créer sans en posséder la reconnaissance. Etre légitime sans en avoir l’exposition.
Que de paradoxes, de malheurs et d’injustices dont ne se plaignent jamais les finlandais de
Waltari mais dont ils sont l’incompréhensible victime depuis leur début.
Plus de vingt ans de carrière, mené depuis le début par l’alien vocal aux cheveux roses Kärtsy Hatakka et le guitariste Jari Lehtinen, l’entité
Waltari n’est pas débutante mais n’a pourtant jamais connu la gloire que chaque nouvel opus aurait pu ou du lui apporter. Contre vents et marées, ils ont pourtant continué dans un univers fusion/pop/heavy/thrash impossible à étiqueter ni à enfermer dans une quelconque case, unique et déjanté mais incroyablement significatif et représentatif d’une identité à part entière.
Nous voilà six ans après l’incroyable "
Below Zero", qui succédait lui-même à un vertigineux "
Release Date", deux opus d’une modernité impressionnante sans jamais en utiliser les poncifs, les clichés ni les écarts, jouant la véritable musique du vingt-et-unième siècle sans pour autant manquer d’authenticité et encore moins d’idées novatrices. Toujours peu de concerts, une distribution difficile mais un arrêt remarqué (bien que très matinal) au Hellfest 2013 permis au public français de se prendre une claque attendue depuis trop longtemps. Et aujourd’hui "You Are", un intitulé simple, universel et direct qui clame haut et fort qu’ils sont toujours là, présents et qu’ils n’ont surtout pas changé.
Quatorze compositions, une production maison d’une puissance limpide et pure et une créativité débordante.
"12" ouvre le bal sur un riff heavy et direct, entre de multiples arrangements électroniques et surtout un jeu de batterie virevoltant faisant toute la différence. Kärtsy possède une voix définitivement unique et permet de reconnaitre le groupe dès les prémices sans erreur possible. Le solo déchire l’espace sonore dans une grande virtuosité néo-classique typique des finlandais et, en trois minutes, nous pose encore cette inévitable question : Mais pourquoi n’ont-ils jamais rencontré le succès que tant ne mérite pas ? Peut-être parce qu’ils n’ont jamais fait la moindre concession.
Et de concessions, il n’y en aura clairement aucune sur "You Are".
"Only the Truth" impressionne complètement par sa vision tribale et shamanique du groupe, des chœurs très étranges se joignant à des samples de trompettes avec des percussions évoquant un feu de camp éminemment guerrier. "Solutions" s’inscrit dans la droite lignée des opus précédents avec ses claviers modernes, les alternances de growl (si l’on peut appeler ça ainsi), de narrations mécaniques et du chant clair si particulier du vocaliste ainsi que les riffs globalement coincés entre heavy thrashisant, mélodies du nord ainsi qu’aspect fusion syncopé vraiment à part.
On ressent non seulement une totale maitrise du sujet mais aussi une envie de bouffer du lion, de se montrer, de frapper fort sans jamais trop en faire, en conservant un équilibre impressionnant dans ce dosage périlleux et impensable pour beaucoup.
"Strangled" d’ailleurs surprend dans son incroyable agressivité. Deux petites minutes presque bruitistes, annihilatrices où les lignes vocales ne sont que pure agression, dotées d’un riff assassin et quasi black accompagné d’un blast beat ininterrompu. Mais tout cela n’a rien d’un
Waltari qui se mettrait au black puisque l’ensemble reste très synthétique et avant-gardiste, dans le sillon d’un
Strapping Young Lad des débuts. Juste avant, nous avions même le droit à un "Right Wing Theme" délirant chanté en finlandais comme la chanson d’un cow-boy au coin du feu qui démontre les multiples couleurs de ce treizième opus studio.
Certains se démarquent complètement comme de véritables tubes en puissance, particulièrement le plus pop "Keep it Alive" qui s’ouvre sur des sonorités électroniques, se montre très accessible dans les couplets (où seuls la basse et les claviers interviennent) et déploie un refrain imparable qui, si l’occasion se présentait, semble taillé pour être repris par d’immenses foules. Il en va de même pour "Diggin the
Alien" qui se montre lui bien plus barré dans les vocaux (cette sensation d’être sous substances…) malgré une structure simple et traditionnelle, preuve que l’on peut sonner unique sans être foncièrement progressif. Et que dire du fabuleux "Singular", moderne et écrasant au possible dès son intro mais qui est capable sur les couplets de proposer des samples d’accordéon pour débouler ensuite sur un refrain stratosphérique et magique ne laissant jamais loin les gros riffs quasi neo et se permettant même de placer un troisième couplet rappé en laissant paraitre cela le plus logique et normal du monde, s’inscrivant dans une redoutable logique de composition et de créativité. On pense en ce sens à "Tranquality" qui utilise le chant rappé, les riffs syncopés et destructeurs autant que les samples et le chant mélodique sans un sens imparable de la mélodie et une logique bien à eux.
Oui, c’est clair et net, "You Are" est un grand album de
Waltari. Un de plus, dont l’accueil sera probablement excellent mais pour une frange très maigre de la population. Doit-on dire qu’ils sont parmi les premiers à avoir écrit une page du metal extrême symphonique avec "Yeah ! Yeah !
Die !
Die !" ? Rappeler que leur métissage est unique aujourd’hui où tout le monde dit que tout a déjà été dit et redit ?
Écoutez. Succombez. Découvrez. Vous n’en ressortirez surement pas indemne, si bien évidemment l’ouverture d’esprit nécessaire vous accompagne pour ingurgiter une telle étrangeté.
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