Qui, dans son enfance, n'a jamais fait de cauchemar après un film d'horreur ou des histoires un peu tordues ? Qui ne s'est jamais recroquevillé dans son lit, sous la couette, en pensant échapper aux vampires, loups-garous et autres créatures nocturnes aussi terrifiantes que légendaires ? Personne, je présume, et c'est bien normal. Quand nous étions petits, nous avions une imagination débordante, et nous étions surtout crédules, au point de prendre toute histoire surnaturelle angoissante au premier degré. Toutefois, il nous incombe de voir que l'enfance n'est pas le refuge absolu du cauchemar. Ce dernier peut tout aussi bien s'immiscer dans l'esprit des adultes pour se nourrir de leurs peurs les plus enfouies, de leurs craintes les plus atroces. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que
Luna Ad Noctum n'oeuvre pas pour apaiser les esprits tourmentés par la nuit...
Après un "Dimness' Profound" haineux et inquiétant, puis un "Sempiternal
Consecration" agressif et cru,
Luna Ad Noctum est de retour en 2006 avec un nouvel opus : "Theme III -
The Perfect Evil in Mortal". Ce dernier - disponible dans le monde entier grâce à
Metal Mind Productions - est en quelque sorte l'album de la synthèse pour le quatuor polonais qui, cette fois-ci, n'a pas bougé d'un iota du point de vue du line-up. Je parle bien de synthèse parce qu'il est manifeste que le groupe a tenu compte de ses expérimentations passées, réalisées à travers les deux albums précédents, dans le but de trouver une sorte de compris qui se rapproche le plus de l'optimalité ; si vous me permettez l'expression... C'est un fait, "Dimness' Profound", malgré son tempérament de feu, est un album à l'accent atmosphérico-symphonique prononcé grâce à l'intervention fréquente et judicieuse du clavier ; tandis que "Sempiternal
Consecration" est beaucoup moins subtil dans sa démarche, plus direct en somme, malgré la recrudescence de technicité. "
The Perfect Evil in Mortal", lui, est un entre-deux. Les morceaux ne sont globalement pas tendres et s'arc-boutent sur une technique instrumentale rigoureuse, c'est vrai. Cependant, le clavier a repris du galon avec ce troisième album des Polonais, et les atmosphères reviennent. Bonne initiative.
Comme souvent, et aussi incroyable que cela puisse paraître, la pochette peut nous aider à tirer de telles conclusions avant même d'avoir inséré le disque dans le lecteur. Sur la pochette de "
The Perfect Evil in Mortal", nous apercevons effectivement une forme humaine au centre, visiblement en pleine tranformation, si ce n'est en décomposition, sous l'influence évidente du mal. Déjà là, nous sommes dans une compilation entre les pochettes de "Dimness' Profound" et "Sempiternal
Consecration". Rappelez-vous... La pochette de "Dimness' Profound" mettait en scène une rencontre entre des êtres humains et un fantôme diabolique, alors que celle de "Sempiternal
Consecration" glorifiait complètement
Satan, sans autre présence réelle que celle d'esprits errants. La pochette de "
The Perfect Evil in Mortal" représente bien la fusion de tout cela : la fusion entre l'homme, le diable, et les fantômes rôdeurs. À noter que la présence du diable est non seulement visible dans le coin supérieur gauche de la pochette (on reconnaît le même visage présent sur le dessin de "Sempiternal
Consecration"), mais aussi à travers les mains crochues de l'homme corrompu par les forces obscures. Evidemment, certains éléments visuels sont incompressibles chez le groupe, ce qui permet aisément de faire la liaison avec les productions antérieures. La pochette ici présente nous le confirme une fois de plus en mettant en valeur l'astre lunaire ainsi que l'obscurité propre à la nuit.
