Dans l'histoire du metal, les années 80 coïncident avec la naissance des courants extrêmes. Dépasser, exploser, pulvériser toutes les limites établies… Du thrash au black en passant par le death, l'élan démoniaque ne connaît plus aucune borne.
Satan ayant plusieurs cordes à son arc et sa manifestation musicale n'étant pas forcément synonyme de course effrénée vers la vitesse et la brutalité, c'est donc naturellement que tous deux savent aussi adopter une forme plus pesante, mais pas moins diabolique pour autant : le doom metal, dont l'avènement des eighties perpétue l'héritage lointain du grand
Black Sabbath et de son immortel éponyme.
C'est dans cet esprit propice aux excès -et aux inventions- en tous genres que deux formations émergent, chacune à un pôle longitudinal des Etats-Unis, pour poser les bases d'un style hybride fusionnant le death au doom, ouvrant un nouveau chapitre de l'histoire du metal extrême. Côte Est contre côte Ouest. Pittsburgh face à Las Vegas.
Dream Death vs
Goatlord. Si
Dream Death remporte sans conteste le point de la généalogie (grâce à ses démos de 1986 et son album "
Journey into
Mystery" de 1987),
Goatlord ramène haut la main celui de l'extrême, tant il s'enfonce dans le glauque jusqu'au cou. Logique, direz-vous, quand on est originaire de la cité du vice.
Le quatuor las vegan composé d'
Ace Still (chant), Joe Frankulin (guitare), Hal Floyd (basse) et Jeff Nardone (batterie) débute sa carrière en 1985. Il faut cependant attendre deux ans et la "Demo '87" pour que les choses sérieuses commencent, Hal Floyd étant remplacé par Jeff Schwob au passage. Ce premier essai est certes brouillon et inabouti, mais il permet au groupe de se faire remarquer au sein d'une scène locale dominée par le punk et le hardcore.
L'impact hors de ses terres, quant à lui, se précise dans l'underground avec la seconde et mythique démo "Sodomize the Goat", lâchée sur terre dès l'année suivante. Le titre et la pochette l'illustrant ne trompent pas : ça blasphème à tout va. Infiniment plus écrasant et étouffant que sur la première démo, le style doom/death pratiqué par
Goatlord y prend toute son ampleur putride, se posant en impur bâtard de
Possessed et
Death autant que de
Pentagram et
Witchfinder General. Jusque là, jamais œuvre musicale n'aura été aussi massive et rentre-dedans à la fois, tout en puant la sorcellerie noire à des kilomètres à la ronde.
Une cérémonie impie. Une célébration où les vierges captives sont sadiquement violentées, souillées de copieux jets de semence, atrocement éviscérées à vif avant d'être jetées en pâture au Malin, qui en réclame encore et toujours. Voilà ce que représente "Sodomize the Goat".
Le son des cordes saturées évoque les rugissements des plus terrifiants démons auxquels des riffs étirés jusqu'au-delà de la déraison confèrent une résonance effroyable. Les pieux s'abattent à chaque martèlement des toms, tandis que les cymbales claquent telles des chaînes dans les ténèbres suffocantes. Les pulsations poisseuses de la basse se répandent comme les gerbes de sang débordant des autels sacrificiels.
Un carnage sans pitié, dont une capture en conditions de quasi-live et un enregistrement compressé sur quatre pistes rejettent tout compromis.
Malfaisants, rauques, incantatoires, les vocaux d'un
Ace Still en transe sont ceux d'un haruspice présentant ses offrandes sanguinolentes au Grand Maître avec une avidité cruelle. Bestiaux aussi, comme sur "
Blood Monk", "Underground Church" et "
Unholy Black Slut" traversés de gutturations incontrôlées comme on en trouve chez Sarcofago. Quelques accès de black (ou proto-black) en provenance directe des influences
Bathory, Sodom et
Hellhammer dont
Goatlord se réclame également. Et on ne s'étonnera pas de sentir de puissants relents thrash nous sauter à la gorge puisque les origines de tous ces genres sont fondamentalement liées.
L'Enfer se déverse 70 minutes durant, depuis les profondeurs crasseuses d'un temple profané, à l'atmosphère chargée des remugles de soufre vicié et de substances hallucinogènes. La cervelle baignant dans un chaudron acide, sous l'emprise des troubles psychiques, c'est toute une frange du doom qui se matérialise à nos oreilles, notamment sur l'explicite "
Acid Orgy" shooté au LSD.
Mêlant sans vergogne bon nombre d'influences comme de concepts,
Goatlord se fait aussi l'infernal chantre des pratiques occultes exotiques. Inspirés des rituels vaudous, "Voodoo
Mass" et "Chicken Dance" en appellent aux esprits ancestraux, nourris aux hectolitres de sang de poulet.
Dès lors qu'il s'agit de balancer des ralentissements inhumains,
Goatlord n'a pas froid aux yeux, là non plus, en témoigne l'oppressant "
Twilight Rem". Un morceau particulièrement marquant, non seulement parce qu'il est spécifique à cette démo, mais aussi parce qu'il s'agit de la création la plus doom que
Goatlord ait mis au monde.
Hanté de distorsions de malade, "
Twilight Rem" avance à la cadence d'un catatonique, rampe à en maculer le sol de traînées visqueuses. Le mourant se déchire les chairs en n'en plus voir, son agonie parfois entrecoupée de convulsions insoutenables. On tient quasiment là du dISEMBOWELMENT avant l'heure !
N'ayant aucun scrupule à repousser les limites,
Goatlord se pose comme l'un des groupes les plus ultimes des eighties, rien de moins. Et sa démo "Sodomize the Goat" à la teneur malsaine rarement égalée peut se voir comme une synthèse du metal extrême de cette période, d'une certaine manière.
Suite à ce coup de maître qui a contribué à l'élever au rang de culte,
Goatlord se dirige vers une seconde partie de carrière aussi courte que mouvementée. Mais ceci est une autre histoire…
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