On le sait, dans le monde du pagan/black/viking/folklorique (cochez la ou les mention(s) inutile(s)), il est de bon ton de se fendre d’un album entièrement acoustique après quelques opus plus belliqueux afin de bien mettre en avant son appartenance à la mouvance païenne et de revendiquer haut et fort son amour inconsidéré pour Mère Nature ainsi que son attachement viscéral pour le folklore national.
Ainsi, après les pointures que sont
Ulver,
Borknagar ou
Finntroll, c’est au tour de Manegarm de se plier à l’exercice et de sortir en 2006 le sobrement intitulé Urminnes Havd - the
Forest Sessions, une pièce plus intimiste et paisible dans leur discographie saturée, et fleurant bon l’humus des sous-bois et la blancheur immaculée des fjords scandinaves. Ici donc, pas de chant black, de guitares électriques hurlantes, de batterie martiale, nos amis suédois expriment leurs complaintes sur des instruments traditionnels uniquement pour un résultat détonant singulièrement de leurs prestations habituelles: guitares acoustiques, percussions à la résonnance tribale, guimbarde, violon, et quelques samples de nature (chants d’oiseaux et bruits du vent) pour venir agrémenter le tout d’une petite touche sylvestre appréciable bien que pas franchement originale.
Si a priori, certains sceptiques pourraient critiquer la légitimité d’une telle démarche (opportunisme commercial surfant sur une vague pagan folk en plein essor - qui a parlé d’
Eluveitie? - ou expression artistique sincère d’une véritable ferveur pour les racines culturelles et musicales du groupe?), l’écoute de cet EP fera vite taire les mauvaises langues tant la magie qui anime les 7 titres de cette galette est palpable et envoûtante.
En effet dès l‘intro, on est enveloppé dans un monde brumeux et onirique dans lequel on se perd avec délices. Les yeux fermés, on se laisse guider par la douceur acoustique qui égraine des mélodies enivrantes et racées, bien loin des mélopées pseudo-païennes gentillettes aux arpèges surannés et aux claviers Bontempi de rigueur délivrées en guise d’interludes par certains combos sur des albums qui n’ont de folklorique que l’étiquette et quelques passages convenus à la flûte pour adoucir les contours rugueux de leur black metal. La musique de Manegarm nous fait voyager et vibrer, sa simplicité et sa beauté chuchotent directement à notre âme et réveillent l’amoureux de la Nature qui sommeillait au plus profond de notre être, enfoui sous l’épaisse couche de modernisme cynique et insensible de l’homme civilisé.
Au fur et à mesure que ces 7 plages défilent, on a qu’une envie, se débarrasser au plus vite de ces symboles futiles qui nous raccrochent à une civilisation pervertie, envoyer valser toutes ces conventions sociales à la morale étriquée et hypocrite, se laisse mener par ces voix sauvages et fières et suivre le cri trop longtemps réprimé de son instinct animal pour se libérer enfin de ces chaînes qui nous entravent à une existence sans saveur, sans but et sans passion. Arrachez vos vêtements, brûlez vos biens matériels, effacez vos signes distinctifs de richesse et de réussite sociale et venez vous joindre à l’insouciante danse des faunes en un immense feu de joie païen, ou asseyez-vous silencieusement au pied d’un chêne séculaire pour vous enivrer du chant résigné d’une terre meurtrie et souillée par la main impure de l‘Homme! Les images surgissent, des tableaux naturalistes se peignent devant notre esprit balloté, tour à tour chaudes, colorées, heureuses et froides, inéluctables, mélancoliques, selon le propos des Suédois.
Car Manegarm, toujours avec une justesse touchante, excelle dans les différentes facettes de l’exercice, insufflant à certaines compositions une énergie communicative et festive réellement irrésistible et grisante et nous plongeant l‘instant d‘après dans un état hébété de douce amertume et de délicieux vague à l’âme. Ainsi, au rythme de percussions tribales et entraînantes, d’accords de guitare énergiques, d’une guimbarde malicieuse et d’un violon enjoué, Himmelsfursten et Utfärd vous entraîneront dans une danse insouciante et endiablée, tandis que les pistes plus calmes et contemplatives, appuyées par les sanglots du violon et la pureté naïve de ces voix sauvages, vous bouleverseront par la beauté simple et fatale de superbes mélopées à en tirer des larmes (le magnifique final Vaggvisa). Et le titre central, Älvatrans, est une superbe synthèse entre les deux visages opposés de la musique folklorique de Manegarm, débutant sur des arpèges lancinants à la mélancolie profonde, poursuivant sur une ambiance mystique et sombre avec cette sorte d’incantation païenne portée par des choeurs féminins mystérieux, quelques notes de guitare ainsi que le souffle du vent, et s’emballant furieusement à la moitié du titre en un folk dansant et sauvage. Les voix sont superbes, sans aucune fausse note, la masculine, assez grave, au timbre agréable et puissant et capable de monter et d’emprunter des chemins plus rugueux (Döden), contrebalance la féminine, cristalline et fragile, qui semble toujours sur le point de rupture. Elles se mélangent parfaitement entre elles et s’accordent merveilleusement au tout, toujours vraies et habitées, alternant passages énergiques ou plus poignants et distillant leurs paroles en suédois avec une grande conviction. Bref, vous l’aurez certainement compris, la musique est sincère et profonde, et une réelle magie se dégage des ces compositions au premier abord assez simples mais au paganisme réellement envoûtant.
Finalement, le seul reproche que l’on peut faire à ce disque (parce qu’il en faut bien un!), c’est sa durée trop courte: 27 petites minutes, vue la qualité des compos, on aurait aimé que les Suédois transforment leur EP en véritable album et rallongent un peu le plaisir, surtout après ce Vaggvisa de clôture d’une beauté bouleversante qui ne nous donne aucunement envie de retourner dans les vicissitudes du monde moderne et nous laisse flottant dans les brumes du passé, à rêver à un Age d’Or oublié et à jamais perdu…
Une réussite totale, donc, capable de toucher n’importe quel amateur de musique acoustique et spirituelle et qui prouve si besoin était que la culture metal ne se limite pas uniquement à la bière, aux vestes en cuir cloutées, à
Satan et au headbang…
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