La vie d'un groupe est tout sauf un long fleuve tranquille, qui plus est à l'orée de la reconnaissance.
Goatlord, pas plus qu'un autre, n'a échappé au destin. A la croisée des chemins entre death et doom metal naissants avec de sulfureux relents de (proto) black, la démo "Sodomize the Goat" du quartet de Las Vegas a ébranlé l'underground telle une secousse sismique ouvrant une nouvelle voie pour le metal extrême. C'était en 1988, les puissances occultes du metal venaient de franchir un nouveau palier. Dans la foulée, la sortie d'un album n'aurait du être qu'une simple formalité, et pourtant… Malgré les quelques labels qui se pressent aux portes du temple impie érigé par
Goatlord, "
Reflections of the
Solstice" ne voit le jour qu'en 1991.
Satan a bien plus d'un tour dans son sac et c'est avec un sournois plaisir qu'il se complait à mettre des bâtons dans les roues de ses serviteurs, tissant de ces histoires rocambolesques qui forgent la légende.
"
Reflections of the
Solstice", c'est tout d'abord une histoire de divergences musicales. L'emblématique vocaliste et fondateur
Ace Still contre le reste du groupe. La vision d'une évolution plus doom et psychédélique contre des pulsions brutales plus ancrées death / thrash. C'est
Ace Still qui au final jette l'éponge, partant se concentrer sur son projet parallèle
Doom Snake Cult afin de matérialiser les hallucinations funèbres qui l'habitent, avant que ses ex-compères ne se décident à entrer en studio. Et c'est ce même
Ace Still qui, selon un twist improbable, revient poser ses parties vocales pendant l'enregistrement de "
Reflections of the
Solstice", avant de disparaître à nouveau. Sauf qu'entre temps,
Goatlord avait débauché Mitch Harris pour occuper le poste. Le transfuge des
Righteous Pigs (également enrôlé chez
Napalm Death à la même époque) a-t-il auparavant mis en boîte l'intégralité des lignes de chant ?... Ou seulement les quelques fragments subsistant sous forme de chorus sur "
Sacrifice" ?... Encore aujourd'hui, nul ne sait. Rumeurs, rumeurs… Seule chose certaine : l'album a bel et bien été enregistré par un quatuor complet comprenant
Ace Still au micro, le rôle de Jeff Schwob se restreignant à la basse contrairement à ce qu’indiquent les crédits immortalisés sur la pochette arrière (qui égratignent le patronyme de Frankulin au passage).
"
Reflections of the
Solstice", c'est aussi une histoire de production, dont le résultat final ne satisfait pas le groupe. Un son il est vrai bien éloigné du pur raw craspec de "Sodomize the Goat", qui plus est d'apparence "dénaturée" par un jeu de batterie produit sur kit électrique. Une idée soufflée par Mitch Harris au batteur Jeff Nardone. Encore une entrefaite sur laquelle plane son fantôme, et une des raisons qui motivera
Goatlord à effectuer un remix de l'album, paru l'année suivante chez JL America et simplement intitulé "
Goatlord".
"
Reflections of the
Solstice", c'est également une histoire de galères de label,
Goatlord ayant fait l'épouvantable erreur d'entériner un contrat avec les escrocs de
Turbo Music. Ces mêmes qui, simultanément, se sont rendus tristement célèbres en sortant le vrai/faux premier album de
Beherit "
The Oath of Black
Blood" (regroupant en fait deux enregistrements préexistants, compilés sans l'autorisation du groupe). Vis-à-vis de
Goatlord, l'arnaque de
Turbo consiste en une totale mainmise sur les recettes des ventes de l'album, sans partage avec les auteurs, d'où la seconde raison du remix éponyme. Ce qui n'a pas empêché
Turbo de rééditer "
Reflections of the
Solstice" en 1999, sous l'incarnation
Metal Age Recordings (la même mésaventure étant d'ailleurs arrivée à
Acheron avec leur "Rites of the Black
Mass").
