Il y a une telle avalanche d'albums qui sortent qu'on peut passer à côté de groupes réellement talentueux. Cela fait longtemps que j'entendais beaucoup de bien de
Haken, et je n'avais pas pris mon courage à deux mains pour me lancer dans leur musique. Concernant le prog, j'ai besoin d'avoir un certain espace libre à consacrer, du temps de cerveau disponible, comme dirait l'autre, pour bien l'assimiler. Des excuses, tout ça, me rétorquerez-vous ! Tenez, alors que je suis un fan de
Steven Wilson, je n'ai même pas encore écouté tous les albums de
Porcupine Tree. Sacrilège !!!
Bref, le groupe vient de sortir (enfin il y a quelques mois) son sixième album et j'ai réussi à éviter d'écouter la moindre seconde de leurs créations.
Il était temps de réparer cette lacune, et j'ai décidé de faire appel à ma technique d'écoute favorite, dite "du Petit Candide", copyright Jean Pierre Coffe. A savoir l'écoute d'une traite, dans un calme monacal, sans me renseigner sur le groupe d'aucune manière.
Je dois dire que pour du métal progressif d'une telle densité,
Haken réussit l'exploit d'être accessible, et étonnamment digeste. Ça fuse de partout, avec une virtuosité éclatante au service des compositions, sans esbroufe. Leur musique a beau être d'une richesse qui confinerait au Rococo, rien de superflu n'est à enlever.
C'est une explosion de riffs thrashisants ("
Prosthetic"), de passages aériens et oniriques (Le très long "Carousel" de près de dix minutes) , de breaks au millimètre, de soli limpides, qui poussent l'auditeur dans des montagnes russes jouissives.
Les influences sont très variées : on passe du techno thrash hérité de
Coroner et
Mekong Delta, à du métal plus moderne qu'on trouve chez
Tesseract, en passant par des harmonies vocales typiques de Yes. On trouve aussi tout un éventail mélodique d'une richesse luxuriante, dont la concentration de bonnes idées au mètre carré frise l'indécence
J'ai une pensée pour certains groupes dont je tairais le nom qui n'en ont tellement pas qu'ils sont obligés de copier consciencieuse ment sur leurs petits camarades... Alors que
Haken débite du riff en titane comme à la parade.
Mais le sextet sait aussi ménager des plages de repos, comme "The
Strain", le dépouillé et émouvant "
Canary Yellow", ou "Only Stars" qui conclut l'album, et à l'intérieur des morceaux (les passages planants et le solo de "Carousel"). Car l'auditeur aura à engloutir le plat de résistance de l'album. En effet, "
Messiah Complex I" est une pièce en 5 actes enchaînés, totalisant près de 17 minutes, qui n'est pas sans rappeler
Steven Wilson, en plus méchant et schizophrène.
La maîtrise instrumentale des membres de
Haken est confondante, toujours juste et utilisée fort à propos. La musicalité et l'efficacité sont les deux mamelles de l'opulente muse ogresse qui nous régale sans répit. Si on trouve de longues parties instrumentales, le chant fait la part belle à la mélodie et à l'émotion, avec un chanteur dont le timbre ressemble à un Daniel Tompkins avec de accents de Yes.
Pas de growl ici, juste du chant clair et quelques hurlements dosant la saturation des codes vocales, avec maîtrise.
Une fois cette écoute au débotté effectuée, j'ai pu me renseigner sur le groupe. Cette chronique est illisible, mal fagotée à l'envers, je le concède, mais soyons savants fous. Difficile donc de résumer la carrière des Britanniques, depuis les bœufs entre trois ados, Ross Henshall, Matthew
Marshall, et le chanteur Ross Jennings, qui ont eu ensuite l'idée de former un groupe et de le nommer
Haken. Rien que leur démo "
Enter the 5th Dimension", totalisant 58 minutes et des compositions déjà chiadées, les avait déjà sortis de la masse et leur valut une signature chez Sensory Records.
Lorsqu'il a fallu gravir leur discographie, j'ai moins fait le malin. Leurs albums studio sont autant de monuments à la gloire de la créativité débridée et du perfectionnisme. Chacun de leurs disques est d'une densité et d'une richesse à peine humaine, à l'image de leur premier LP "
Aquarius" qui dévoile des Tim Burton surdoués du prog, avec une approche cinématographique (Les BO de Danny Elfman ne sont pas loin) , et une versatilité pouvant faire penser à Queen, ou encore
Mr Bungle dans certains moments. L'autre influence majeure du groupe était le
Dream Theater cristallin de "Memories…", en version méchante, et cela s'est accentué avec les années, alors que le coté "fou fou" s'est amenuisé au profit d'une sophistication clinquante. Le combo avait encore ébloui avec "
Vector", avec un metal progressif résolument futuriste, qui donne une idée de la musique que pourrait composer un
Terminator mélomane.
Il se trouve que
Haken n'avait pas exploité tout le contenu des sessions de ce dernier, qui devait être un double album, à l'origine. Une fois "
Vector" sorti, le combo s'est donc penché sur le matériel restant, à cheval sur la tournée qui a suivi, a mis en forme et enregistré la deuxième partie de son projet, "
Virus". Ceci explique donc les pochettes au principe similaire, l'une rouge sanglant, l'autre jaune citron, qui semblent se répondre.
En réécoutant "
Virus" après avoir survolé la discographie du groupe et son pendant "
Vector", bizarrement j'ai trouvé l'album à la pochette canari de facture assez… classique, en comparaison. Si la complexité et la technicité sont toujours à un niveau d'excellence écoeurant, les compositions sont plus posées. D'un autre coté, le groupe s'autorise à thrasher à brûle-pourpoint, voire à blaster franchement, pour aplatir l'auditeur tout esbaudi par les enluminures mélodiques, avant de repartir derechef sur des fanfreluches technoïdes. Cela explique aussi l'aspect un peu fourre-tout que j'ai trouvé à cet album, et surtout aux cinq parties de "
Messiah Complex :…", qui surprennent sans cesse, mais manquent un peu de fil conducteur. Aussi, le coté futuriste qui teintait tout l'album "
Vector" est ici moins présent, mis par petites touches dans certains passages (le début carrément alien de "
Messiah Complex IV : The Sect"). Puisqu'on parle de duos d'albums, le dernier "Phanerozoïc II"
The Ocean avait réussi l'exploit d'être encore meilleur que "Phanerozoïc I", et j'ai l'impression que
Haken a vraiment tiré ses meilleures cartouches sur "
Vector". Il n'en reste pas moins que sur son nouvel opus,
Haken n'a rien perdu de son talent, il l'a juste dispensé ici de manière moins superlative…
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