Lire les paroles peut s'avérer également instructif a priori car le groupe est encore, si je ne m'abuse, dans une sorte d'entre-deux. En fait, avec "
The Perfect Evil in Mortal", il ne s'agit ni de se focaliser majoritairement sur l'aura lunaire ou l'étreinte de l'obscurité comme c'était le cas dans "Dimness' Profound", ni d'évoquer le pêché, le sexe et la souffrance à tout bout de champ comme dans "Sempiternal
Consecration". Ici, tout semble plus ou moins synthétisé. Encore que... Eh oui, force est malgré tout de constater que le groupe a un attrait particulier pour le sexe dans la composition de ses textes car, encore un fois, on retrouve cette thématique dans la plupart des morceaux. Bien entendu, quand celle-ci est évoquée, ce n'est pas dans le plus grand raffinement... Les Polonais ont pris soin de ne pas prendre de gants à ce niveau-là et il en résulte des paroles assez crues, à l'image de celles de "Sempiternal
Consecration" ; paroles dont l'ambition est certainement de heurter la sensibilité du public et de l'interpeller sur le côté pervers du mal. Mention spéciale aux textes de "
The Perfect Evil in Mortal" et "Dimness In Me" qui auraient probablement fait de très bon synopsis pour des films pornographiques cradingues. Je vous laisse le soin d'y jeter un oeil, si le coeur vous en dit...
Petite anecdote, avant de passer à autre chose : les paroles du morceau clôturant cet album - "Loneliness
Ruined My
Life" - ont été intégralement rédigées en polonais, ce qui est assez nouveau pour le groupe. C'est une habitude de trouver quelques bribes de cette langue dans les textes de
Luna Ad Noctum (cf. "
Mental Spirit And Flesh" dans "Dimness' Profound", "
Six Common Salvations" dans "Sempiternal
Consecration", "Dimness In Me" dans "
The Perfect Evil in Mortal"), malgré la prédominance de l'anglais. Mais l'omniprésence du polonais dans "Loneliness
Ruined My
Life" est une première, et montre qu'un petit pas a été franchi. Allez savoir, l'album suivant - si toutefois il voit le jour - sera peut-être exclusivement en polonais...
Revenons à la musique. D'après ce que je disais plus haut, "
The Perfect Evil in Mortal" est musicalement une sorte de synthèse de ce que
Luna Ad Noctum a proposé en 2002 puis en 2004. Naturellement, nous avons donc affaire à un Black Atmosphérico-Symphonique de qualité, particulièrement rentre-dedans, fortement technique, mais aussi très subtil ; tout ça servi par une production impeccable. Comme à leur habitude, les Polonais ont pris la peine d'introduire leur méfait avec un instrumental aérien, pour ne pas dire fantomatique, aussi angoissant que galvanisant : "Phantoms Ov Wrath" (orthographié à la
Behemoth, notons-le...). Il va de soi qu'une telle démarche est idéale pour vous achever d'emblée puisque
Luna Ad Noctum nous a encore une fois concocté un morceau détonant après cette entrée en matière courte et plutôt paisible. N'ayons pas peur des mots, ce morceau - "
The Perfect Evil in Mortal" - est sans doute le plus brutal que le groupe ait composé depuis le début de sa carrière, rivalisant sans problème avec l'impitoyable "
Traitor Of
Sadness &
Grief" et le redoutable "Inner
Predator". Le vrai talent du groupe ici, c'est de mêler la puissance technique du
Death/Black
Brutal - quelque part entre un "
Antithesis" d'
Origin et un "
Hellfire" de
1349 pour certains passages - à des atmosphères et des touches symphoniques extrêmement bien placées. C'est donc bien d'une tornade symphonique, au sens large du terme, dont il s'agit.
