L’ultime chapitre de l’histoire de
Goatlord. Le chapitre posthume de l’un des plus extrêmes pionniers du doom/death.
Passé 1991 et le difficile cap du premier album accompagné de son lot de galères, le quatuor de Las Vegas semble repartir sur des bases solides : "
Reflections of the
Solstice" est bien accueilli, le groupe tourne et dispose d'un nouveau préposé au micro en la personne de Chris Gans, intégré au sein d’une structure stabilisée sur le trio Frankulin / Schwob / Nardone.
Goatlord a semble-t-il toutes les cartes en main pour enchaîner avec un deuxième album.
Mais au cours des répétitions qui suivent, le spectre du split se dessine à nouveau. Il s'était déjà fait menaçant quand le vocaliste
Ace Still – fondateur de
Goatlord – était encore en poste ; cette fois-ci, il frappe un grand coup et le groupe ne s’en remettra pas. Les éternelles divergences musicales refont surface, alliées à l'épuisement physique et mental occasionné par les tournées et l’usage de substances bouffe-cervelles qui va avec ; mauvais cocktail.
Goatlord s’éteint peu à peu, les musiciens laissant le temple s’effondrer et disparaître de sa belle mort, courant 1992.
Jusqu'à ce que, douze ans plus tard, le gratteux Joe Frankulin remette la main sur les bandes de l'époque et décide, avec l'aide de son grand pote Don of the
Dead (
Nunslaughter), de les dépoussiérer.
Ainsi, deux titres sortent sur le split "
Foreshadow /
Reaper of Man" de 2004, avec
Nunslaughter justement. Deux morceaux certes connus (Voodoo
Mass,
Sacrifice), mais qui apparaissent dans leur version rehearsal. Une sorte de petit apéro qui montre que
Goatlord a encore pas mal de stuffs dans les cartons.
Quant au festin, il faut attendre 2007 avant qu'il ne soit servi. Et quel festin, avec non moins que les démos qui devaient servir de base au deuxième album de
Goatlord ! Soit un paquet d'inédits, ressortis 15 ans après qu'ils aient été remisés ! Et c'est
Nuclear War Now!, spécialiste ès déterrage de reliques du metal extrême, qui se colle à leur réédition officielle, sous la forme d'une compilation au titre plus fleur bleue tu crèves : "The Last Sodomy of Mary" … (elle avait cru y échapper, la garce) …
Dans cet ultime barreau, pardon … baroud d'honneur, la direction qu'aurait virtuellement pu avoir ce fameux second album apparaît de manière précise, au travers des sept morceaux inédits.
Exit l'habillage d'effets studio et le drum-kit triggé qui conféraient à "
Reflections of the
Solstice" une résonance surnaturelle – ou artificielle, question de perception. Le rendu est brut de décoffrage et en ce sens, ces inédits peuvent se rapprocher du son crapoteux et de la spontanéité de la démo "Sodomize the Goat". Sauf qu'un élément essentiel les distingue par ailleurs : les influences doom en net recul, voire quasi-absentes. Tout au plus parvient-on à en retrouver quelques traces dans certaines séquences de "Black Pools of
Darkness" et "Stygian
Void", deux titres parmi les trois fermant la compilation et correspondant à des maquettes totalement instrumentales, donc loin d'être finalisées.
Ace Still était le principal garant de la facette doom de
Goatlord. Son départ définitif après la phase d'enregistrement du chant sur "
Reflections of the
Solstice" a scellé la mainmise de Frankulin sur les compos. Son approche nettement plus directe se devinait déjà en filigrane sur "
Reflections of the
Solstice", elle apparaît évidente sur "The Last Sodomy of Mary". Sans fioriture superflue ni détour compliqué, chaque piste sent l'urgence d'un coup de trique. Ici, on empale direct les vierges sacrifiées plutôt que de leur tourner autour.
L'influence de
Hellhammer /
Celtic Frost est plus prédominante que jamais. Niveau riffing, ça tourne rond et ça culbute sévère. Sans compter les offensives thrash sulfureuses à la Sodom (on croirait "Tribe of the
Moon" carrément extirpé des entrailles de "In the
Sign of
Evil") et les pulsions bestiales traversant le redoutable "Strange
Burial", relents black du "
INRI" de Sarcofago.
La dévotion de Frankulin envers ses éminentes références ferait presque passer
Goatlord pour un vulgaire tribute-band si ses compos n'étaient pas d'une efficacité diabolique, en particulier sur les quatre ouvrant la compilation et correspondant aux démos les plus avancées.
Outre le fait qu'elles décochent les enchaînements de riffs les plus percutants, elles disposent aussi des parties vocales de Chris Gans. Sinistre et rauque, limite étouffé, son timbre de voix offre une autre vision de la cruauté et de l'effroi par rapport à son halluciné prédécesseur
Ace Still.
Si l'évolution musicale de
Goatlord est flagrante, leurs thèmes de prédilection n'ont en revanche pas changé, à en juger par les intitulés des pistes (les paroles s’étant perdues dans on ne sait quelle dimension ténébreuse pour ne jamais revenir). Les rituels occultes sont à l'œuvre pour lâcher sur terre les démons les plus pervers, crevant de s'enfiler du cul-béni à tout va.
Enfin, deux prises live complètent le décor. Elles avaient été diffusées à l'aube de la carrière des las vegans sur des radios metal locales. L'une (
Unholy Black Slut) date de l'époque de la première "Demo '87", l'autre (
Sacrifice) provient de plus loin encore, 1985 ou 1986. La première reste très proche de la version immortalisée sur démo, mais c'est la seconde qui s'avère particulièrement intéressante.
Déjà, avec le speech d'intro du speaker, on apprend qu'à leurs tout débuts,
Goatlord s'appelait en fait The Slayed
Necros (énorme clin d'œil à
Hellhammer, au passage).
Et surtout, cette version de "
Sacrifice" est complètement méconnaissable par rapport à ses futures moutures. Mieux, elle montre de manière surprenante que, sous son incarnation The Slayed
Necros,
Goatlord pratiquait une forme de black metal minimaliste que l'on pourrait qualifier de visionnaire. Le son grésillant et les vocaux arrachés préfigurent un certain
Darkthrone, tandis que l'atmosphère ritualiste sonne comme un
Von avant l'heure.
Bien entendu, il faut relativiser cette révélation, car l'enregistrement en question ne peut en aucun cas être qualifié de précurseur. A ma connaissance, jamais
Von ni
Darkthrone n'ont cité
Goatlord en tant qu'influence. D'autant qu'entre 1985 et 1988 (avant "Sodomize the Goat"), le rayonnement de
Goatlord est strictement resté cantonné à la cité de Las Vegas. Et bien que voisine, il est très peu probable que la cité de San Francisco (d'où est originaire
Von) ait entendu parler de ce live.
Malgré tout, ce fossile nommé "
Sacrifice" est révélateur d'un renouveau latent du black metal, dès le milieu des années 80.
Sous ses airs de compilation fourre-tout destinée aux fanatiques, "The Last Sodomy of Mary" possède suffisamment de qualités pour interpeller plus largement les adeptes de metal extrême autant que les férus archéologues.
Même si elles n'ont pas été finalisées, ces rehearsals farcies de riffs killer ont au moins subi l'exhumation qu'elles méritaient et font d'autant plus regretter que le groupe ait prématurément succombé à ses propres démons.
Une épitaphe digne du statut culte de
Goatlord.
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