Loin de chercher à précipiter les événements, le combo canarien créé par le claviériste/vocaliste Jorge Alfonso (ex-Scrotex, ex-Dystopian Wrath) voilà déjà 18 ans a préféré prendre le temps d'affûter ses armes techniques et esthétiques, et d'affiner le trait de sa plume. Aussi, ne nous octroie-t-il guère plus d'un album full length tous les trois ans, mais recelant chacun une production d'ensemble de bonne facture et à l'inspiration féconde. A un énigmatique et sombre « When Everything Turns Black », sorti en 2017, lui succède un cinquième opus de même acabit dénommé « This Place I Don't Belong » ; auto-production où s'égrainent 10 pistes sur un ruban auditif de 53 minutes. A l'aune de cette nouvelle livraison, nos acolytes auraient-ils les cartes en main pour espérer s'imposer parmi les valeurs de référence du metal symphonique gothique à chant féminin ?
Dans ce dessein, une refonte du line-up s'est opérée. Auprès de Jorge s'illustrent désormais : Sonia Hernandez, soprano au cristallin grain de voix ; Ancor Arnador (
The Void, ex-The
Hole), en remplacement de Fabrizio Ferraro, à la guitare ; James Chapman (
Collapse, Memories Of
Old, ex-
Gravil) à la batterie et, en remplacement de Nicolas Navas (
The Void), à la basse. De cette fraîche mais étroite collaboration naît une œuvre metal symphonique gothique, un brin dark, à la fois énigmatique, délicate, romantique, à nouveau calée sur le schéma oratoire de la Belle et la Bête, et où se mêlent les influences de
The Gathering (première période),
Forever Slave,
Darkwell,
Draconian et
Tristania. Mastérisé et mixé à Canterbury (Royaume-Uni) par James Chapman, à l'instar de son aîné, l'opus jouit d'une péréquation de l'espace sonore entre lignes de chant et instrumentation et des finitions passées au peigne fin.
C'est à l'aune de ses passages les plus enjoués que la troupe marque ses premiers points. Ainsi, l'entraînant et ''tristanien'' mid tempo « The Scions'
Blood » déverse ses couplets finement ciselés relayés chacun d'un refrain immersif à souhait, enjolivé par les fluides inflexions de la soprano. On regrettera cependant la présence d'un pont techniciste aux sonorités brumeuses en fin de parcours, qui ne s'imposait pas. Dans cette mouvance, on retiendra l'engageant « My
Beloved Shrouds » qui, dans l'ombre de
Darkwell, égraine ses riffs crochetés parallèlement à une ligne mélodique toute de nuances vêtue.
Quand il nous plonge en de ténébreuses contrées, le collectif interpelle autant qu'il se plaît à nous désarçonner, pour mieux nous retenir, in fine. Ce qu'illustrent le lugubre et ''draconien'' mid/up tempo « The Last Glimpse of
Solitude » tout comme le gorgonesque et chaotique «
Animus », nous inondant tous deux de leur climat oppressant et où se déversent leurs riffs acérés. Dans ces champs de turbulences, les serpes oratoires du growler se font des plus angoissantes, contrastant avec les cristallines patines de la sirène. Un poil plus échevelant et complexe mais à l'ambiance non moins noirâtre, « Mother's
Will » dissémine ses riffs en tirs en rafale adossés à une sanguine rythmique, jouant également sur les effets de contraste vocaux et atmosphériques pour tenter de l'emporter. Et la sauce prend, une fois encore.
A l'instar de son prédécesseur, lorsqu'il nous octroie ses pièces en actes d'inspiration dark symphonique gothique, le combo détient quelques clés pour nous retenir. Ainsi, à la fois langoureuse, mystérieuse et obscure, la fresque «
Dark Embers of
Pain » déroule ses 7:10 minutes d'un spectacle aussi glaçant qu'enivrant. Doté d'une belle gradation du corps orchestral, de délicats arpèges au piano et d'un duo mixte en voix de contraste bien habité, les envolées lyriques de la belle répondant point pour point aux attaques de son acolyte de growler, le plantureux méfait concède toutefois de tenaces linéarités mélodiques. Evoluant dans une atmosphère plus légère, doté d'un tapping effilé et recelant une lente mais réelle montée en puissance du convoi instrumental, le ''tristanien'' mid tempo progressif « Throes of
Eternal Hate » aspirera le tympan du chaland sans avoir à forcer le trait.
Quand il ralentit le rythme de ses frappes, s'il ne peut prétendre emporter la totalité de l'adhésion, le quartet réservera quelque moments d'apaisement plutôt agréables à défaut de s'avérer mémorables. Ce qu'atteste, tout d'abord, « This Place I Don't Belong », lancinant low tempo doom gothique dans le sillage de
Forever Slave, doté de riffs crayeux, de délicats clapotis pianistiques, et mis en exergue par les limpides volutes de la déesse et une empreinte masculine tantôt claire, tantôt caverneuse. Moins éthéré et pourvu d'une sente mélodique des plus enivrantes, « Another Fairytale », pour sa part, laisse convoler un duo mixte en voix claires en parfaite osmose. Enfin, pour les férus d'instants de profonde zénitude, l'instrumental a-rythmique « A Vague Sense of Loneliness » laisse entrevoir un enveloppant slide à la guitare acoustique doublé de fringantes gammes au maître instrument à touches. Aussi inattendu qu'opportunément positionné dans la tracklist, cet espace musical pétri d'élégance ne se quittera qu'à regrets.
Au final, ce nouvel arrivage se fait tantôt troublant, tantôt frissonnant, et parfois déconcerte, sans véritablement surprendre, dans la mesure où il serait dans la stricte continuité atmosphérique de son prédécesseur, nos quatre gladiateurs ayant à nouveau judicieusement combiné une coloration dark à un metal symphonique gothique classique. Ce message musical s'avère, lui aussi, riche en harmoniques, varié sur le plan rythmique, atmosphérique et vocal, techniquement éprouvé et révélant d'insoupçonnées subtilités mélodiques, mais ne se domptant qu'au fil d'écoutes circonstanciées. Dotée d'une ingénierie du son plutôt soignée mais ne concédant que peu de prises de risques, l'opulente rondelle permet au groupe de renforcer sa position parmi les valeurs confirmées, à défaut de lui autoriser l'accès au statut de référence de ce registre metal. Suite au prochain épisode, donc, en espérant ne pas avoir à patienter trois autres longues années...
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