À noter que le reste de l'album n'est pas non plus dénué de "violence subtile". Le quota de brutalité n'a donc pas été complètement atteint lors de ce premier "vrai" morceau, si je puis dire... "Humana Androide", par exemple, mobilise une technique instrumentale impressionnante, mais n'en demeure pas moins une bombe émotionnelle. Le clavier y est utilisé à bon escient, à tel point qu'il donne une profondeur incroyable à l'ensemble, surtout lors du riff final où l'on a presque l'impression d'entrer en Enfer. En effet, à la fin du morceau, le clavier monte petit à petit en intensité et offre ce qu'il a de plus "fantomatique", donnant ainsi l'illusion que des âmes damnées viennent pour nous amener dans leur antre en nous arrachant à la vie. Ceci est d'autant plus facile à ressentir que les autres instruments nous oppriment par leur puissance dévastatrice sans concession, et que cette expérience nous est en réalité familière ; tellement familière d'ailleurs qu'elle remonte à la création du Black Symphonique par
Emperor avec "In The
Nightside Eclipse". Souvenez-vous du final mystique - et mythique - de l'intemporel "Inno A Satana" et vous verrez où je veux en venir... Par ailleurs, que dire de "Deviante Obscurante", à part que c'est encore un véritable ouragan symphonique ?
Pas grand-chose, à vrai dire... Pourquoi ? Eh bien, non seulement parce qu'il ne fait pas de cadeau, mais aussi parce qu'il a un vrai relief, toujours grâce à ce clavier qui fait des merveilles avec des interventions pourtant assez minimalistes. Comme quoi, le "feeling" est souvent déterminant(e) dans la pratique d'un instrument, et ce ne sont pas les claviéristes qui diront le contraire dans le cas présent...
Toutefois, et il est important de le préciser, l'album ne tourne pas en rond. Ici,
Luna Ad Noctum n'est pas tombé dans le piège de l'offensive intégrale, toujours lassante au bout d'un moment. Voilà pourquoi on trouve aussi dans "
The Perfect Evil in Mortal" des morceaux relativement plus posés, mais aussi relativement plus symphoniques, histoire de reprendre un peu son souffle après la tempête. Mes premières pensées vont à "Loneliness
Ruined My
Life", morceau quelque peu énergique mais d'une sensibilité exemplaire, où le désespoir est véhiculé sans équivoque. Parlons également de "Dimness In Me" qui, malgré ses quelques divagations brutales, est un morceau à moitié orchestral que l'on croirait sorti tout droit de "
Damnation And A Day" de
Cradle Of Filth. N'oublions pas "Deceptive
Fatality", aussi atmosphérique et symphonique que saccadé rythmiquement... Évoquons enfin "Devilrising
Impact", morceau tout à fait accrocheur avec ses interludes gavés d'émotion et ses vocaux parfois distordus nous rappellant immédiatement la voix de Shagrath, frontman de l'incontournable formation norvégienne de Black Symphonique :
Dimmu Borgir.
Pour ce qui est de "Diablex
Virus", je préfère le mettre à part dans la mesure où je ne peux me résigner à le ranger d'un côté ou de l'autre. Ce morceau est peut-être à ce titre le symbole de l'aspect assez consensuel de cet opus, comme je l'expliquais tout à l'heure... Atmosphère, interlude symphonique, riffs à la fois techniques, ravageurs et mélodiques... Tout est là. Il y a même un riff instaurant une ambiance épique à la fin du morceau, c'est dire...
S'il faut retenir au moins une chose de cette chronique, c'est donc que "
The Perfect Evil in Mortal" est un album de Black Symphonique équilibré et de grande qualité. À travers cet opus,
Luna Ad Noctum confirme un peu plus son talent et s'impose définitivement comme l'une des références incontournables en matière de ce que l'on pourrait appeler la "brutalité théâtralisée". Étonnant, donc, que ces musiciens soient si peu reconnus. Mais après tout, évoluer dans l'ombre ne doit pas les gêner outre mesure car, rappelez-vous, la lune est là pour les éclairer et guider leurs pas...
Donc je ne peux pas passer à coté ! :D
Je n'ai pas d'album d'eux (oui je sais, honte à moi) mais j'ai déjà entendu pas mal de titres d'eux et j'apprécie vraiment leur musique, ce groupe mériterait vraiment d'être plus connu.
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