Mais "
Reflections of the
Solstice", c'est enfin et surtout un monument de dévotion envers les forces du Mal. Bien que paru au début des 90's, cet opus reste fondamentalement marqué par le sceau des 80's. Animé par un style doom / death / black parvenu à maturité, "
Reflections of the
Solstice" irradie d'un éclat noir, telle une pierre philosophale du metal extrême, point de convergence entre différents pôles comme a pu l'être
Celtic Frost quelques années plus tôt. L'immense influence de la doublette "
Morbid Tales" / "
Emperor's
Return", œuvre de la bande à Tom G.
Warrior, en suinte d’ailleurs par tous les pores, et le parallèle entre les évolutions différées de chacune des deux formations n'en est que plus frappant. "
Reflections of the
Solstice" est à "Sodomize the Goat" ce que les débuts de
Celtic Frost sont à
Hellhammer : une métamorphose apparaissant certes moins sale et caverneuse, mais qui n'en a pas pour autant vu son aura mystique et malfaisante s'amoindrir, bien au contraire, l'approche est simplement différente.
Par rapport à la démo dont les huit titres le composant sont issus, "
Reflections of the
Solstice" délaisse les profondeurs étouffantes du temple profané pour établir son rituel sous la voûte nocturne où rougeoie une lune sanglante. Les démons des abysses sous-terraines ayant été repus, les exécrations sont désormais adressés en l'honneur de ceux peuplant l'outre-espace. Les effets d'écho et de reverb' enveloppant les vocaux leur confèrent des vibrations de possédé en total état de transe cosmique.
Comme le traitement "artificiel" de la batterie, loin de paraître peu naturel, pare l'ensemble d'une résonance monstrueusement surnaturelle. A ce titre, les martèlements sans pitié qui traversent les passages les plus impitoyables ("
Blood Monk", "Underground Church") procurent d'infernales convulsions de crise épileptique. Basses à fond sur la chaîne, on s'en prend plein la gueule. Les séquences au ralenti ne sont pas non plus en reste, leur mécanique binaire renforçant l'aspect ritualiste. Bien vu comme parti pris, même s'il en fait grimacer plus d'un, à l'instar des sardoniques caquètements de poulet se manifestant sur le vaudouesque "Chicken Dance". Choix pertinent ou ridicule, choisis ton camp !
En comparaison de leurs moutures démo vieilles de trois ans, chaque morceau ressort nettement revisité, bénéficiant d'agencements plus concis, moins tarabiscotés. On ressent bien là l'angle d'attaque plus direct d'un Frankulin qui, durant l'absence de Still, a repris les rênes du groupe tel ce personnage maléfique représenté sur la pochette (signée Chris Moyen), conduisant les chevaux de l'
Apocalypse. Ce qui ne veut pas dire que
Goatlord a sacrifié la lourdeur au profit de l'efficacité, comme le prouvent les terrassants rouleaux-compresseurs "The Fog" et "
Acid Orgy", l'un hanté par des effets se répandant comme une armée des morts-vivants sur Terre, l'autre dégorgeant de viles créatures fracassées aux psychotropes.
Si d'aucun peut regretter le caractère brut et spontané de "Sodomize the Goat", "
Reflections of the
Solstice" fait néanmoins montre d'un
Goatlord qui ne trahit en rien ses pulsions profondément morbides. Le Mal s'y exprime juste autrement et les controversés choix techniques qu'il recèle, mis bout à bout, prennent tout leur sens et contribuent au culte que représente "
Reflections of the
Solstice".
Malgré les bonnes réactions récoltées suite à la parution de l'album, les shows qui s'enchaînent et le recrutement du vocaliste Chris Gans,
Goatlord se disloque de l'intérieur et ne parviendra pas à franchir le cap du second full-length. Encore une histoire de divergences musicales…
Et la malédiction des pionniers du doom / death aura fait une nouvelle victime. Encore une histoire de doom…
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