Napalm Records a toujours eu la (bien méritée soit dit en passant) réputation de surfer sur la vague des courants metal en vogue : ce fût vrai pour le black au milieu des années 90, ainsi que pour le gothique un peu plus tard … C'est une nouvelle fois vérifié dans les années 2000 avec le funeral doom alors que le style explose (toutes proportions gardées) sous l'impulsion de la boîte finlandaise Firebox.
Cap maintenu et objectif atteint en 2006 pour le label autrichien : c'est fait,
Napalm Records possède désormais son groupe de funeral doom ! … Et l'heureux élu se nomme
Ahab, prononcez "Achab" en référence au capitaine du
Pequod pourchassant inlassablement l'impitoyable cachalot blanc baptisé
Moby Dick dans le célèbre roman de Herman Melville.
Vous l'aurez compris, le dessein du quatuor germanique sur son premier album intitulé "
The Call of the Wretched Sea" consiste en l'adaptation de ce concept littéraire à un genre musical archi-balisé, dérivé jusqu'au-boutiste d'un doom/death des cavernes bâti à coups de riffs d'une lourdeur implacable, d'un growl du fin fond des abîmes avec pleine charge de reverb, et de rythmiques d'une lenteur et d'un monolithisme à toute épreuve, non dénué toutefois d'un certain sens de l'esthétisme et des atmosphères planantes, mais où il est difficile de ne pas tomber dans le pur plagiat où la déshonorante parodie … Sans parler de l'autoproclamation "nautik funeral doom" plutôt risible, autant dire que toutes les conditions nécessaires à un naufrage en règle ont été réunies pour nos quatre matelots teutons.
Et pourtant … force est de constater que l'expérience du chanteur / guitariste / claviériste Daniel Dorste, également principal compositeur, du guitariste Christian Hector, du batteur Corny Althammer et du bassiste / producteur Stephan Adolph, tous loin d'être nés de la dernière pluie, a payé, permettant au navire
Ahab d'éviter les plus dangereux récifs et de proposer un album solidement construit, à la progression dramatique calquée sur celle relatée par l'œuvre littéraire, dont plusieurs textes sont d'ailleurs empruntés.
Les notes introductives de "Below the Sun" plantent le décor d'une immensité océanique inspirant autant la crainte que l'attraction par son caractère mystérieux, ses flots soudainement fendus par la base metal avançant tel le tangage du baleinier en proie au ressac écumeux et aux vents féroces. Ce premier morceau est traversée d'un thème central au mid-tempo soutenant des soli conquérants, symbolisant la vaillance des êtres humains prêts à braver l'inconnu … L'ultime éclaircie d'optimisme avant que "The Pacific" et "
Old Thunder" n'annoncent le mauvais présage, de par leur climat lourd et leurs arpèges inquiétants … Les cieux s'obscurcissent, la tempête approche, instillant l'appréhension en l'esprit de l'équipage, si fragile devant l'impétuosité des forces élémentaires en action, sentant leurs derniers instants proches, voyant s'incarner la
Mort en la vision de la titanesque créature marine, ce monstre de fascination et de terreur, si majestueusement meurtrier, dépeint sur l'interlude ambiant "Of the Monstrous Pictures of Whales".
Une puissance sans commune mesure, face à laquelle les mortels n'ont plus d'autre choix que d'implorer l'Être Suprême pour rassembler les ténus résidus de courage périssant en eux, au son des chœurs et mélopées achevant "The
Sermon". Les tressaillants arpèges ouvrant "
The Hunt" portent l'intensité dramatique à son comble … le temps se met en suspens, chaque seconde s'étirant en une éternité avant l'affrontement final où les claviers se font proéminents, exprimant le déchaînement des éléments, de la folie aveugle du capitaine Achab, du désespéré effroi de son équipage, chaque coup destructeur infligé par la surnaturelle carcasse de
Moby Dick résonnant comme un écho de l'au-delà sur la chétive armature du
Pequod, sa rage décuplée … puis assouvie, lorsque le monstre s'en retourne en ses abysses glauques, ne laissant à la surface que débris et cadavres, flottant, inertes, sur une étendue désolée … à l'image de la soif de vengeance de Achab … ravagée, anéantie ("
Ahab's
Oath").
Certes,
Ahab n'apporte musicalement rien de bien neuf sous les sinistres horizons du funeral doom, mais sa réappropriation du concept
Moby Dick est suffisamment convaincante dans son évocation pour que ressorte de ce premier essai une œuvre intéressante et honnête.
Je n'en regrette, pour ma part, qu'une production un peu en-deçà et qui aurait mérité davantage de consistance à certains moments. Je pense notamment aux passages associant guitares et claviers où le mixage s'étiole. L'espace sonore, dans ces quelques instants où il manque paradoxalement de densité, suggère alors davantage la frêle ossature d'un clupéidé que l'incommensurable massivité d'un physétéridé … ou bien l'âcre senteur de grillade plutôt que les rafraîchissants embruns du grand large, serait-on tenté d'ajouter parallèlement à l'énoncé de ces familles d'espèces vivantes si l'on se sent d'humeur (très) mauvaise plume …
Cela dit, le sentiment général prédominant en les pensées de votre chroniqueur du jour envers ce "Call of the Wretched Sea" réside en une forme d'estime respectueuse, car le défi de la formation germanique était risqué, très risqué … mais se trouve être relevé, sinon haut la main, du moins avec les honneurs.
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