La productivité n’a pas toujours que des bons côtés.
Il faut savoir admettre que parfois, la surproduction artistique peut amener à des créations moins digestes, moins représentatives du talent de son auteur et assez logiquement moins inspirées car trop rapprochées dans le temps de ses prédécesseurs. Il faut alors prendre du recul, savoir jeter un œil avisé et critique sur son propre travail pour admettre qu’effectivement, la qualité n’était pas toujours au rendez-vous.
C’est ce qui arriva à
Luca Turilli en 2006 où, malgré les problèmes légaux qui animaient l’histoire de
Rhapsody devenant alors
Rhapsody of
Fire, tuait le temps en composant pour son groupe, son projet solo et un nouveau projet qu’il avait alors sous le bras répondant au doux nom de
Luca Turilli’s
Dreamquest. Trois albums virent alors le jour en moins de deux mois, tous composés dans un laps de temps relativement courts.
"
Triumph of
Agony" fut sans conteste l’œuvre la plus cinématographique et s’éloignant au maximum du metal de
Rhapsody, offrant un tout autre voyage, onirique pour certains et décevant pour d’autres. "
Lost Horizons" fut le premier opus de son projet electro/symphonique à chant féminin tandis que "
The Infinite Wonders of Creation" (ces deux derniers sortant à quelques semaines à peine d’intervalle) se devait de terminer la trilogie entamée avec "
King of the Nordic Twilight" et "
Prophet of the Last Eclipse". L’ensemble devait créer une trinité passé/présent/futur à même de représenter les affres du temps et de la technologie moderne sur notre environnement. Mais les choses ne se passèrent pas exactement comme prévu…
Pour commencer, le fait qu’Olaf Hayer tombe malade durant l’enregistrement complexifia ardemment la tâche de Luca qui fut dans l’obligation de trouver une solution car le vocaliste n’avait pas encore enregistré l’ensemble de ses parties. De cette obligation humaine découla ce qui devint la particularité de cet opus, c’est-à-dire la dualité homme/femme entre Olaf et Bridget Fogle, la chanteuse de
Dreamquest qui officiait déjà en tant que choriste sur les albums de
Rhapsody, mais aussi
Epica ou
Edguy.
Ensuite, à l’écoute de l’album, il semble presque évident que "
The Infinite Wonders of Creation" a été le laboratoire d’idées qui a amené Luca à créer
Dreamquest tant les idées se rejoignent, mais avec moins de maitrise, de maestria et simplement de talent. Non pas que l’album soit mauvais, mais du livret en passant par le son, il est impossible de ne pas sentir Turilli en cruel manque d’inspiration et de souffle. Son metal orchestral apparait boursoufflé, asséché et complètement étouffé, n’arrivant à respirer et reprendre son souffle que lors de brefs moments, loin de la quasi perfection de "
Prophet of the Last Eclipse".
"
Secrets of
Forgotten Ages" débute le disque tout en grandeur, comme d’habitude, avec multitudes de chœurs haut-en-couleurs et la production se veut dense et classieuse. On pense ressentir une grande dimension classique et dramatique dans la musique, et il n’est pas évident de s’attendre à la débandade qui suivra à l’écoute de cette longue introduction de plus de trois minutes. "Mother Nature" enchaine le premier véritable morceau et, ce qui frappe, c’est la mollesse finale du son, cette guitare sous-vitaminée, ce son de batterie très synthétique et les très discrets claviers qui ne remontent en aucun cas une musique qui semble ne pas croire en elle-même. Bridget chante très bien et haut (ce qu’Olaf ne pouvait manifestement plus faire après son infection) et le refrain se retient facilement, bien que son impact soit aussi peu imposant que celui d’un caillou sur une route bitumée. Tout en ambiance, l’introduction à la flute d’"Angels of the
Winter Dawn" envoute l’auditeur et l’emmène très loin. Olaf chante de façon relativement plate, et sa voix est très rapidement emplie d’effets, comme pour pallier un manque évident de puissance ; puissance de plus apportée par le chant couplée de Bridget, qui sublime un refrain qui, sans elle, aurait paru bien fade.
L’absence presque totale de solo ou de passages speed ne feront que conforter la lassitude qui émane très rapidement d’un opus qui, sans être complètement raté (on parle tout de même de
Luca Turilli), souffre de nombreux défauts et reste loin derrière les autres albums en terme de qualité. Les aspects électroniques de "Miracle of
Life" ou "Cosmic
Revelation" sont beaucoup moins bien agencés que sur ce que deviendra "
Virus" par exemple (d’où cette idée de laboratoire expérimental pour cet album), tandis que "
Pyramids & Stargates" prend des allures plus orientales qui ressortiront quelques années plus tard sur le très récent "Ascending to
Infinity" (avec une prestation vocale bien plus spectaculaire). Le souci principal vient de ces compositions sans surprises, qui vivent indépendamment sur des ambiances sans jamais tenter de vivre à l’intérieur ou de proposer des variations dans le cœur-même des morceaux. Les riffs sont de plus vraiment insignifiants, voir inutiles et ne servent que de maigres supports à des orchestrations ou des chœurs qui, cette fois-ci, ne surprennent pas mais semblent fatigués et las de porter une musique sans créativité où l’ennui guette constamment l’auditeur.
Même le long titre éponyme, empruntant l’air et l’ambiance de "
Prophet of the Last Eclipse" reste à des années lumières du fantastique morceau éponyme de 2002, démentiel et speed à l’extrême, mâtiné de multiples atmosphères et éléments mélangés avec classe et talent.
Si "
Lost Horizons" n’intéressera que les « die hard » fans de l’italien (malgré une qualité moyenne très bonne) et le "
Triumph of
Agony" décevra certains tout en restant intéressant musicalement (et supérieur, à mon gout, à son prédécesseur amputé d’une âme), il faut avouer que ce "Infinite Wonders of
Creation" passa vraiment inaperçu et que peu de monde en parleront à sa sortie ou à l’avenir, comme s’il n’existait finalement pas. Là où Luca avait presque toujours vu juste, ce fut l’année où il réalisa le plus d’album qu’il enregistra son plus mauvais quota, et parmi ses opus les plus dispensables de sa discographie. Allait alors s’enchainer d’autres problèmes qui empêcheront le ‘sieur et
Rhapsody of
Fire de jouer ou sortir des albums pendant quatre longues années. Un mal pour un bien lorsqu’on observe la qualité des productions depuis leur retour en 2010…peut-être fallait-il finalement au guitariste de longues et méritées vacances pour se ressourcer et retrouver l’inspiration qui l’avait animée depuis ses débuts.
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